 Léon Mba entre 1902 et 194

Léon Mba Minko, avait vu le jour le 9 février 1902 à Libreville au village Keleré, à l'endroit actuel où se trouve son mausolée près de l'hôpital général. Il appartenait à un famille d'évolués et chrétienne: son père, Isidore Minko mi Edang était un petit gérant de commerce et sa mère Louise Bendome était une couturière.

Photo 13 : Léon Mba Minko
Photo 13 : Léon Mba Minko

Source : DOCOPM

Entre 1902 et 1924, Léon Mba avait connu une jeunesse paisible grâce à ses parents et son frère aîné Jean Obame, un prêtre catholique ordonné le 4 mai 1919 et mort en 1934 605 . Sur les traces de Jean Obame, il avait fréquenté l'école de la Mission catholique à partir de 1909 jusqu'à l'obtention du brevet élémentaire. Ce diplôme lui avait permis d'être engagé par l'administration coloniale comme cadre indigène. Léon Mba avait donc eu une scolarité linéaire, rapidement interrompue pour des besoins de survie car à l'âge de 22 ans, en 1924, il était devenu chef de canton (membre de la chefferie administrative).

C'est entre 1924 et 1931 que Léon Mba avait expérimenté la rigueur du pouvoir. Pendant cette période il a de nombreux démêlés avec les chefs traditionnels et avec les missionnaires. Cette expérience de chef se termine mal puisqu'il est condamné à l’exil en Oubangui Chari. Devenu chef de canton en 1924 en remplacement de Ndongo 606 , Léon Mba avait été une exception car l'administration avait l'habitude de choisir ses chefs parmi les hommes mûrs. Mais l'exercice de son pouvoir avait fait des mécontents.

D'abord les chefs traditionnels Fang qui l'accusaient de négliger leurs conseils. Mais Léon Mba s'affirmait surtout comme le leader des jeunes intellectuels, et il se distinguait par la dureté de son commandement: « ayant pour mission de faire respecter l'ordre public et défendre l’intérêt général », comme le lui demandait l'administration.

Il précisait qu'il « […] ne souffre pas qu'on transgresse les ordres reçus de l'autorité que je représente 607  ». Cette expérience de chef administratif indigène lui avait permis de développer et de mettre par écrit en 1938, le Droit coutumier Fang sous forme d’Essai 608 .

Dans l'exercice de sa fonction de chef de canton, il était amené à instruire certaines affaires relevant du droit coutumier c'est à dire les conflits civils du premier degré. Sa forte personnalité, son intelligence de la négociation faisait autorité. A travers cet Essai, Léon Mba voulait faire un document qui auarit la même importance que le code civil français dans son groupe ethnique. Le document trahissait les ambitions normatives de Léon Mba de faire de l'indigène fang un égal de l'homme blanc. Il s'était inspiré du droit canon et du code Napoléon.

Sa perspicacité et sa sagacité se retournèrent contre lui au moment où il pensait devenir un chef incontestable. Il entra en conflit simultanément avec l'administration et les missionnaires, car il devenait incontrôlable. 609 Entre 1920 et 1930 Léon Mba avait accumulé un passif considérable au point d'être devenu suspect. Mais l’administration n'avait pas de motif valable pour se débarrasser de lui. La hiérarchie catholique aussi était inquiète car elle avait perdu tout contrôle sur son ancien élève.

Léon Mba entretenait des liens avec la Ligue des droits de l'Homme de Libreville fondée en 1918 par Jean Baptiste Ndendé. Il collaborait avec les rédacteurs du Journal Echos gabonais 610 , fondé à Dakar par deux évolués gabonais Laurent Antchouey et Louis Bigman, entre 1922 et 1924. Les missionnaires le soupçonnaient, dans le même temps, de forger des liens solides avec les francs-maçons de la colonie 611 . Son appartenance à la Franc-maçonnerie est affirmée par le témoignage de Louis Sanmarco.

‘« S’il était devenu maçon tout en suivant les règles de la société traditionnelle du Mbouiti, c’était à la fois parce qu’il avait vu un moyen d’arriver (dans un cadre bien français) et parce que les hommes d’affaires français qui l’avaient initié voyaient un homme plus ouvert à leurs intérêts » 612

Léon Mba cherchait le pouvoir et entendait l’exercer avec passion et rigueur. Les administrés étaient les premiers à s’en plaindre. Ceux qui n'arrivaient pas à se faire entendre auprès de Léon Mba ou de l'administration se tournaient vers les missionnaires.

