●L’action des missionnaires et la politique indigène

Un document envoyé par le cabinet du Gouverneur général de l’AEF, en 1949, au ministre de la France d’outre mer reconnaît qu’ « il est impossible de préciser dans une seule formule la valeur intellectuelle, sociale et morale des indigènes chrétiens » 598 . Par cette affirmation, l’administration coloniale reconnaissait le degré variable d’émancipation des indigènes gabonais grâce à l’action des missionnaires.

L’action missionnaire au Gabon a aidé l’administration à conduire les indigènes vers l’émancipation politique. Sur certains aspects son but était proche de celui de l’administration. Cette action tendait pour une part à « occidentaliser » les autochtones ou du moins à les « désafricaniser » 599 .

Elle était superposable à celle de l’administration. Parfois elle était même plus émancipatrice. Les missionnaires s’opposaient par exemple à l’administration sur l’éducation et la formation des élites. Les missionnaires n’enseignaient pourtant pas la désobéissance. Mais leur action démontrait que le point de vue religieux était parfois différent du point de vue social et politique.

Au Gabon, entre 1945 et 1960, la conception de l’émancipation politique et sociale des indigènes entre les missionnaires et l’administration divergeait seulement dans la forme. L’administration considérait que la discipline catholique était trop uniforme dans l’espace et dans le temps, pour s’adapter parfaitement aux besoins d’une évolution continuelle qui à cette époque n’était qu’à ses débuts. Les missionnaires espéraient que les indigènes, tout en s’émancipant sur le plan politique et social, considèrent beaucoup plus l’aspect moral que les choses matérielles. 600 Si l’influence des missionnaires sur les indigènes s’exerçait principalement sur le plan spirituel, elle avait aussi une dimension intellectuelle.

Sur le plan intellectuel, l’indigène christianisé était, du point de vue de l’administration, un « évolué » sur lequel elle pouvait s’appuyer. A partir de 1945, les catéchistes ont constitué le principal maillon de la chaîne d’émancipation politique au Gabon. Car l’action des catéchistes, sous l’impulsion des missionnaires, tendait à réduire l’autorité des chefs sur lesquels s’appuyait jadis l’administration coloniale. La pensée du Gouverneur Eboué en 1941, selon laquelle « L’indigène trouve dans l’enseignement chrétien, non seulement, une consolation et un appui, mais aussi le principe de responsabilité. » 601 , devint ainsi une réalité à partir de 1946.

Plusieurs catéchistes se sentirent investis d’une responsabilité sociale et politique au point de s’engager dans le combat électoral 602 . Cet engagement aurait pu constituer une base pour les missionnaires. Mais ce n’était pas totalement le cas. De son côté, avant 1946, l’administration avait des doutes sur le résultat et l’action des catéchistes indigènes. Pour elle les catéchistes étaient des « ignares ou superstitieux qui ne retiennent le plus souvent du dogme que les parties troubles  603 ».

Dans tous les cas l’influence ou la contribution des missionnaires à la vie politique est indéniable. Cependant, entre catholiques et protestants, il y avait aussi un écart. Ces derniers exerçaient une influence comparable, en qualité, à celle des catholiques pourtant majoritaires au Gabon. Elle était même plus profonde, au point de vue moral, à cause du caractère moins spectaculaire et moins exterieur, selon certains rapports, du culte protestant. 604

Notes
598.

CAOM, 5D 87, Affaires religieuses. (1928-1954). Jugement sur les missions du Gouverneur du Gabon, Annexes N°3 du Document envoyé par le cabinet du Gouverneur général le 29 juin 1949, au ministre de la France d’outre mer.

599.

CAOM, 5D 87, Jugement sur les missions, Id. & Ibid.

600.

CAOM, 5D 170, Missions religieuses françaises et étrangères au Gabon (1936-1954)

601.

CAOM, 5D202, Politique indigène du gouverneur Eboué, Circulaire de 1941.

602.

CAOM, Sous série 20D, carton 20D 1 : Elections des membres du Conseil représentatif (1946 – 1947)- Scrutin des 5 décembre 1946 et 12 janvier 1947. Le nombre de catéchistes candidats dans la 2è collège aux élections locales le prouve. On peut aussi le vérifier en regardant les listes des élus. Les catéchistes étaient bien représentés.

603.

CAOM, 5D170, Missions religieuses et étrangères en AEF. Note pour le Gouverneur général de l’AEF du 2 mars 1946 N° 161/API par Fournier.

604.

CAOM, 5D 87, Affaires religieuses, jugements sur les missions.