 Mobilisation et querelles internes au Gabon entre gaullistes et pétainistes.

La mobilisation fut générale dans toutes les colonies, en AEF comme en AOF. Au Gabon, elle concernait tous les hommes valides, les colons de l’administration, les colons privés et les missionnaires. Dès 1938, devant la menace de la guerre, l’armée française procéda à des recrutements. Au moment de l’amorce du conflit, en 1939-1940, eurent lieu de nouveaux recrutements d’indigènes Gabonais pour combattre en Europe et surtout en Afrique 473 .

Une des victimes gabonaises, le plus illustre, de la seconde Guerre Mondiale, est le capitaine Charles Ntchoréré 474 , tombé au front après le débarquement de Normandie en juin 1944.

Photo 10: Le capitaine Charles Ntchoréré héros gabonais de la seconde Guerre Mondiale
Photo 10: Le capitaine Charles Ntchoréré héros gabonais de la seconde Guerre Mondiale

Source : ANG

Au Gabon, il a existé un Bataillon des Tirailleurs Gabonais, BTG, qui a mobilisé ses troupes pour la première fois le 2 septembre 1939 475 . Plusieurs missionnaires du Gabon ont fait partie de ce Bataillon. Il s’agit des Pères Clément Henri, Gaston Pouchet, Reinhard André, Gilles Sillard, Gollentz, Bernard Joseph. Les Frères Feurstoss Adolphe dit Odilon, Gosse Aloyse dit Bernardin, Quimer André dit Chanel 476 .

Lorsque fut signé l’armistice de juin 1940, plusieurs éléments du BTG avaient été démobilisés. Les missionnaires, par exemple, regagnèrent leur poste d’affectation. Le texte de l’armistice 477 contenait peu d’indications sur la situation future des colonies. Si l’article 1er étendait la cessation des hostilités dans les colonies, l’article 8, par contre, permettait à la France de conserver une partie de sa flotte pour la défense de son empire colonial.

A l’annonce de l’Armistice, les autorités coloniales du Gabon hésitèrent sur l’attitude à adopter, comme ce fut le cas dans la plupart des colonies en Afrique. Cette hésitation était la confirmation d’un climat « malsain » qui existait au sein de la société européenne, particulièrement les Français du Gabon depuis le début des années 1930, entre l’administration coloniale, le colonat privé et les missionnaires, à propos de la gestion politique de la colonie et des populations indigènes.

En effet, à la fin des années 1930, après la liquidation du régime des grandes compagnies concessionnaires 478 , et même dès le début de la colonisation à la fin du XIXè siècle, l’administration avait pris, au Gabon, l’habitude de régner sans partage. Le droit de vote n’existait ni pour les populations locales, ni pour les Français du Gabon. Le colonat privé, forestiers et agriculteurs surtout, n’était autorisé à élire des représentants qu’à la Chambre de Commerce et au Conseil d’administration de l’AEF 479 . Le gouverneur de la colonie du Gabon pouvait choisir deux à quatre personnes du colonat privé pour siéger dans le Conseil privé de la colonie. 480

L’organisation politique de la colonie du Gabon à travers ces structures consultatives ne permettait pas aux populations indigènes, au colonat privé et aux missionnaires, de participer vraiment à la gestion de la colonie. Cependant on ne pouvait totalement loger à la même enseigne les populations indigènes d’une part, le colonat privé (les forestiers surtout) et les missionnaires d’autre part. Ces derniers avaient avec l’administration coloniale des rapports directs et possédaient des moyens de pression importants.

Cela se confirma en 1940 au début de la Guerre à propos de la position à adopter pour l'engagement de la France: le loyalisme à Pétain ou le ralliement à de Gaulle ? Le colonat privé du Gabon, surtout les forestiers, et les missionnaires jouèrent un rôle prépondérant dans les prises de position des autorités politiques de la colonie, notamment du gouverneur.

Dès le déclenchement du conflit, cette opposition entre l’administration d’une part, le colonat privé et les missionnaires d’autre part, ressurgit au grand jour. La mobilisation et d’autres événements liés à la guerre ouvrirent des possibilités d’action et surtout de reconnaissance dans la gestion politique de la colonie, au colonat privé surtout, aux missionnaires et aux indigènes dans une moindre mesure.

