 L’issue de la crise entre gaullistes et pétainistes du Gabon

Les hésitations, les incertitudes, les affrontements verbaux et physiques s’amplifièrent lorsque le vicaire apostolique du Gabon, Mgr Tardy, appela solennellement la population du Gabon à rester fidèle au vieux Maréchal. Pierre Boisson et Georges Masson, respectivement gouverneur général de l'AEF et gouverneur de la colonie du Gabon, qui pourtant, au début du mois d’août, s’étaient déclarés prêts à suivre le général de Gaulle, changèrent de camp et prônèrent le loyalisme envers le gouvernement de Vichy. Boisson accepta l’offre du gouvernement de Vichy de devenir Commissaire Général de l’Afrique française et s’installa à Dakar. Masson, quant à lui, fut accusé d’avoir changé de camp sur les conseils de Mgr Tardy. Le Gabon devint avec Douala la seule colonie d’Afrique Equatoriale à reconnaître le gouvernement de Vichy et à résister à la vague gaulliste.

La crise se dénoua début novembre 1940 lorsque les troupes du Général de Gaulle prirent d’assaut Libreville. La violence de la campagne gaulliste lancée depuis Brazzaville 486 au Moyen Congo (Sud du Gabon) et le Cameroun (Nord du Gabon) laissa des traces dans la colonie: à Libreville, Port-Gentil, Lambaréné. Cette double attaque, au Nord et au Sud, témoigne sans aucun doute de l'ampleur de la résistance et de l'importance des vichystes du Gabon.

Le Gabon était, sur le plan géostratégique, très important pour les gaullistes. A cela il faut ajouter l'importance économique que le Gabon pouvait représenter dans l'empire colonial français. Perdre le Gabon pouvait être néfaste pour la France libre.

Les édifices de la Mission furent aussi touchés: la maison des sœurs de Sainte-Marie, la Cathédrale Sainte Marie. Le Père Samuel Talabardon, 31 ans, fut tué le 4 novembre dans les combats 487 . Plusieurs autres missionnaires périrent pendant la guerre soit à cause des combats, soit de maladie, ne pouvant être rapatriés en Europe, il s’agit de : Père Yves Coignard le 19 juin 1940 à Sainte-Marie, Xavier Groff le 27 janvier 1941 à Lastourville, René Le Bloch le 26 décembre 1944 au Fernan-Vaz, Maurice Grosse le 2 août 1941 à Kemboma, les Frères Martin Rothan le 6 juin 1941 à Sainte-Marie et Sidoine Stocker le 25 août 1943 488 .

Les traces de cette campagne militaire étaient visibles à Libreville jusque dans les années 1970 avec la présence d’un bateau de guerre coulé dans l’Estuaire du Komo au lieu même de la pénétration française au Gabon. Cette campagne du Gabon se solda par la victoire des troupes Gaullistes venant du Moyen Congo et du Cameroun, le 11 novembre 1940. Le ralliement de la colonie du Gabon au gouvernement de la France libre devint effectif. Le 12 novembre Félix Eboué était nommé gouverneur général de l'AEF.

Après ces événements, et la visite du général de Gaulle en AEF en novembre 1940 489 , il y eut un véritable « mythe du Général de Gaulle » qui se matérialisa par la propagande autour de son nom au sein de la population gabonaise.

Plusieurs indigènes affectionnaient ce nom et le donnèrent à leurs fils ou à leurs meilleurs chiens de chasse. Il y avait aussi une danse appelée « Gaulle » 490 , pratiquée, surtout, dans le Nord-est du Gabon dan la région de l’Ogooué Ivindo, qui subsiste jusqu’à nos jours et dans laquelle le danseur principal est vêtu en général comme de Gaulle. La propagande gaulliste dans la colonie associa son nom à la démocratie, à l'émancipation des indigènes.

Cela devint plus vrai à la fin de la Guerre après la conférence de Brazzaville en 1944. Le discours de de Gaulle lors de cette rencontre devint une référence pour les indigènes gabonais et la classe politique naissante, surtout ce passage 491 :

« …il n'y aurait aucun progrès qui soit un progrès, si les hommes sur leur terre natale, n'en profitaient pas moralement et matériellement, s'ils ne pouvaient s'élever peu à peu jusqu'au niveau où ils seront capable de participer chez eux à la gestion de leurs propres affaires 492  »

L'image du Maréchal Pétain,que les indigènes gabonais comparaient au Général de Gaulle, fut associée à la souffrance, à ce qui s'est passé autrefois. Pour les Gabonais de cette époque, de Gaulle symbolisait l'avenir, l'homme de l’actif et Pétain le passé et l'homme du passif.

Une ère nouvelle s’ouvrit dans le comportement politique de l’administration, du colonat privé et des missionnaires. Ayant fait le bilan de leur action et pris conscience de leurs capacités, certains se rallièrent au gouvernement gaulliste par conviction et d’autres par opportunisme.

Les relations, entre l’administration d’une part, le colonat privé et les missionnaires d’autre part, puis des indigènes gabonais se transformèrent. Elles étaient faites d’estime réciproque entre les trois premiers partenaires, mais chacun entendait jouer un rôle prépondérant.

Notes
486.

Les troupes gaullistes s'étaient emparées du pouvoir à Brazzaville le 28 août et en Oubangui le 30 août à la suite de la colonie du Tchad le 26 août. Jean Ganiage et Hubert Deschamps, L'Afrique au XXè siècle, Sirey, 1966. Op.; Cit. p. 439.

487.

Archives CSSP. Fond Pouchet 1002, chemise 3, doc. Divers.

488.

Archives CSSP. Fond Pouchet 1001, Dossier A, chemise 3, personnel Religieux. Plusieurs autres témoignages de prêtres recueillis et conservés aux archives CSSP le confirme

489.

Jean Ganiage et Hubert Deschamps, L'Afrique au XXè siècle, 1966, Op. Cit. p. 439. Le Général de Gaulle visita le Gabon le 15 novembre 1940. C.f. BNF, Erich Lessing, Le Général de Gaulle en 1958, Paris, Magnum, 1958-1965. Dans cet album, il y a deux photos du général à Libreville le 15 novembre 1940. Cf. aussi le témoignage de Pierre Mesmer « Le dernier gaulliste », émission télévisée diffusée sur la chaîne Histoire, le 12 février 2005. Il parle longuement de la seconde guerre mondiale en Afrique, notamment la bataille décisive de Libreville.

490.

Le vrai non de cette danse est « Eko de Gaulle ». Il s’agit d’une mise en scène plus ou moins théâtrale du gouvernement colonial. Cf. Nguema Obam Paulin, Fang du Gabon. Les tambours de la tradition, Paris, karthala, 2005, Op. Cit. p. 76.

491.

Ratanga Atoz Anges, entretien du 23 novembre 2001 à Libreville et Ndombet Wilson, enseignant à l'Université Omar Bongo de Libreville, Maîtrise, 1999. D'après ces derniers, dans la mentalité collective des indigènes gabonais de l'époque, le discours de Brazzaville annonçait des changements. Par conséquent, les Gabonais voyaient dans le général le seul capable de les accomplir.

492.

Charles de Gaulle, " Discours et messages 1940-1946", Berger-Levrault, 1946.