 Les anciens combattants

Estimés à près de 1.000 individus au Gabon à la fin de la Guerre, les anciens combattants 514 ne donnèrent pas naissance à un mouvement de contestation. Les velléités d’action violente, qu’il s’agisse des élites ou de la masse des anciens combattants, furent négligeables même si une partie se montrait susceptible de fonder des mouvements revendicatifs dans les grands centres urbains comme Libreville et Port-Gentil.

Cette attitude peut être attribuée à l’esprit de discipline que leur avait inculqué l’armée et à la notion de respect et d’honneur que prônaient les missionnaires. Ils se contentaient au retour de la guerre des médailles et de la renommée. 515 Le rôle des anciens combattants du Gabon resta limité, malgré leur assez bonne information sur l’évolution politique dans les colonies, acquise auprès des soldats métropolitains et autres africains, quand on la compare au reste des indigènes, surtout les villageois.

Les anciens combattants ne furent ni fondateurs, ni membres actifs des premières structures politiques modernes des indigènes au Gabon malgré des tentatives, comme celle de Léon Mba 516 ancien exilé politique en Oubangui Chari, qui fit célébrer une messe de Requiem en mémoire des victimes des Guerres 1914-18 et 1940-45  517 .

L'administration, toutefois, savait que les anciens combattants du Gabon pouvaient être « une force agissante » car leur émancipation avait atteint un certain niveau. Elle créa en AEF un « Office d'anciens combattants et des victimes de guerre » où pouvaient siéger les représentants de tous les territoires.

Après avoir fait partie de " l'Union nationale des anciens combattants", une organisation métropolitaine dont les sections locales étaient présidées par des Français, les anciens combattants du Gabon, en 1941, la quittèrent pour être autonomes et pour soutenir le Général de Gaulle car "l'Union nationale…" était restée vichyste.

En 1947, les anciens combattants étaient mieux considérés au Gabon. Leur statut et leur importance dans la propagande anticoloniale étaient reconnus par les populations et l'administration 518 . Pour éviter toute rupture avec les anciens combattants, une mission conduite par Ligier Henri était passée par le Gabon pour mener une enquête et les recenser. Le versement des pensions était loin de satisfaire tous les anciens combattants et l'administration n'encouragea pas leur regroupement systématique dans le territoire 519 . La hantise des émeutes orchestrées par les anciens combattants, dans d'autres territoires, habitait toujours l'esprit des colons français du Gabon.

Les rapports des fonctionnaires coloniaux de l'époque en témoignent:

‘« Laissé à eux mêmes, abandonnés aux propagandes militantes, ils (les anciens combattants) peuvent […] devenir des meneurs et des cadres dangereusement expérimentés » 520

Cette opinion eut pour conséquence d'accroître l'importance des anciens combattants dans les milieux indigènes. Ceux-ci ne manquaient pas de brandir une menace verbale qui faisait d'eux des éléments essentiels de la nouvelle société car ils contribuaient à leur manière à l’effritement du mythe de « l'homme blanc », en se proclamant d’agir capables s'ils avaient des fusils.

‘« […] nous pourrions chasser les blancs chez eux […] nous avons vu leur pays […] ils ne sont que des hommes comme les autres, pas plus civilisés que nous […] ici, (au Gabon) ils sont tous des gouverneurs […] nous obligent à faire des choses que nous ne voulons pas […] » 521

Malgré toutes ces déclarations aucun ancien combattant ne s'engagea véritablement dans la vie politique tout de suite au Gabon. Comme les chefs traditionnels ils ornaient les cérémonies organisées par l'administration coloniale ou les autres colons du Gabon. Ils constituaient des objets de propagande pour les acteurs politiques.

Notes
514.

Contrairement à l’AOF., il n’y a pas encore d’étude spécifique sur les anciens combattants en AEF, encore moins au Gabon. Il existe au Département d’Histoire à l’Université du Gabon un mémoire de maîtrise sur la colonie du Gabon dans la guerre et ce nombre de 1000 est avancé par Florence Bernault dans son ouvrage Démocratie ambiguë en Afrique Centrale. Op. Cit. p. 76.

515.

CAOM, 5D 204, Anciens combattants en AEF (1941-1954)

516.

Léon Mba : ancien chef de tribu, de village et de canton, fit son entrée en politique en 1945. Cf. CAOM, 5D69, Affaires Léon Mba (1926-1939)

517.

Entretien avec le Père Gilles Sillard, 94 ans, 45 ans au Gabon, à Chevilly-Larue le 2 mars 2000. Léon Mba voulait, en demandant cette messe, s’attirer la sympathie des populations indigènes et de l’administration évidement des anciens combattants.

518.

ANG, Fond ANSOM, tous les rapports de police entre 1945 et 1950 font état du discours des anciens combattants dans les couches indigènes. Dans l'ensemble ils tenaient un discours modéré pas trop méchant pour perturber l'ordre.

519.

ANSOM, 5D 159 et 254, Rapport des chefs de territoire sur les anciens combattants. ANSOM, 5D 159 Rapport de l'administrateur Christiani sur les anciens combattants

520.

ANG, fond ANSOM, Circulaire du gouverneur général Chauvet aux chefs de territoire à propos des anciens combattants, n° 978/APA du 1er juillet 1952. Il avait envoyé cette circulaire à la suite des événements de Logone au Tchad après les élections territoriales de mars.

521.

ANG fond ANSOM, extrait d'un rapport de police de 1949.