 Les premiers partis politiques

L'organisation des partis politiques au Gabon dès 1946 s'était faite dans des conditions très pénibles. Malgré les dispositions de la nouvelle constitution et d’autres lois afférentes, l'administration coloniale, très policière, ne voulait pas laisser faire. Malgré les obstacles, les partis politiques virent le jour au Gabon grâce à la détermination de groupes locaux, avec l'appui des groupes d'Etudes Communiste qui existaient en AEF à partir de 1945 629 et la Ligue des droits de l’homme. Le Groupe de Libreville avait vu le jour en 1946 à l'initiative d'un certain Cordier, médecin militaire, qui futrapatrié quelques années plus tard.

Le GEC de Libreville apprenait aux Gabonais qui le voulaient les rouages de la politique moderne par la diffusion des documents politiques. Mais à la base de la fondation de partis se trouvait la volonté des indigènes gabonais. 630

Le premier à lancer un mouvement politique fut Léon Mba. Le 12 août 1946, avec l'appui discret du GEC, il fonde le Comité Mixte Gabonais (CMG) avec pour secrétaire général François Meye, un ancien élève de la Mission protestante. A sa création, le CMG, n'était pas vraiment un parti politique. Jusqu'en 1949, il ne comptait que deux sections sur toute l'étendue du territoire, à Libreville et Medouneu.

Ce parti commença à se développer réellement en 1951 avec la candidature de Léon Mba aux élections législatives du 17 juin 1951. Mais aussi et surtout en 1952, à la suite de la fusion avec un autre mouvement, non moins important, le Parti Démocratique Africain (PDA), fondé par un Gabonais, élu Grand conseiller à Brazzaville, Paul Gondjout. De ce rassemblement naquit un grand parti, le BDG (Bloc Démocratique Gabonais) avec Léon Mba comme président et Paul Gondjout comme Secrétaire général.

Entre temps, en 1949 au moment de la construction de son parti, Léon Mba, sentant le changement de position des évolués gabonais, affilia son parti au RDA (Rassemblement Démocratique Africain) de Félix Houphouët Boigny en participant au congrès de Bamako.

Le second parti fut fondé par Jean Hilaire Aubame en 1947: UDSG (Union Démocratique et Sociale Gabonaise). L'histoire de la cr naissance de ce parti n'est pas bien connue. Aubame l’avait créé en imitant ce que les autres leaders politiques avaient fait ailleurs. Il ne s'agissait pas visiblement de contre-carrer le parti de Léon Mba, le CMG, puisque à la création de l'UDSG Léon Mba avait accepté d'être Secrétaire Administratif tout en demeurant président du CMG 631 . Jean Hilaire Aubame était le président fondateur de l'UDSG mais il n'avait pas suffisamment de temps pour bien implanter son parti sur tout le territoire car il passait son temps entre Paris et Libreville à cause de sa fonction de député à l'Assemblée Nationale.

Les programmes de ces partis restent assez mal connus 632 . L'UDSG de Jean Hilaire Aubame avait un programme, élaboré sur la base de l'influence des idées de la mission et de l’administration. De tendance humaniste, le parti d'Aubame accordait une place centrale à la « primauté de l'homme » dans son programme. L'homme gabonais était à la fois le but et le promoteur collectif du développement: de tous les gabonais quelle que soit leur catégorie sociale. Tous devaient conjuguer leurs efforts pour accélérer le développement du Gabon. Jean Hilaire Aubame voulait en priorité « libérer l'homme gabonais de l'ignorance, de la maladie, de la misère 633  ». Ce programme voulait également un rayonnement du Gabon hors de ces frontières, en AEF et dans le monde, sur la base d'un projet « économique et social ».