En ce qui concerne le colonat privé, dès le début du mois de juillet 1940, une partie avait pris position. D’après Henri Seignon, un forestier du Gabon, l’appel du 18 juin rencontra l’approbation d’une partie du colonat. Mais la plus grande partie des colons du Gabon se sentirent solidaires du régime de Vichy. Henri Seignon affirme que chaque soir, les uns et les autres écoutaient les nouvelles de Londres, mais aussi de Brazzaville, capitale de l’AEF dans l’attente d’une décision de ralliement du gouverneur au Général de Gaulle  481   .

Plusieurs colons du Gabon favorables à Pétain consentirent des efforts dans la propagande et la dénonciation de ceux qui voulaient soutenir de Gaulle. Charles Reyssi, un colon de Libreville, transforma sa maison en véritable manifeste pétainiste avec une banderole sur la façade où l’on pouvait lire « Vive Pétain », et plusieurs autres affiches placardées sur les murs 482 . D’autres, militants, comme Raymond Waag, forestier, rédigèrent et envoyèrent en France un document, d’une centaine de pages, accablant et dénonçant les gaullistes du Gabon 483 . Le président de la Chambre de Commerce, Aumasson, prit la tête des vichystes de Libreville. Autour de lui, plusieurs forestiers et planteurs de l’Estuaire 484 comme Joly, Wack, Roncheux et Labat.

Lorsque la colonie du Tchad, qui appartenait à l’AEF, rallia le Général de Gaulle le 27 août 1940, cela raviva les passions et les partisans des deux camps. Au Gabon, ils ne tardèrent pas à s’affronter physiquement. Ce fut le cas le 30 août 1940, à la Chambre de Commerce, à Libreville.

Les Vichystes affrontèrent violemment les quelques gaullistes de la Chambre : les forestiers Flandre, Moutarlier, Guillery et le Gabonais Makaga 485 . Ces affrontements étaient de nature à favoriser un éveil politique dans la communauté indigène gabonaise qui y assistait impuissante mais attentive.

Notes
473.

De Benoist (J.R), Eglise catholique et pouvoir colonial au Soudan français. Op. Cit., p. 463.

474.

Voir photo.

475.

Archives CSSP, Fond Pouchet, Boite 1001, Dossier A, La guerre au Gabon, 1939-1945

476.

Archives CSSP, Fond Pouchet, Boite 1001, Dossier A, chemise 3 sur le personnel religieux.

477.

Dans le cadre de nos cours et travaux dirigés d’histoire contemporaine en licence et maîtrise nous avons étudié les clauses de l’armistice. Il s’agissait de la copie d’une copie.

478.

Catherine Coquery Vidrovitch a consacré une étude sur les compagnies concessionnaires au Congo Français.

479.

DOCGAB. JOAEF de 1938. Décret du 31 décembre 1937 sur l’élection du Conseil d’administration de l’AEF.

480.

Il faut retenir que les structures et les méthodes de contrôle politique de l’Etat colonial au Gabon jusqu’en 1957, surtout avant 1945, reposaient :

En ce qui concerne les structures, sur « le ministère des colonies et le gouverneur général » pivot de l’administration centrale fédérale. Le ministre des colonies qui ne résidait pas au Gabon représentait la seule autorité habilitée à agir au nom du chef de l’Etat français dans les domaines législatif et exécutif. Il exerçait la totalité des pouvoirs et s’en remettait à son premier substitut sur le terrain : le gouverneur général à Brazzaville. Ce dernier était le chef de l’administration central et nommait à tous les emplois. Il avait sous son autorité les direction suivantes : les finances, les affaires politiques, les affaires économiques, l’enseignement, les affaires judiciaires et la santé publique. Le second substitut était le gouverneur de la colonie du Gabon qui, en compagnie d’autres Français de l’administration de la colonie, assurait directement la gestion politique en y associant progressivement, l’élite autochtone. En ce qui concerne les méthodes, il y avait principalement l’indigénat qui était une forme de droit qui légitimait l’ordre colonial n’accordant aucun droit politique véritable aux indigènes, si ce n’est la chefferie et la mise en place des communes autonomes qui étaient des institutions représentatives des populations locales.

481.

Bernault (F.) Démocraties ambiguës en Afrique Centrale, op. Cit. p. 116.

482.

ANG. Fonds ANSOM, archives microfilmées, Affaires Politiques. Affaire Reysi, 1940.

483.

ANG. Fond ANSON, Id. Aff. Pol. 1948.

484.

Nom de la première région historique et administrative du Gabon où eut lieu la pénétration européenne et française.

485.

ANG. Fond ANSOM. Aff. Pol. 1948