 La chefferie administrative

La troisième couche sociale qui a participé à l'éveil politique au Gabon est la chefferie administrative. Elle avait aussi un rôle politique restreint mais beaucoup plus efficace que les chefs traditionnels et les anciens combattants. Elle se subdivisait généralement en trois catégories : les chefs de cantons (ensemble de tribu), les chefs de terres (ensemble de villages) et les chefs de villages. En faisaient également partie les chefs de quartiers dans les communes autonomes. La chefferie administrative se substituait aux hiérarchies inférieures avec, en moins, les prérogatives qui s’y rattachaient. Sur le terrain elle demeuraient la cheville ouvrière du système colonial : un moyen d’exécution décisif qui, au bas de l’échelle, devait satisfaire à toutes les exigence de la hiérarchie 522 . La société coloniale tentait de faire oublier cette réalité en parlant « d’association et de participation ». La chefferie administrative au Gabon était ainsi à la base de la cohésion sociale.

Dans l’ensemble, elle a conservé un statut ambigu. D’un côté, elle apparaissait comme le témoignage du respect des coutumes et des institutions sociales et politiques locales. D’un autre, elle n’existait que par la volonté de l’administration. Ce sont peut être les raisons pour lesquelles la chefferie administrative, au début de l’éveil politique, en 1945, ne s’engagea en politique qu’avec l’étiquette d’indépendants. C'était le cas de Mba Camille, Mendane Ndong Manfred (tous les deux de la région du Woleu Ntem), Mouanga Noudouba Joseph (Ngounié) et Tsamba Albert (Ogooué Ivindo), qui furent élus en 1947 à l’assemblée consultative 523 .

La chefferie administrative jouait le rôle de relais politique surtout en milieu rural, elle n’était pas très appréciée par la masse de la population indigène.

Dans les grands centres urbains comme Libreville et Port Gentil, qui étaient des communes mixtes respectivement depuis 1911 et 1936 524 , les chefs administratifs de quartiers ou de tribus, servirent de cible au mécontentement des jeunes évolués passés par les écoles missionnaires ou publiques. Les chefs administratifs étaient souvent considérés comme les espions et les faire-valoir de l’administration coloniale. De plus en plus les indigènes voulaient que ces chefs administratifs fussent remplacés par des jeunes plus dynamiques et sachant poser des revendications politiques; des jeunes instruits dans les écoles des blancs. 525

Le salut politique des membres de la chefferie administrative ne pouvait venir que d'un affranchissement, en changeant de catégorie sociale. En devenant des notables évolués 526 , ils pouvaient espérer une reconnaissance politique. Plusieurs membres de la chefferie administrative et futur acteur politique demandèrent le statut de notable évolué qui constituait une sorte d’affranchissement. Les exemples les plus illustres sont ceux de Jean Hilaire Aubame et de Léon Mba, ancien chef de canton, donc membre de la chefferie administrative qui, après son retour d’exil d'Oubangui-Chari, travailla comme douanier, et put ainsi s’engager en politique.

Notes
522.

CAOM, 5D 61, Chefferies du Gabon.

523.

Ces personnes étaient pour la plupart des chefs de terre ou chef de canton et jouissaient d’une renommée sur le terrain. Ce qui aurait pu leur permettre de faire une bonne carrière politique mais leur entente avec l’administration les discrédita assez rapidement.

524.

DOCGAB, JOAEF, Arrêtés réorganisant les communes mixtes en AEF, 1937

525.

CAOM, 5D 61, Chefferies du Gabon.

526.

CAOM, 5D 207, Politiques indigènes – notables évolués.