 Les conséquences de la constitution de l'Union française au Gabon

Ce qui était important pour les colonies, à travers la constitution et l'Union française, c'est que les colonies furent élevées au rang de Territoire, en ce qui concerne le Gabon par exemple.

Ensuite, la constitution permettait la mise en place dans ces territoires d’Assemblées locales « aux pouvoirs assez étendus » au même titre que les Conseils généraux en métropole.

Les Assemblées devaient voter la totalité des budgets, des impôts et détenir des attributions administratives importantes dans les domaines des travaux publics et de l'enseignement par exemple. 582 Enfin, et ce n'était pas négligeable car « cela a donné un certains zèle aux Gabonais » 583 , la constitution donne définitivement la citoyenneté française à tous les ressortissants de l'Union comme l'avait proposé la Loi Lamine Guèye du 7 mai 1946.

Désormais, il n'y avait plus de sujet. La révolution de 1789 et la Déclaration des droits de l'Homme s'étendaient Outre-mer. A travers le texte de la constitution de la IVè république qui fonde l'Union française les Gabonais, au-delà tous les peuples colonisés par la France recevaient ainsi toutes les libertés: réunion, association, circulation, presse.

La conséquence politique de cette citoyenneté fut inéluctablement l’organisation des élections, pour confirmer la volonté démocratique préconisée dans le préambule. Il ne suffisait pas d'élever les indigènes à la citoyenneté mais il fallait l'exercer par la pratique du vote.

Il fallait donc constituer un électorat même s’il fut limité à certaines catégories de personnes: les indigènes évolués. 584 La naissance d’une vie politique moderne au Gabon a ainsi été portée sur les fonds baptismaux, à partir de 1946, grâce à la constitution de la IVè République, par la pratique du vote. Comme dans toutes les colonies de l’AEF, l'électorat fut divisée en deux collèges: le collège des métropolitain et le collège des indigènes qui à chaque élection, entre 1945 et 1956, était révisé.

Le texte de la Constitution de 1946 qui institue la quatrième République permit donc aux Gabonais de voter afin d'élire quelques-uns des leurs dans les différents organes politiques de l'Union: soit à l'Assemblée de l'Union, soit au Grand Conseil de Brazzaville, soit à l'Assemblée locale. 585 Les avancées sont significatives à travers cette constitution même si, comme nous le verrons plus tard la réalité sur le terrain n'était pas encourageante. Le texte amorce « l'idéal philosophique de Brazzaville 586  » en 1944, en confirmant cette affirmation du Général de Gaulle qui avait indiqué, comme un devoir pour la France d'élever, par étapes, les Africains, donc les Gabonais «  jusqu"au niveau où ils seront capables de participer chez eux à la Gestion de leurs propres affaires. » 587 .

La constitution de 1946 définit la seconde étape théorique de l'apprentissage par les Gabonais de la gestion de leurs propres affaires.

Il convient de voir comment se sont effectuées la mise en place et l'application des dispositions de la constitution au Gabon. Au centre de l'application des dispositions de l'Union française au Gabon, ise trouvent le personnel de l'administration et les colons privés.

Le personnel de l'administration coloniale a joué un rôle très particulier dans la mise en place de l'Union. En effet, l'administration coloniale avait conservé une place prépondérante dans la gestion de la colonie. « L'Assemblée de l'Union », au sein de laquelle le Gabon n'avait qu'un seul élu en la personne de Jean Hilaire Aubame, avait aussi toute compétence législative pour le Territoire du Gabon. Même si « l'Assemblée locale » votait le budget et les impôts, en réalité elle ne donnait que des avis législatifs pour le territoire. De plus, dès 1946, l'influence du colonat privé, élu par le collège des européens à « l’Assemblée locale », fut aussi très importante, comparativement à celle des indigènes élus dans la même Assemblée.

Les cinq Gabonais élus au « Grand Conseil de l'AEF » n’avaient pas davantage de pouvoir car ce Conseil n'avait que des compétences administratives, tandis que le Gouverneur général à Brazzaville, le gouverneur territorial à Libreville, les chefs de régions et de subdivisions conservaient la réalité du pouvoir exécutif.

