 Les jeunes: actifs, encadrés et influencés

L'absence d'organisation chrétienne masculine à l'échelon national, jusqu'en 1970, au Gabon, était compensée par des groupes de jeunes très actifs, bien encadrés mais largement influencés par des valeurs autres que celles traditionnelles, notamment l'influence européenne, surtout française.

Entre 1945 et 1970 la jeunesse catholique gabonaise était organisée au sein des structures ou groupes de paroisses d'action catholique dont l'implantation avait débuté au Gabon en 1936 par l' arrivée du mouvement des Scouts Catholiques.

Après les Scouts catholiques il y eut l'introduction, simultanément, en 1956 de la JOC (la Jeunesse Ouvrière Chrétienne) et de la JEC (Jeunesse Etudiante Chrétienne), puis au début des années 1960, précisément en 1961 du mouvement des enfants les CV-AV (Cœurs Vaillants ou Ames Vaillantes).

La formation de la jeunesse se faisait en ce temps au moyens de deux structures: le réseaux des écoles et collèges et cette formation religieuse se poursuivait, surtout pour les jeunes non scolarisables, au niveau des missions puis des paroisses, par les mouvements d'action catholique 410 .

Les jeunes étaient actifs. Il existait un groupe de chaque mouvement presque dans toutes les missions, puis paroisses, surtout dans les zones urbaines comme Libreville et Port-Gentil. Ces groupes couvraient la formation apostolique de toutes les tranches d'âge de jeune: les enfants (les plus petits, du primaire) étaient souvent CV AV, les jeunes du secondaire étaient souvent engagés dans la JEC, et dans la JOC pour les jeunes intégrés dans le monde du travail, les Scouts du Gabon pour toutes les tranches d'âge de l'enfance à l'âge adulte 411 .

Tous ces mouvements de jeunes se développaient d'abord dans les paroisses urbaines de la côte avant de s'étendre vers les paroisses de l'intérieur du pays. Après avoir connu un essor remarquable dans les paroisses de grands centre urbains comme Port-Gentil, Libreville et Lambaréné dans les premières années de l'indépendance, à partir de 1965 ces mouvements de jeunes ont connu quelques difficultés humaines liées à l'encadrement surtout en ce qui concerne les CVAV et de la JOC.

Après 1965, le nombre des religieuses affectées pour s'occuper des enfants au niveau des CVAV était de plus en plus insuffisant. Elles n'avaient plus que les samedis et les dimanches à consacrer aux enfants 412 . De nouvelles exigences en matière d'assurances, impossibles à payer par les enfants des quartiers pauvres, interdisaient toute réunion. Entre 1965 et 1967, la JOCF traversa également une période difficile, l'aumônier et la permanente qui étaient venus de France pour une durée de deux ans étaient partis sans être remplacés. Les responsables gabonais n'avaient pas tenu faute de soutien et la plupart des prêtres se désintéressaient du mouvement 413 .

Des difficultés semblables touchaient les autres mouvements de jeunes, mais à moindre échelle. Pour pallier ces manques, des actions étaient menées, dans les paroisses, les groupes de bases des mouvements d'action catholique, les collèges, pour pousser les adultes à une action auprès des jeunes, et ces derniers étaient invités à intégrer les mouvements. Si l'Action catholique n'avait pas l’expansion espérée, à cette époque, c'est aussi parce que les mouvements n'étaient toujours pas en mesure de financer les déplacements des dirigeants. Mais c'est surtout parce que les militants et les responsables n'étaient pas dûment préparés.

Les programmes d'activités de tous les mouvements prévoyaient des sessions de formations qui constituaient des gages d'enracinement de l'Action catholique des jeunes au Gabon 414 .

Les activités des jeunes dans ces mouvements étaient surtout récréatives et dans une moindre mesure la réflexion en ce qui concerne la JEC et la JOC. Ces mouvements permettaient à de nombreux jeunes de découvrir ce qui se passait ailleurs dans les pays voisins. La JEC et la JOC, qui avaient une dimension internationale, permettaient à leurs militants, responsables, de voyager et de participer à des regroupements internationaux d'envergures.

L'organisation de la jeunesse catholique à l'échelon national au Gabon commence peu avant l'indépendance 415 . Les mouvements Installés au Gabon avant 1960 s'étaient regroupés en 1959 pour former une association, conformément à la Loi du 1er juillet 1901 dénommée, "Comité des Mouvements de jeunesse" qui devint très rapidement "Fédération Gabonaise de la Jeunesse Catholique" la FGJC qui, après l'indépendance était régie par les dispositions de la Loi 35/62 sur les associations 416 .

C'est plus tard qu'elle prit le nom de Fédération des mouvements puis Fédération Catholique des Mouvements (FECAM) 417 . Le siège de cette Fédération fut fixé à la Paroisse Saint-André de Libreville. Ce centre national coordonnait les activités des différents mouvements. Il était chargé d'éditer les revues et les brochures nécessaires au bon fonctionnement des groupes et le curé de cette paroisse était l'aumônier des jeunes. 418

Les mouvements de jeunesse ont contribué à l'éveil social et politique des jeunes Gabonais. Après l'indépendance de 1960, la plupart des jeunes qui venaient poursuivre leurs études en Europe étaient passés par les mouvements de jeunesse catholiques. L'exemple de Joseph Rendjambé responsable de la JEC en 1960, est le plus patent ; il eut des ennuis avec le régime de Léon Mba à cause de ses idées et de ses prises de position critiques.

