1-L'indépendance et l'affermissement des institutions

Les réactions des Gabonais face à l’indépendance ont été diverses. L’événement suscita des commentaires dans tous les milieux. Il permit surtout au pays d’affermir ses institutions politiques sur un fond de divergences.

 La réaction des chrétiens et des autorités religieuses

L'accession du Gabon avait été accueillie différemment par les Gabonais. Si les hommes politiques avaient dû faire un apprentissage rapide, chez les Gabonais ordinaires, l'indépendance n'avait pas changé le mode de vie. Le père Gérard Morel raconte qu'en 1960, le 17 août, alors qu'il venait d'arriver au Gabon un an plutôt, il se trouvait à Oyem:

‘« Le chef de région était Pasquier, il y a eu une cérémonie sur la place publique. Mais il n'y a pas eu de débordement d'enthousiasme dans la population et chez les chrétiens fréquentant la mission […] Apres la cérémonie sur la place publique il n'y a plus eu d'autres mouvements de masse. A Libreville André Malraux était passé, il fit un discours autour duquel il y eut quelques murmures sans grand commentaires. 693  »’

Le Père François Emmanuel, lui aussi arrivée au Gabon en 1959, en poste à Lambaréné au moment de l'indépendance, parle plutôt d'une indifférence et d’une incompréhension des chrétiens: « Certains ne comprenaient pas trop ce qui se passait 694 » Par contre le Père Gilles Sillard en poste à Libreville parle d'un « petit enthousiasme surtout chez les cadres de l'administration qui pensaient que le moment était venu pour remplacer les colons 695  »

La nouvelle de l'indépendance avait plus mobilisé les Gabonais de la capitale que ceux de l'intérieur du pays. A Libreville, où l'accès à l'information était plus développé grâce à Radio Gabon inaugurée en novembre 1959 par le premier ministre Léon Mba, les Gabonais étaient fier de l'indépendance. Tous croyaient à une nouvelle vie qui marquerait une rupture avec la période coloniale. Il faut dire que cette vision de l'indépendance chez le peuple de la capitale était habilement entretenue par la propagande des hommes politiques et les documents publiés officiellement par le gouvernement. Voici par exemple un extrait du discours gouvernemental retranscrit par les autorités religieuses catholiques de Libreville.

‘«  Heureux Gabon, petit pays privilégié dont les richesses naturelles, exploitées dès avant l'indépendance, dépassent aujourd'hui les prévisions les plus optimistes. En 1960, le total des exportations gabonaises se montait à 12 milliards de francs CFA…. Sur l'activité forestière se sont greffées des industries de transformations… la mine de manganèse de Moanda, prospectée à partir de 1951, est devenue la première du monde. Les premières recherches pétrolières remontent à plus de 20 ans et les forages se poursuivent… 696  » ’

Ce discours officiel était relayé par les autorités religieuses catholiques afin de susciter l'amour de la patrie auprès des Gabonais. L'image d'un Gabon prospère était unanime. L'idée d'un Gabon qui pourrait être le premier pays africain à sortir du sous développement camouflait toutes les autres faiblesses économiques et surtout sociales. Les discours et les débats politiques prirent le dessus sur toutes les autres préoccupations. La politique devenait, le principal centre d'intérêt, le facteur par lequel tout pouvait se faire, reléguant au second plan les autres préoccupations.

Les autorités religieuses ne se plaignaient pas du débat politique. Elles se félicitaient de l'accession du pays à l'indépendance. Dans leurs Rapports annuels et Quinquennaux à partir de 1960 elles précisaient toujours: «  Le Gabon est une République démocratique indépendante depuis le 17 août 1960 697  »

Pour les autorités religieuses l’accession à l'indépendance se caractérisait par une prise en charge des responsabilités civiles par les Gabonais eux mêmes. « Désir légitime mais pas raisonnable  698 », affirmaient-ils. Ce sont les jeunes qui étaient les plus exigeants. Pour éviter des problèmes entre individus et des conflits dans l’administration, et pour qu'elle ne soit pas prise par une vague de xénophobie, les autorités religieuses décidèrent de poursuivre la formation des jeunes et de les mettre en place, tout en restant près d'eux comme des conseillers 699 .

Deux ans après l'indépendance l’inquiétude des autorités religieuses était presque dissipée car la nationalisation de l’administration et la nouvelle vie politique du pays après l’indépendance suivaient une marche normale.

La satisfaction dans le clergé est confirmée par les rapports épiscopaux : aucun heurt ne vint ternir ou endeuiller cette nouvelle vie 700 Pourtant à la fin de l'année 1960, une crise politique avait secoué le pays mais les autorités religieuses s’y étaient pas intéressées.

Notes
693.

Témoignage du Père Morel, Entretien du 28 novembre 2001 à Libreville à la paroisse Sainte André.

694.

Témoignage du Père François Emmanuel, entretien du 1er octobre 2001 à Libreville, au Foyer de charité

695.

Témoignage du Père Sillard, spiritain, Entretiens de février et mars 2000 à Chevilly-Larue.

696.

DOCOPM, Dossier 347 sur le Gabon, "Heureux Gabon…"1960

697.

Archives CSSP, Boite 351, Dossier A, Rapport quinquennal de 1965. Voir aussi les rapports annuels de 1960 à 1965.

698.

Archives CSSP, Boite 351, Dossier A, Rapport annuel de 1961.

699.

Archives CSSP, Boite 351, Dossier A, Relatio Annualis 1960.

700.

AAL, Rapport annuel de 1961, Archidiocèse de Libreville.