 Les réactions et l’attitude des hommes politiques

Les réactions des hommes politiques et des partis politiques face à l'indépendance étaient diverses mais précises. Ils se présentèrent devant la population comme les artisans de cette transformation. Le 25 juillet Léon Mba déclara: « l'indépendance travaille les esprits depuis deux ans 701  ».De fait après le référendum et le vote de la première constitution un esprit de divergence régnait dans la classe politique. Les partisans du « non » au référendum de septembre 1958, amenés par les leader du PUNGA René Paul Sousatte et Jean-Jacques Boucavel, voulaient une indépendance directe et totale sans passer par la Communauté. Dans le camp des partisans du « oui » l’attitude fut beaucoup plus complexe. Mais dans l’ombre les choses se déroulèrent différemment. Contrairement à une idée généralement admise, Léon Mba fut d’abord favorable à l’érection du Gabon en département avant de militer pour l’indépendance. 702

En effet, les territoires qui avaient opté pour la Communauté devaient choisir entre le statut de territoire français, celui de département ou celui d’Etat membres de la communauté. Un des partisans du oui, Léon Mba, président du conseil du gouvernement opta pour la deuxième formule : le département. Il demanda au gouverneur français du Gabon Louis Sanmarco de négocier ce changement avec la métropole. Ce dernier considéra cette attitude « comme le triomphe de cent trente années de colonisation… » 703 au Gabon. Mais il ne fut pas accueilli en triomphateur dans les salles du pouvoir à Paris.

‘« Je fus reçu comme un chien dans un jeu de quille… Le ministre Bernard Cornut-Gentille fut presque désagréable: "Sanmarco, vous êtes tombé sur la tête !, l’indépendance comme tout le monde !" ». 704

De retour à Libreville il expliqua à Léon Mba, qui lui en voulait d’avoir échoué, que Paris voulait l’indépendance. Rien ne fut fait en faveur de la départementalisation malgré l’intervention de Jacques Foccart à la demande du général de Gaulle. Le Gabon accédait au statut d'État autonome dans le cadre de la Communauté prévue par le Titre XII de la Constitution d’octobre 1958. Cet Etat eu une existence aussi brève que celle de la Communauté qui l'avait porté sur les fonts baptismaux. La Communauté conduit à l’indépendance. Dans l’ensemble, les partisans du « oui » se réjouirent de l’événement. Mais l’accession à l’indépendance ouvrait des perspectives nouvelles.

Sur le plan externe il s'agissait de la conduite à tenir dans les relations avec l'ancienne puissance colonisatrice, la France. Sur cet aspect les hommes politiques gabonais ne remirent rien en cause officiellement. Tout au contraire il y eut un renforcement des relations par le biais des accords signées entre la France et le Gabon le 17 août 1960. Cette unanimité de la classe politique gabonaise sur les relations avec la France n’était pas totale. Non sans raison Moïse Nsole Biteghe affirme qu’

‘« en 1960, la classe politique ne songe pas encore très sérieusement à remettre en cause les liens entre la France et le Gabon, cette idée s'imposait petit à petit à eux si bien que toute opposition sur ce point devenait progressivement inconcevable 705  ».’

Sur le plan interne l'indépendance de 1960 donna lieu à des récupérations politiques. Chacun voulait s'attribuer la paternité de cet événement, imposer sa vision de l'avenir du Gabon sur tous les plans, véhiculer ses idées et implanter son parti.

Par exemple, Léon Mba, le Premier Ministre, effectua un tour du Gabon du 8 au 13 juin 1960. Si le motif officiel était d'informer les populations sur les avancées des négociations en vue de l'indépendance, cette tournée fut programmée au moment où les Gabonais étaient appelés à designer, dans chaque district, des représentants aux collectivités rurales. Pendant cette tournée Léon Mba se présentait en véritable libérateur du peuple et défendit les idées de son parti, le BDG, dont il installa des cellules un peu partout dans le pays. Chez les autres hommes politiques et dans les autres camps politiques l'attitude était similaire. Bien qu'absent, personnellement, des négociations pour l'indépendance, Jean Hilaire Aubame et son parti, l'UDSG s’approprièrent aussi l’indépendance.

Le 3 avril 1960, François Meye, un membre de la direction de l'UDSG, déclara que: « la position de notre parti est claire et loyale. Dès le congrès d'Oyem, nous exprimions notre volonté de voir le Gabon obtenir sa souveraineté…C'est ce qui se passe aujourd'hui et c'est pourquoi nous nous en félicitons 706  ».

