La crise constitutionnelle de novembre 1960 au Gabon débuta en octobre de la même année. Elle eut pour cadre l’Assemblée nationale.
Source : DOCOPM
Pendant la session parlementaire ordinaire les positions avaient rapidement divergé à cause des « sermons programme » présentés par les différents camps politiques. En effet, lors de la séance d'ouverture, le 11 octobre 1960, Léon Mba, Premier Ministre et responsable au BDG, dans son discours d'ouverture de la session avait déclaré: « Nous devons et pouvons faire la preuve de notre capacité à assurer tout seul la marche normal de nos services, de nos institutions... 723 ». Cela veut dire que Léon Mba était conscient que l'évolution et l'organisation des institutions politiques au Gabon, même après l'indépendance, restaient tributaires de la France et des habitudes coloniales.
Le Gabon au moment d'accéder à l'indépendance n'avait pas de régime politique bien défini dans la constitution. Aussi, devant cette situation, Léon Mba déclara: «Je pense que la démocratie est pour nous le seul régime convenable.» La démocratie devait garantir sur le plan économique: « ...la venue nécessaire des capitaux et les indispensables investissements. » 724
Sur le plan politique, la démocratie devait amener « la stabilité politique » qui, selon Léon Mba: « ...ne peut à, mon avis, exister que dans un régime où les pouvoirs sont nettement séparés, qui distribue de façons précise les responsabilités et qui permet de les exercer » mais dans le même discours il se contredit en affirmant : « La dispersion de l'autorité ne peut que conduire à la confusion, à l'anarchie, au désordre... 725 »
Léon Mba donna ainsi devant l'Assemblée sa vision de l'avenir institutionnel et politique du Gabon: la démocratie avec un pouvoir renforcé autour du président. En d'autres termes Léon Mba était partisan d’un régime présidentiel fort. Mais les réactions ne se firent pas attendre. Les contre - attaques vinrent de l'opposition et même du propre camp politique de Léon Mba, le BDG.
Jean Hilaire Aubame pendant ces débats parlementaires précisa la position de son parti l'UDSG. S'il était d'accord avec Léon Mba sur la nécessité d'un régime démocratique pour la stabilité politique, Jean Hilaire Aubame ajouta, « qu'il faut que les institutions soient vraiment démocratiques, et la stabilité politique ne doit pas servir de prétexte à un renforcement excessif du pouvoir exécutif." 726
Une fois de plus, Léon Mba, que craignaient les missionnaires, et Jean Hilaire Aubame, « le bien aimé », s’opposaient. Léon Mba souhaitait un pouvoir exécutif fort, Jean Hilaire Aubame préconisait un régime parlementaire. Le point de vue d'Aubame obtint davantage d'adhésions dans la classe politique, même au sein du BDG, car la majorité des parlementaires était favorable à cette idée.
Aubame trouva ainsi un allié de taille en la personne de Paul Idjendjet Gondjout membre du BDG et Président de l’Assemblée. Aubame avait profité des luttes d'influences qui existaient dans le BDG entre Gondjout et Léon Mba à la tête du parti.
En 1960, la situation au sein du BDG était différente de celle que connaissait l'UDSG. Dans ce parti, le chef incontesté avait toujours été Jean Hilaire Aubame depuis sa création en 1947, tandis que dans le BDG il y avait deux chefs: Léon Mba et Paul Gondjout. Cela était du à la structure du parti dès sa création qui était une émanation de la fusion entre le CMG (Comité mixte gabonais) de Mba et le PDA (parti démocratique africain) de Gondjout.
Tant que, les colons privés et l'administration avaient une main mise directe sur la vie politique et qu'il régnait un certain équilibre entre l'exécutif et le législatif, les deux leaders du BDG, chacun à la tête de chacune de ces institutions politiques 727 du pays évoluaient dans une espèce de coexistence pacifique ou une rivalité atténuée. Mais avec l’independance en 1960, l'équilibre fut rompu entre Mba et Gondjout. Léon Mba voulait devenir, comme Jean Hilaire Aubame à l'UDSG, le leader unique du BDG.
En octobre 1960, la lutte d'influence entre Léon Mba et Paul Gondjout ne se maintenait plus dans le cadre du parti. Elle fut transférée sur la scène politique nationale à travers leur discours lors des cérémonies républicaines et institutionnelles. En effet, alors que Léon Mba (Premier ministre), dans ses allocutions, citait d'abord le Président de l'Assemblée, Paul Gondjout lui citait le Premier Ministre Léon Mba en dernier, après les parlementaires. Gondjout voulait ainsi affirmer la primauté du pouvoir législatif. Même si depuis le 17 août 1960, par un acte tout à fait spécial, l'Assemblée Législative était devenue Assemblée Nationale et avait élevé le Premier Ministre Léon Mba au rang de Chef de l'Etat et non de Président de la République 728 .
Une nouvelle constitution devait être votée après l'indépendance, lors de la deuxième session ordinaire de l'Assemblée, à la fin de l'année 1960 pour déterminer le régime et définir les attributions du Président de la République. Mais entre le 17 août et le vote de cette nouvelle constitution Léon Mba, Premier Ministre, Chef de l'Etat concentrait entre ses mains tous les pouvoirs de l'Etat. Une situation qui allait être préjudiciable aux défenseurs du régime parlementaire.
Léon Mba continuait d’être soutenu par les milieux économiques (les forestiers et les miniers), et par certains Français qui craignaient les aléas du régime parlementaire. Très autoritaire, et fort de cet appui, il profita du vide constitutionnel pour imposer son point de vue et sa volonté en refusant d’abandonner certaines de ses prérogatives. En sa qualité de Chef de l'Etat il fit arrêter et emprisonner tous ceux qui s'opposaient à sa proposition, notamment Paul Gondjout.
ANG, Fond Présidence de la République, Discours de Léon Mba lors de la cérémonie d'ouverture de la 2émé session ordinaire, le 11 octobre 1960. Cf. aussi DOCGAB, le journal des débats, 1960.
ANG, Fond Présidence de la République, Discours de Léon Mba lors de la cérémonie d'ouverture de la 2émé session ordinaire, le 11 octobre 1960.
ANG, Le journal des débats à l’Assemblée Nationale 1960, deuxième session ordinaire, interventions de Léon Mba
ANG, Le journal des débats à l’Assemblée Nationale, 1960, deuxième session ordinaire, Interventions de Jean Hilaire Aubame.
Léon Mba dirigeait l'exécutif car il était d'abord Vice président du Conseil de gouvernement en 1957, puis Président en 1958 et Premier ministre en 1960. Tandis que Paul Gondjout était à la tête de l'Assemblée territoriale qui était devenue législative puis nationale depuis 1957. Quand éclate la crise en 1960, les deux plus grandes institutions du pays étaient dirigées par deux militants, leader du BDG.
Metegue N’nah, Le Gabon de 1960 à 1990, Histoire, FLSH, UOB, 1999.