Le programme du CMG, puis BDG de Léon Mba était différent. Sous l'influence, très certainement, des forestiers et des commerçants du Gabon, ce parti visait « la défense des intérêts économiques, politiques et sociaux » 634 . L'économie était le maître mot du projet du parti de Léon Mba car elle seule pouvait assurer une évolution politique positive et garantir une promotion du bien être social des gabonais. Sur un plan purement pratique, le BDG prônait le rassemblement des ethnies du Gabon, surtout après 1952. La volonté de dépasser tout clivage ethnique au BDG venait en grande partie de la fusion du CMG et du PDA.

Pour ne pas s'attaquer à l'électorat fang du Nord-Gabon quasiment acquis à la cause de Jean Hilaire Aubame, Léon Mba avait opté pour l'union avec les évolués d'autres ethnies, surtout les Mpongwè comme Paul Gondjout. « L'union des races » était donc le fer de lance du programme politique du BDG, sur plan social, au moment de l'amorce de ses succès politiques.

Entre 1950 et 1960, toute la vie politique du Gabon se déroula autour de ces deux hommes et de ces deux partis. Chacun s’efforçait de considerer ses soutiens politiques. Chaque parti avait sa propre base et ses fiefs politiques. Jean Hilaire Aubame était surtout appuyé dans le Nord et quelques régions de l’intérieur du pays à cause de l'influence missionnaire, tandis que Léon Mba occupait les régions littorales, surtout à Libreville. Jean Hilaire Aubame pouvait compter sur les missionnaires et une partie de l'administration, tandis que Léon Mba était l'allié du colonat privé (des forestiers) qui contrôlaient l'économie. Chaque bataille électorale entre ces deux hommes et leurs partis donnait lieu à un affrontement indirect de ces forces.

Jean Hilaire Aubame sortit toujours vainqueur des affrontements électoraux directs avec Léon Mba entre 1945 et 1958. Le premier entre les deux hommes eut lieu en 1951, lors des élections législatives du 17 juin. Mais quelques mois après Léon Mba fit son entrée à l'Assemblée Territoriale grâce au deux sièges obtenus par son parti le CMG aux élections du 30 mars 1952, derrière l'UDSG qui obtint 11 sièges.

En 1956 le même scénario se reproduisit aux élections législatives. Aubame avec 47% des voix arrivait encore en tête devant Léon Mba avec 34%. Aux élections territoriales de mars 1957 le rapport de force électoral tourna encore en faveur de l'UDSG avec 18 sièges sur 40 contre 16 sièges pour le CMG devenu officiellement BDG 635 .

Ces victoires de Jean Hilaire Aubame sur Léon Mba et de l'UDSG sur le CMG, puis le BDG, jusqu'en 1957, symbolisaient la victoire de l'administration et des missionnaires sur le colonat privé symbole de la puissance économique. Mais elles masquent des évolutions que révèle une étude plus systématique du jeu politique entre 1945 et 1960

Notes
629.

CAOM, 5D 225, Les partis politiques en AEF.Rapport sur l'activité des partis politiques au Gabon, 1950

630.

CAOM, 5D 250, Communisme, nationalisme, anticolonialisme (1948-1954)- Le parti communiste français en AEF - Les partis politiques en AEF - Anticolonialisme et mouvements nationalistes.

631.

John Ballard, The Developement…p.309. Cité par Florence Bernault in Démocratie ambiguëOp. Cit p. 222-223.

632.

CAOM, 5D 225, Les partis politiques en AEF, (1946-1951) Rapport sur l'activité des partis politiques au Gabon, 1950.

633.

ANG, Fonds de Fougamou, Carton N° 2, Programme des partis politiques

634.

ANG, Fonds de Fougamou, Carton N° 2, Programme des partis politiques

635.

ANG, Fond ANSOM, affaires politiques (les élections). Ces dossiers comportent les procès verbaux de toutes les élections tenues au Gabon de 1946 à 1957 Cf. aussi, CAOM, Sous séries 20 D et 21D relatives aux élections aux différentes assemblées locales, pour l’AEF et la métropole.