● La prépondérance catholique grâce à la qualité de la formation et au prestige

Après la seconde Guerre Mondiale, l'idée d'envoyer son enfant à l'école n'avait plus rien de tabou. Au contraire tous les Gabonais souhaitaient que leurs enfants soient instruits à « l'école des Blancs ». Ainsi entre 1945 et 1960 le taux de scolarité a évolué de manière exponentielle.

En 1951, par exemple il était de 27,3%; en 1958 il était passé à 68,8% 455 et en 1965 il était de 80% soit 69% pour Libreville seulement 456 . Les parents attachaient, en définitive, une grande importance à la scolarisation. La difficulté persistante, malgré les efforts, demeurait le poids des coutumes ancestrales qui s'opposaient encore à l'éducation de la jeune fille. Même après l'indépendance certains parents étaient hésitants sur le fait d'envoyer leurs filles à l'école. Et les parents qui acceptaient n'étaient pas toujours favorables à la poursuite de longues études.

Entre 1945 et 1970 cette mentalité a changé à cause de l'action incessante de l'Eglise à travers les membres du personnel religieux qui usaient parfois de leur influence pour convaincre les parents de laisser leurs filles aller à l'école et de poursuivre de longues études 457 .

Une autre cause du changement de mentalité a été la montée de l'enseignement officiel (ou laïc) qui, à la différence de l'enseignement catholique voire protestant, ne faisait aucune différence dans l'enseignement dispensé aux jeunes garçons et aux jeunes filles et dans leur traitement.

Après l’indépendance, les catholiques continuent de pratiquer un enseignement basé sur la séparation des sexes. Il existait des établissements réservés aux filles comme l’Institut Immaculée Conception tenue par les sœurs Bleus de Castres et des établissements fréquentés par les garçons comme le Collège Bessieux. Ce qui n’était pas le cas pour l’enseignement officiel ou laïc qui créait des écoles mixtes, même si cette tendance gagnait déjà les écoles primaires dépendant des catholiques.

En ce qui concerne le traitement des élèves, l'enseignement officiel n'ouvrait pas systématiquement les internats comme c'était le cas dans l'enseignement privé, surtout catholique. Par conséquent, certains parents, qui ne voulaient pas envoyer leurs jeunes filles dans les internats loin du domicile familial, acceptaient de les envoyer dans les collèges de l'enseignement officiel car les filles pouvaient, en dehors des heures de classes aider leur mère aux travaux ménagers 458 .

Cette évolution de la mentalité des parents sur la scolarisation de la jeune fille a contribué à l'évolution du système éducatif et explique les progrès de la scolarisation. L'évolution du taux de scolarisation tenait aussi à l'évolution du système éducatif au Gabon car en 1951 avait été organisé les premiers examens du BEPC et en 1954 ceux du Baccalauréat. Ce qui constituait une source de motivation supplémentaire pour les parents et les enfants 459 .

Cette évolution tenait aussi à la prépondérance de l'enseignement missionnaire en général et de l'enseignement catholique en particulier.

Il existait une sourde rivalité entre les trois ordres d'enseignement du Gabon: l'enseignement officiel (laïc) protestant et catholique. L'opposition entre l'enseignement missionnaire et l'enseignement officiel ne doit pas occulter celle qui existait aussi entre les deux ordres d'enseignement missionnaire. Les deux confessions souhaitaient attirer la jeunesse gabonaise dans leurs écoles, mais étant donné la disproportion entre les deux confessions, le débat avait plutôt été déplacé sur le terrain des subventions accordées par l'Etat.

En effet, en 1955, les spiritains estimaient trop généreuse la nouvelle subvention accordée aux protestants: les catholiques avaient prétendu qu'ils possédaient quatre fois plus d'élèves que les protestants mais ne recevaient que trois fois et demi plus d'aide que les protestants 460 .

Cette question des subventions n'a été réglée qu'en 1959. Les catholiques obtinrent 4/5ème et les protestants 1/5ème. La question des subventions ouvrit la course à la création d’écoles entre les différents ordres d'enseignement privé. Selon un rapport du directeur de l'enseignement privé protestant en 1960. Chaque fois que les protestants obtenaient une ouverture d'école, les catholiques en obtenaient quatre. Cette attitude des autorités administratives, à la veille de l'indépendance, devait conduire les protestants à se remettre en question sur l'essor de leur enseignement. Fallait- il continuer à soutenir l'enseignement religieux qui renforçait la domination des catholiques sur eux? Les dirigeants protestants du Gabon étaient prêts à rejoindre l'enseignement laïc comme l’indique ce rapport:

‘« Au lieu de nous cramponner à cette politique vouée à l'échec, ne devrions- nous pas plutôt, pour combattre l'influence catholique, être de ceux qui réclament la nationalisation des écoles et même joindre dès à présent nos forces avec l'enseignement officiel, neutre, seul garant de la liberté des consciences du pays? » 461

Afin d'éviter que l'enseignement officiel ne les supplante, les catholiques ouvraient un maximum d'écoles dès qu'ils obtenaient l'autorisation. Les données spiritaines sont éloquentes à ce sujet: de 10 écoles, 15 maîtres et 940 élèves en 1930; on était passé à 45 écoles, 83 maîtres et 5.102 élèves en 1945; puis à 83 écoles, 209 maîtres et 11.100 élèves en 1952 462 . A la veille de l'indépendance ces données étaient encore plus éloquentes et traduisaient l'évolution exponentielle du taux de scolarité: sur près de 500 établissements que comptaient le Gabon, tout ordre et niveau d'enseignement confondus, l'enseignement catholique comptait à lui seul plus de 200 établissements 463 .

Notes
455.

DOCOPM, Dossier sur le Gabon N° 347, Agence Internationale FIDES- 2 juillet 1960.

456.

DOCOPM, Dossier sur le Gabon N° 347, « l’Enseignement au Gabon », 1965.

457.

Témoignages oraux du Père Morel, entretien du 23 septembre 2002 à Libreville.

458.

Témoignages oraux des anciens élèves de l'enseignement Catholique entre 1960 et 1970. Enquêtes de terrain de novembre et décembre 2001à Libreville.

459.

DOCATGAB, Jacques Hubert, 150è Anniversaire de l'Eglise au Gabon, 1994, Op. Cit. p. 75

460.

Entretiens avec les pères gilles Sillard et Gérard Morel, février mars 2000 à Chevilly et le 28 novembre 2001 à Libreville. Archives de la SMEP, Rapports des conférences du Gabon, Rapport de la Commission exécutive pp. 10-11.

461.

Archives de la SMEP, Rapports des conférences du Gabon, Rapport du directeur de l'enseignement Privé protestant (1959-1960), Conférence tenue à Bitam en juillet 1960, Op. Cit. p.3.

462.

DOCSSP, Bulletin Général de la Congrégation du Saint-Esprit, T. XLIII, N° 647, janvier février 1953 (pp.21-56)

463.

DOCOPM, Dossier sur le Gabon N° 347, Présentation du Gabon : les religions, 1961