 Les parcours politiques croisé des deux hommes à partir de 1945

Léon Mba et Jean Hilaire Aubame, après des années d'exil forcé pour l'un et de carrière pour l'autre, étaient rentrés au Gabon presque en même temps. Jean Hilaire Aubame était rentré au Gabon en 1945 et il occupa les fonctions de commis des douanes. Léon Mba, autorisé à rentrer au Gabon au début de l'année 1946 obtint quelques mois plus tard de rester définitivement. Il fut engagé comme comptable, dans la compagnie de commerce de John Holt. A partir de cette année les deux hommes engagèrent une carrière politique officielle. Le combat politique des deux challengers fut alors âpre.

Jean Hilaire Aubame connut en premier une ascension fulgurante à cause de son comportement et du soutien missionnaire. Léon Mba attendit, le temps de soigner son image ternie par ses problèmes et sa virulence verbale.

Si Léon Mba réussit à s'attirer, à nouveau, la confiance de l'administration, avec les missionnaires la tension demeura vive et le conflit ouvert. De retour d'exil Léon Mba confirma son intransigeance sur « le respect du droit des hommes ». Dans une lettre, adressée au supérieur de la mission Sainte Marie, en 1948, Léon Mba dénonçait le fait que le Père Blénez, supérieur de la mission de Donghuila, avait appelé les villageois de cette zone « pour les photographier nu, buste nu, à la façon des anciens ».

Léon Mba regrettait qu'à « l'état actuel de la civilisation française au Gabon, on obligea des nègres français à se faire photographier contre leur gré » 625 . L’administration jusqu'en 1950 resta méfiante à l’égard de Léon Mba. Voici ce qu'écrivait, par exemple, le gouverneur du Gabon, Pierre François Pelieu: " son activité consiste […] à saper l'influence française [au Gabon] 626  »

Cette attitude de Léon Mba contribuait à le priver de la sympathie des missionnaires qui le considéraient comme un élément dangereux pour l'évangélisation du Gabon. Jean Hilaire Aubame de son côté affermissait son image au point de vouloir devenir un leader catholique, le porte - parole des chrétiens gabonais auprès de la hiérarchie spiritaine en France.

Le 2 avril 1947, Jean Hilaire Aubame avait rencontré Mgr Le Hunsec, supérieur général des spiritains, pour lui exprimer le souhait de la population catholique indigène du Gabon de voir la nomination du Père Marcel Lefebvre comme vicaire apostolique. Jean Hilaire Aubame confirma cet entretien dans une correspondance quelques jours plus tard, le 11 avril 627 . S'il est vrai que Rome ne nomma pas Marcel Lefebvre au poste de vicaire apostolique du Gabon, l'intention et le geste d'Aubame avaient prouvé son attachement à la vie de l'Eglise catholique au Gabon. Une structure dans laquelle il puisait son énergie politique.

Le parcours et le combat politique de ces deux anciens élèves des missions catholiques aboutirent en 1946 à la création de leur parti politique. Aucun d'eux n'avait bénéficié de l'appui de l'Eglise pour créer son parti, même Jean Hilaire Aubame. Cette abstention peut se justifier par le fait ue les missions avaient peur de s’engager ouvertement en politique derrière un indigène. Les protestants, par contre, avaient plus de velléités sur ce plan. Mais leur marge d’action était réduite car ils étaient moins nombreux, divisés sur le terrain 628 . Dans ces conditions chaque tendance voulait soutenir ou engager ses propres élèves sur la scène politique.

Notes
625.

Archives CSSP, Fond Pouchet, Boîte 1001, Dossier B, Chemise 2, Lettre de Léon Mba du 26 février 1948 au supérieur de Sainte Marie

626.

ANG, Fond ANSOM, Rapport sur l'activité des partis politiques au Gabon, 29 décembre 1950. Cabinet du gouverneur du Gabon N° 39/CAB. Cf. aussi CAOM, 5D 225, Les partis politiques en AEF, Activités - renseignements divers

627.

Archives CSSP, Boite 271, Dossier A, Chemise 5, Lettre de Jean Hilaire Aubame à Mgr Le Hunsec du 11 avril.

628.

CAOM, 5D 170, Missions religieuses françaises et étrangères en AEF (1936-1954). En 1945, il y avait plusieurs missions protestantes au Gabon : (les missions françaises et américaines). La plus importante était celle de la SMEP, dans le sud, depuis 1934, s’était installée la mission américaine de « l’Alliance chrétienne ». En 1939, une Mission Evangélique de Pentecôte s’installa à Libreville. Elle dépendait de la « Mission des Assemblées de Dieu Français ». C.f. aussi, CAOM, 5D 247, Composition des structures politiques au Gabon- situation religieuse – les associations, 1947