De nombreux autres jeunes passés par les écoles, collèges et les mouvements catholiques après leurs études, en France ou ailleurs, occupaient de hautes fonctions dans l'Etat. Mais ils ne travaillaient plus dans l'administration avec la même ferveur catholique que quand ils étaient engagés dans les mouvements de jeunesse. Certains continuaient à soutenir les mouvements mais la majorité les délaissait 419 .

Une des principales caractéristiques de la jeunesse catholique gabonaise, surtout après 1960, était aussi d’être influencée par le mode de vie européen. Entre 1945 et 1969 la jeunesse gabonaise s'est occidentalisée au détriment des coutumes ancestrales. Tous les jeunes possédaient un parent en ville et voulaient systématiquement le rejoindre. Les jeunes qui n'avaient pas la possibilité de le faire dans l’immédiat étaient touchés dans leur village et dans l'arrière du pays par la culture occidentale. Elle se caractérisait surtout par le désir de s’exprimer en français et de s’habiller « à l’américaine ».

La plupart des villages avaient déjà des phonographes, des postes radio qui relayaient l'information et la mode. Les autres moyens de communication, comme la voiture ou l'avion prenaient leur essor et permettaient aux uns et aux autres d'entrer en contact avec l'extérieur. Ces contacts, les brassages d'ethnies, les métiers nouveaux affectaient profondément la vie de chaque jour et la mentalité 420 .

Dans une société jadis très structurée et très cloisonnée les différences commençaient à être moindres dans la vie quotidienne. Grâce aux jeunes, les Gabonais et les Européens ne se regardaient plus trop en étrangers. A cause de l'intégration des jeunes au mode de vie occidental, les bars aux enseignes typiquement françaises, invitaient désormais aux mêmes tables les Noirs et les Blancs.

Ce climat d'ouverture parmi la jeunesse gabonaise était l'aboutissement normal d'une conjoncture qui offrait à tous les jeunes gabonais des possibilités inconnues de promotion personnelle et d’émancipation. Pour favoriser l’emprise de la culture française sur la jeunesse gabonaise, la France avait ouvert au Gabon le Centre Culturel Saint-Exupéry, en 1965, dans lequel blancs et noirs, de tout âge pouvaient venir.

Entre 1945 et 1969, les jeunes avaient été de véritables agents de l'influence extérieure sur la société gabonaise surtout sur le plan linguistique. Comme l'affirmaient Paul Malékou, alors ministre de l'Education nationale: "… au Gabon depuis cent cinquante ans, le français a cessé d'être une langue étrangère et est devenu notre langue de culture…" 421

Photo 8: Les jeunes filles Gabonaises au début des années 1960
Photo 8: Les jeunes filles Gabonaises au début des années 1960

Source: DOCOPM

Cette influence de la culture occidentale s'étendait même aux filles, surtout de la ville. L'éducation accélérée, l'évolution des mentalités ou bien l'influence chrétienne n'était pas étrangère à cette évolution qui avait introduit un style de vie inédit. Les jeunes filles gabonaises, conscientes de leurs charmes, élégantes et dégagées de toute emprise, lisaient « Marie Claire ». Un transistor à la main, elles se considéraient presque arrivées à l’étape ultime de leur émancipation 422 .

La photo ci-avant, prise au collège Immaculée Conception en 1960, témoigne de l'influence de la culture occidentale sur les jeunes gabonaises. Ce collège a été la vitrine de l'émancipation féminine au Gabon dans le domaine de l’instruction.

Dans l'ensemble, pour apprécier la formation et l'organisation des chrétiens, jeunes et adultes, au Gabon entre 1945 et 1969, on peut se référer à cette réponse de l'abbé Raponda Walker en 1960: " Autrefois, on pratiquait l'évangélisation en étendue. Aujourd'hui on pratique davantage l'évangélisation en profondeur. L'Eglise s'implante de plus en plus. L'avenir est meilleur" 423

Notes
410.

Archives Archidiocèses de Libreville et Archives du Diocèse de Mouila: Rapport Quinquennaux 1960.

411.

Jusqu'en 1969, il existait au Gabon quatre mouvements d'action catholique de jeunes: les Scouts, les CV-AV, la JOC, la JEC.

412.

AAL (Archives de l'Archidiocèse de Libreville) Rapport quinquennal de 1970

413.

Témoignage du Père Sillard, Entretiens de février et mars 2000. Le témoin a été aumônier national de la JOC.

414.

DOCOPM, Dossier N° 347, " L'Action catholique des jeunes ", 1965

415.

Archives CSSP, Etat Statistique annuel de 1959, Lettre d'accompagnement rédigé le 11 octobre 1959.

416.

DOCGAB, JORG, 1962, Loi 35/62 du 2 décembre 1962 relative à la création et la gestion des associations en République Gabonaise

417.

Nous avons été président de cette fédération de 1993 à 1996.

418.

Essono Mezui Hervé, "La Fédération catholique des Mouvements", dans le Journal La Lumière N° 77 du 22 octobre au 4 novembre 1995.

419.

Témoignage du Père Morel, entretien du 28 novembre 2001, à Libreville.

420.

DOCOPM, Dossier N° 347: l'Empreinte française: jalons d'histoire " Gabonais d'origine et gabonais d'adoption", 1966

421.

DOCOPM, Dossier N° 347 Id & Ibid. Extrait d'une citation de Paul Malékou.

422.

DOCOPM, photo d'un document sur la jeunesse au Gabon au début des années 1960.

423.

DOCOPM, « interview de l'abbé Raponda Walker » in FIDES du 25 novembre 1961. Cf. aussi le Rapport annuel 1961 de l'Archidiocèse de Libreville.