A la fin du mois de juillet 1960, et pendant le mois d'août, les esprits se calmèrent pour faire place momentanément à l'unanimité. Ce refroidissement momentané de la tension et des divergences politiques avait permis aux hommes politiques de s’entendre sur les éléments communs de leur vision de la gestion et de l'avenir du Gabon. Tous les hommes politiques, à la grande satisfaction des responsables religieux qui souhaitaient que l'on s'attaque aux vrais problèmes de la Nation 707 , étaient d'accord pour prôner l’union.

Le 22 juillet 1960, Léon Mba, s'adressant aux Gabonais, déclara: « je veux… que vous mettiez hors de vos cœurs les rancoeurs raciales et la xénophobie 708 . » Cette affirmation était, en réalité celle de toute la classe politique.

L'indépendance, d'après les hommes politiques, pouvait entraîner la division des Gabonais. Un point de vue, du reste, que partageaient certains prêtres catholiques missionnaires au Gabon. En effet, les prêtres attiraient l’attention discrète sur l'euphorie négative que pouvait provoquer l'indépendance. Le Père Sillard, raconte que : « Léon Mba avait fait une bonne allocution qui parlait des dangers de l'indépendance 709 . » Dans cette allocution, Léon Mba, en effet, affirme :

‘« Ne gaspillons pas notre chance en imaginant qu'avec l'indépendance, nous détenons… un fétiche… qui va combler tous nos vœux. En croyant qu'avec l'indépendance tout est possible et facile... 710  »’

Et Léon Mba faisait bien d'ajouter dans ce même discours sur les conséquences d'une telle vision de l'indépendance par les Gabonais: « …on risque de sombrer dans l'anarchie, le désordre, la misère et la famine 711 . »

L'attitude dénoncée par Léon Mba pouvait s’appliquer aux hommes politiques eux-mêmes. Les lendemains de l'indépendance avaient été néfastes pour ces derniers qui, dès le mois d'octobre 1960 étaient retombés, dans les travers des divisions et des divergences. En effet, les hommes et les partis politiques, qui appelaient pourtant à l'unité et à l'amour du Gabon, n'arrivaient pas à s'entendre sur le régime dont il fallait doter le pays: un régime présidentiel ou parlementaire?

Le grand avantage de l'indépendance fut la continuité des institutions existantes et leur affermissement. C'est d'ailleurs autour des deux principales institutions, le Gouvernement et l'Assemblée législative, qu’eut lieu le débat sur la constitution qui divisa radicalement les hommes et les partis politiques du Gabon. L'intensité de ces divisions fut tellement grande que les hommes politiques du même camp n'arrivaient parfois plus à s'entendre. Ces divergences sur la nouvelle constitution provoquèrent des alliances contre nature et des changements de camp politique, compliquant davantage la situation. Ces divisions politiques ont conduisirent à la crise constitutionnelle de 1960 et à la violence politique de 1964.

Notes
701.

DOCOPM, Dossier 347,  « le Gabon accède à l'indépendance, 17 août 1960 », allocution de Léon Mba le 22 juillet 1960

702.

DOCOPM, Elio Comarin, « Léon Mba à l’ombre de Charles de Gaulle » in Jeune Afrique N° 1566, janvier 1991.

703.

Louis Sanmarco, Le colonisateur colonisé, Favre, Collection l’Afrique en marche, Paris, 1983, 229p.

704.

Louis Sanmarco, Le colonisateur colonisé, Id. & Ibid.

705.

Moïse Nsole Biteghe, Echec aux militaires au Gabon, Op. P. 31.

706.

DOCOPM, Dossier 347, « Le Gabon accède à l'indépendance… », Extrait d'une déclaration de François Meye.

707.

Témoignage du Père Gilles Sillard, Entretiens du mois de février et mars 2000 à Chevilly-Larue.

708.

DOCSSP, série E, Boîte XXIII. Réalités gabonaises, 1960. Allocution, Léon Mba le 22 juillet 1960. Cf. aussi DOCOPM, Dossier 347, « Le Gabon accède à l'indépendance… », Allocution, Léon Mba le 22 juillet 1960

709.

Témoignage du Père Gilles Sillard, Entretiens de février et mars 2000 à Chevilly-larue.

710.

DOCSSP, série E, Boîte XXIII, Réalités gabonaises, 1960. Allocution, Léon Mba le 22 juillet 1960

711.

DOCSSP, série E, Boîte XXIII, Réalités gabonaises, 1960. Id & Ibid.