Avant 1945, le pouvoir politique des chefs traditionnels avait été anéanti par des siècles de traite négrière, d’installation et de colonisation française. La réorganisation de la chefferie traditionnelle eut lieu en décembre 1936. Elle devint de plus en plus importante dans le système administratif colonial 510 . Sans pour autant jouer un rôle décisif, entre 1940 et 1945, l’éveil politique moderne des chefs traditionnels était visible. Ils firent des efforts pour s’intégrer à la nouvelle réalité en accordant un intérêt croissant à la gestion des terres. A Libreville, par exemple, lors d’un conflit foncier avec l’administration, les chefs traditionnels Mpongwé organisèrent un comité et firent appel à l’influence des jeunes 511 .
Le problème des chefs traditionnels demeurait avant tout l'illettrisme. Pour combler ce manque, ils se rapprochaient de l'administration même s'ils s'en méfiaient dans l'ensemble. Les chefs traditionnels n'avaient pas le choix, c'était le seul moyen pour conserver une portion de pouvoir. L’importance politique des chefs traditionnels, surtout de la côte (Mpongwè, Nkomi, Orungu et Fang), se fondait sur le discours de l’administration et des autorités métropolitaines qui aimaient revenir sur l’importance des accords signés par les premiers français avec les chefs locaux. Ils constituaient tantôt une sorte de pouvoir consultatif, tantôt une sorte de pouvoir légitimant l'administration.
Sur la base du traité du 9 février 1839, par exemple, signé entre le Roi Denis et Bouët Willaumez, représentant la France, les princes successeurs du Roi étaient considérés comme les preuves vivantes de la légitimité de la tutelle française et ils continuaient d'être leur interlocuteur auprès de la masse indigène que ces chefs devaient encadrer pour la France. Aucun chef traditionnel ne joua un rôle politique et religieux de premier plan, en dirigeant, encore moins en créant, un mouvement de revendications politiques au Gabon.
La chefferie traditionnelle se caractérisait par sa présence honorifique aux manifestations organisées par l’administration. Par exemple, lors de la célébration du centenaire de la présence française au Gabon, événement célébré en août 1950 au lieu de 1939 512 à cause de la guerre, les descendants du Roi, tel le Prince Rapontchombo, occupaient une place de choix dans les cérémonies. Sur une photographie de l’agence Keystone 513 , on voit Jacques Foccart serrer la main du Prince lors de la pose de la première pierre de la maison des descendants du Roi.
Tout compte fait, les chefs traditionnels avaient acquis une certaine importance aux yeux des colons et de la métropole. Ils n'étaient plus de simples interlocuteurs passifs des colons. Devant les différentes marques de considérations de l’administration, ils pensèrent qu’ils avaient un rôle à jouer du fait que leur place était garantie officiellement. Conscients toutefois de leurs limites dans l’usage du français ils demandaient le soutien des jeunes qui désiraient s'engager dans le combat politique moderne. De nombreux candidats lors des élections firent de cet appui un gage, une sorte de caution indispensable.
Le rôle des chefs traditionnels dans l’éveil politique au Gabon était donc indirect. Ils constituaient surtout des agents de propagande indéniable. Mais à cté des chefs traditionnels il y avait les anciens combattants dont les revendications furent parfois politiques.
CAOM, (Aix-en Provence) Sous série 5D Dossiers divers et affaires politiques, Carton 5D 61, Réorganisation des chefferies : arrêté du 28 décembre 1936
DOCSSP Guy Laséré, Libreville et sa région, Op. Cit. p. 304. DOCSSP Boîte E XXIII, s. n, Réalités Gabonaises.
CAOM, Carton 5D 253, Commémoration du centenaire de la présence française au Gabon (1950). C'est en 1939 qu'aurait du être célébrer le centenaire de la présence française au Gabon mais l'imminence de la Guerre avait retardé les manifestations.
Archives de l’Institut Charles de Gaulle, Photothèque : « les photos de la célébration du centenaire de la présence française au Gabon », août 1950