C'est le cas en 1929 de Jean Marie Essiane, un catéchiste, employé des douanes qui était allé voir le Père Defranould, supérieur de la mission Sainte Marie pour intervenir en sa faveur auprès du maire européen de Libreville, chef hiérarchique, qui devait convoquer Léon Mba pour s'expliquer sur son attitude négative contre Jean Marie qu'il empêchait d'exercer son ministère de catéchiste.

Le maire adressa une convocation à Léon Mba. Mais ce dernier, avant de s'exécuter, avait tenu aussi à répondre par écrit au Père Defranould. Une lettre sulfureuse 613 , dans laquelle Léon Mba, tout en rappelant les faits sur la plainte, précisa qu'il n'avait pas peur, qu'il était prêt à s'expliquer devant le maire même s'il acceptait un arrangement à l'amiable.

Léon Mba, dans cette lettre, critiquait l'attitude du « Père et juge » l'Eglise catholique. Rappelant qu’il avait facilité l'entrée à la douane de Jean Marie Essiane, Léon Mba s’en prebait à l'Eglise qui défendait Jean Marie et regrettait que les missionnaires, aveuglés, ne voient pas ses efforts pour la réussite des missions, notamment ses interventions pour faciliter l'intégration des missionnaires nouvellement arrivés au Gabon, le versement du denier du culte et les cotisations pour la construction des écoles. Léon Mba menaça de porter plainte car il était peu accoutumé à ce genre de pression. Il ajoutait qu'il préférait avoir affaire au maire, aux sénateurs, aux députés, qui s'adressaient à lui en des termes plus simples.

‘« Même si j'ai été élevé à la mission, mais enfin! (Sic) je suis devenu un homme et j'occupe une situation dans l'élite indigène. Je mérite tout de même une considération sinon totale, du moins partielle. On peut être noir et ce n(est pas un crime, on peut être un pahouin (fang) et savoir son droit. Je vous dois de la reconnaissance et non l'obéissance 614  » ’

Il promit néanmoins d’infomrer son frère aîné l'abbé Jean Obame. Mais il ajoutait qu’il regrettait que le sein de sa regrettée mère, Louise Bedome, ait pu donner naisance à un abbé dont les collègues lui portaient préjudice. Cette lettre confirme la rupture entre Léon Mba et les missionnaires. Certains abbés indigènes tentère de réconcilier Léon Mba avec la Mission catholique mais sans succès.

L'abbé Jérôme Mba (ordonné le 18 août 1923), interpella aussi Léon Mba sur ses agissements et lui demanda des comptes à propos d'un jeune homme qu'il voulait frapper alors qu’il apportait une lettre rédigée par l’abbé. Léon Mba expliqua que le jeune lui avait répondu de manière insolente comme s’il avait été préparé pour le faire 615 .

Adepte d'une religion traditionnelle, le Bwiti, entre 1920 et 1930, Léon Mba fut accusé de cannibalisme par l'administration et par les missionnaires. Les missionnaires craignaient la montée de cette religion traditionnelle. Les colons du Gabon et les missionnaires avaient une vision négative de ce culte car, estimaient-ils, les adeptes étaient empoisonnés par une drogue rituelle iboga. 616 Des sacrifices humains seraient également pratiqués par les adeptes. Mais jusqu'à ce jour les preuves formelles n'ont jamais été apportées et les pratiquants de cette religion s'en défendent 617 .

L'administration et les missionnaires accusaient Léon Mba d'encourager cette religion soupçonnée de cannibalisme dans son canton. Ils reprirent une version populaire, plus exotique que fondée, faisant penser à à l’histoire rapportée par Paul Bélloni Du Chaillu 618 qui aurait vu un homme fang revenant du marché en portant un bras d'être humain sur son épaule. Léon Mba fut accusé en 1931 d'avoir assassiné une femme et d'avoir vendu son corps au marché. Nous pensons qu'il s'agit d'une confusion de la tradition orale avec le récit de Du Chaillu, mais les missionnaires s'étaient servis du récit pour briser l’influence de celui qui se voulait déjà défenseur des valeurs traditionnelles.

