1- Le rôle des missions et des écoles chrétiennes à partir de 1946

En principe, les missionnaires des deux confessions ne formaient pas les indigènes Gabonais pour qu'ils deviennent des hommes politiques.Ils voulaient officiellement instaurer le règne de Dieu au Gabon. Mais on ne peut nier le rôle et l’influence de leurs écoles.

● L’influence des écoles chrétiennes

La constitution d'une élite politique au Gabon s'est faite en dehors ou contre la volonté des missionnaires qui, malgré les efforts consentis pour conserver leurs meilleurs élèves, comme catéchistes ou les engager dans une carrière religieuse, voyaient ces derniers, à la fin de leurs études, trouver un emploi dans l'administration, chez les forestiers ou dans les maisons de commerce.

C'est au contact des colons que les Gabonais apprenaient la politique. Le développement des écoles missionnaires était donc une aubaine pour les colons du Gabon. Cette importance de la formation des jeunes par les missionnaires a, du reste, été reconnue à Brazzaville dès 1944. En effet, à partir de cette date, les colons du Gabon recherchaient particulièrement une main d'œuvre indigène instruite qui était meilleure marché par rapport aux jeunes venus d'Europe.

Avant 1945, la défection de leurs meilleurs élèves était une catastrophe pour l'œuvre éducative des missionnaires. Ils ne manquaient pas de manifester leur mécontentement face à cette situation.

Ce mécontentement était également entretenu par leur méfiance à l'égard de l'administration et des colons privés, des milieux très souvent réfractaires à la religion et anticléricaux 594 .

Entre 1945 et 1960, après les déclarations de Brazzaville, le déroulement des premières élections, la Loi cadre de 1956, les missionnaires comprirent que, malgré les objectifs non atteint totalement sur le plan de l'évangélisation, leur système éducatif comportait quelques avantages. Comme les membres de l'administration étaient nommés par le gouvernement français et exerçaient une influence sur les personnes notamment les indigènes, surtout les jeunes; et comme les colons privés contrôlaient le domaine forestier et commercial, les missionnaires essayaient de maintenir des relations cordiales et de courtoisies afin que ceux-ci soutiennent l'œuvre des missions.

Dès 1946, avec les élections, ces relations devinrent plus étroites car les personnes élues avaient des prérogatives grandissantes dans la gestion du territoire. Les premiers élus du collège européen au Gabon, Gabriel d'Arboussier en 1945 puis Maurice Bayrou en 1946, et les élus du collège indigène, Jean Félix Tchikaya en 1945 puis Jean Hilaire Aubame en 1946 ne pouvaient être rangés à la même enseigne. Mais ces élus, surtout Jean Hilaire Aubame (ancien élève de l'école missionnaire) prenaient de plus en plus d'importance dans la vie politique, dans les décisions pour l'avenir du territoire et bénéficiaient déjà d'une forte influence sur les autres Gabonais.

Dès cet instant les missionnaires prirent conscience du rôle que pouvaient jouer leurs anciens élèves dans la nouvelle vie politique du Gabon. L'attitude adoptée dès lors visa à soutenir leurs anciens élèves en demandant aux fidèles de voter pour le candidat qui favoriserait les missions et officieusement de former une élite d'anciens élèves qui prenaient part à la vie politique. 595 Cela est d'autant plus vrai que la plus grande partie des candidats du second collège aux élections entre 1945 et 1952 étaient des anciens élèves des écoles missionnaires.

Cette tendance n'avait pas totalement disparu aux élections suivantes en 1957. 596 . Il ne faut pas oublier que, jusqu'en 1907, les catholiques et les protestants étaient les seuls à instruire les Gabonais, puis gardaient une prépondérance. Par conséquent il n'est pas étonnant de constater que parmi les premiers hommes politiques du Gabon on retrouve leurs élèves.

Une liste 597 des anciens élèves des écoles Montfort de Libreville et Port-Gentil permet de vérifier que les six hommes importants de la vie politique au Gabon, quelques années avant et après l'indépendance, ont étudié chez les missionnaires, surtout catholiques. Il s'agit de Jean Hilaire Aubame (député du Gabon à l'Assemblée nationale), Paul Indjendjet Gondjout (sénateur), Léon Mba (premier maire élu de Libreville, Premier ministre puis Président de la République), Louis Emile Bigman, Georges Damas Aléka, (tous membres du conseil municipal de Libreville et futur Président de l'Assemblée Nationale gabonaise après l'indépendance).

Les missionnaires avaient aussi vu plusieurs de leurs anciens élèves s'intéresser aux affaires dans le domaine privé. Cette liste comporte un certain nombre de Gabonais qui étaient soit commerçants, soit exploitants forestiers. Même si ces derniers ne s'engageaient pas directement dans la vie politique, ils soutenaient néanmoins les autres en leur apportant des soutiens financiers et des relations avec les « Blancs », de la colonie qu’ils croisaient et côtoyaient dans les milieux d'affaires, par exemple à la Chambre de commerce.

Parmi ces propriétaires privés ayant étudié chez les missionnaires figuraient André Gustave Anguilé, Olivier Ambay, Etienne Kingbell, Ignace Bekale qui était devenu El Hadj Ignace après sa conversion à l'Islam, Théophile Onwandault, André Condo, Pierre Dickson. Toutes ces personnalités étaient très souvent originaire des régions de la côte, Libreville ou Port-Gentil, où elles résidaient.

Notes
594.

Archives CSSP, les Rapports des missionnaires du Gabon entre les deux Guerres fustigent l'attitude de l'administration et de certains européens de la colonie qui " encourageaient la Franc-maçonnerie". Les missionnaires, dans ces Rapports s'opposent aux Blancs du Gabon à cause de leur style de vie incompatible au christianisme. Malheureusement ils ne précisent pas les griefs mais par les témoignages oraux populaires. Les missionnaires ne s'entendaient pas avec les autres blancs à cause de leur vue de débauche, et de la marginalisation des indigènes pour ceux qui avaient une bonne situation sociale.

595.

CAOM, 5D 306, Enquête du ministère des Colonies sur les missions religieuses en AEF (1945-1947)

596.

CAOM, 20D 1, Elections des membres du Conseil représentatif (1946 – 1947)- Scrutin des 5 décembre 1946 et 12 janvier 1947 Cf., 20D 2, Elections aux assemblées territoriales (1947 – 1952).

597.

Archives CSSP, Boite 351, Dossier A, Chemise 3. Cette liste est très large. Etablie par Louis Emile Bigman elle cite tous les cadres du Gabon, de son époque en 1950, passés par les écoles catholiques.