Cet état des choses révélait les contradictions de la Constitution de 1946. Le droit des peuples et des individus y était confondu, du moins dans l’application. A partir de 1946, on assiste à une montée en puissance du colonat privé dans la vie politique au Gabon. S'il est vrai que l'administration conservait une certaine influence, l'action des forestiers et autres n'était plus négligeable. L'idée et les projets d'Union française suscitaient des inquiétudes dans la communauté française du Gabon, davantage chez les colons privés que chez les missionnaires. De la même manière, qu’entre 1844 et 1896, les marins reprochaient aux missionnaires de vouloir faire des indigènes Gabonais des citoyens du ciel avant d'en faire des hommes, apès 1946 les colons privés en voulaient à l'administration qui allait trop vite dans l’évolution politique.

Les rivalités entre colons privés et l'administration au Gabon devinrent de plus en plus visibles. Les moyens et les lieux d'expressions étaient multiples pour les Européens du Gabon: la presse, la Chambre de commerce, les cercles. 588

Devant les projets et les idées d'Union française, les colons privés du Gabon se mobilisaient et décidaient de faire entendre leur voie hors des frontières. Une mobilisation qui attisa l’intérêt des Gabonais pour la vie politique 589 .

A la fin de la guerre déjà, face à une évolution trop rapide qu’annonçait les réformes de 1946, sur les droits politiques des Gabonais, les membres de la Chambre de commerce du Gabon s'étaient unis à leurs collègues des Chambres de commerce des colonies voisines en AEF, en 1945, pour s'opposer au projet de réorganisation du Gouverneur Général Bayardelle, successeur de Félix Eboué 590 .

Quelques mois auparavant, en août 1945, les colons privés du Gabon étaient aussi solidaires des autres acteurs économiques coloniaux en Afrique. En effet, ils avaient participé au congrès de Douala présidé par Jean Rose 591 . Les conclusions de ce congrès avaient suscité un réel émoi dans la petite classe politique gabonaise en gestation. Les congressistes de Douala avaient insisté sur la primitivité des autochtones et n'envisageaient pas, à ce moment, l'application des plans de reforme préconisés à Paris et à Brazzaville.

Cette opposition des colons du Gabon à la mise en place effective des dispositions de l'Union française a donc débouché sur leur engagement politique pour mieux défendre directement leurs intérêts économiques qui dépendaient après 1945 des décisions politiques. Par conséquent, la constitution de la IVè République, créant l'Union française, a permis non seulement un éveil politique moderne mais elle a aussi introduit de nouveaux acteurs dans la gestion économique, sociale et politique du Gabon.

La configuration des institutions et les noms des acteurs politiques vont le confirmer car, dès 1946, les élus et ceux qui formaient l'Assemblée consultative de 1947, l'Assemblée Territoriale de 1952 et 1957 sont issus en grande majorité: pour le premier collège des colons privés du Territoire et pour le second collège de la bourgeoisie salariée et dans une moindre mesure de la chefferie administrative.

Notes
582.

CAOM, 5D 226, La constitution de 1946 en AEF (1946-1953).

583.

Témoignage deRatanga Atoz, Professeur d'Histoire à l'Université, Entretien oral du 23 novembre 2001 à Libreville.

584.

CAOM, 5D 226, Politique de l’Union française en AEF voir aussi CAOM, 5D 207, Politique indigène- le vote des notables évolués

585.

CAOM, 5D 226, La constitution de 1946 en AEF.

586.

Expression souvent utilisée par Wilson Ndombet (Docteur en Histoire et en Science politique), enseignant à l'Université Omar Bongo de Libreville, dans son cours, aux étudiants de maîtrise 1999, intitulé " Gestation de l'Etat en Afrique au Sud du Sahara ".

587.

Discours d'ouverture de la Conférence de Brazzaville par le Général de Gaulle. Charles de gaulle, "Discours et messages 1940-1946" Berger-Levrault, 1946.

588.

Exemple Marchés coloniaux du monde. Cf. CAOM, 5D 148, Renseignements généraux concernant la presse en AEF (1934-1951) – locale – métropolitaine– étrangère -Bulletin d’information de l’AEF

589.

Ratanga Atoz Anges, Entretien oral du 23 Novembre 2001, à Libreville.

590.

CAOM, 5D 200, Organisation administrative : (1940-1950)- Rapports sur les mesures de déconcentration administrative - projet général de la déconcentration. Cf. aussi Jacques valette, Op. Cit. p. 143.

591.

L'action de Jean Rose est abordé par deux historiens africanistes: Joseph-Roger de Benoist et Suret Canal dans leur ouvrage Afrique occidentale française, Op. Cit. p. 60, Afrique noire occidentale, Tome I, Op. Cit. pp. 44-72.