L'administration et les missionnaires contribuèrent activement à réduire le rayonnement de Léon Mba et à exploiter la rancœur de ses adversaires qu'ils obligèrent à porter plainte et venir témoigner contre lui lors du procès de 1931. Condamné à trois ans de prison puis à l'exil, il fut déporté en 1932 en Oubangui Chari, à Birao, puis Bambari.

Entre 1932 et 1945, c'est la traversée du désert pour Léon Mba qui en profita cependant pour changer son image auprès de l'administration et publier son Essai sur le droit coutumier pahouin en 1938. Entre temps son principal rival politique dans les années 1950, Jean Hilaire Aubame émergea.

Notes
605.

Raponda Walker, Souvenirs d’un nonagénaire, 1993 (listes des prêtres Gabonais avant 1963). Cf. aussi DOCATGAB, Jacques Hubert, Album souvenir du 150 ème anniversaire, 1994.

606.

CAOM, 5D 69, Affaire Léon Mba 1926-1939

607.

CAOM, 5D 69, Lettre de Léon Mba, Ndendé le 6 août 1930.

608.

CAOM, 5D 103, Essai de droit coutumier pahouin Bulletin de la société des recherches congolaises, 1938, 51p.

609.

CAOM, 5D 69, Affaire Léon Mba, 1929.

610.

Ce journal, l'ancêtre de la presse écrite gabonaise, servait de tribune aux critiques de la politique coloniale et indigène au Gabon.

611.

L'appartenance à la franc-maçonnerie de Léon Mba est avérée. Mais on ne sait à quel moment ? Certaines sources date son initiation pendant qu'il était chef de canton avant son exil. Cf. David Gardinier in Historical Dictionary of Gabon, 1981, pp. 133-134 que cite Florence Bernaultdans Démocratie ambiguë... p. 219. D'autres disent qu'il a été initié grâce aux forestiers après 1945.

612.

Louis Sanmarco, Le colonisateur colonisé, Op. Cit. p. 206. Il ne donne pas des indications sur la date, il précise seulement les objectifs de Léon Mba en devenant Maçon : « Il n’avait pas pour but la richesse ou la jouissance, seulement le pouvoir. »

613.

Dans un style propre et digne d'un indigène qui maîtrise le français. Léon Mba s’explique sur « la plainte par devers » du Père Defranould à M. le maire.

614.

Archives CSSP, Fond Pouchet, boîte 1001 Dossier B, Chemise 2. Lettre de Léon Mba au Révérend Père Defranould du 16 mai 1929.

615.

Archives CSSP, Fond Pouchet, Boîte 1001, Dossier B, Chemise 2, Lettre de Léon Mba à l'abbé Jérôme du 29 mai 1929.

616.

CAOM, 5D 64, Fétichisme et sociétés secrètes

617.

Le Bwiti est une des religions traditionnelles les plus répandues au Gabon. Les initiés utilisent une plante l'Iboga. Le Bwiti et l'iboga font l'objet de quelques études : Bureau René, Bokayé ! : Essai sur le bwiti fang du Gabon, Paris, l'Harmattan, 1996, 294 p. Mary André, Le défi du syncrétisme : le travail symbolique de la religion d'Eboga, Gabon, Paris, Éd. de l' EHESS, 1999,513 p. Mary André, La naissance à l'envers essai sur le rituel du Bwiti Fang au Gabon, Paris, l'Harmattan, 1983, 384 p.

618.

Explorateur au Gabon entre 1850 et 1860. Ses épopées sur le cannibalisme des Fang du Gabon et sur les mœurs sauvages des peuples du Gabon sont très répandues. Cf. les ouvrages suivants : Voyages et aventures dans l'Afrique équatoriale : mœurs et coutumes des habitants, Paris, M. Lévy, 1863, 547p. L'Afrique sauvage: nouvelles excursions au pays des Ashangos, Paris, M. Lévy frères, 1868. 411p. L'Afrique occidentale: nouvelles aventures de chasse et de voyage chez les sauvages, Paris : M. Lévy frères, 1875, 311p.