2- Les réactions de l'Eglise face au coup d'Etat de 1964

Le coup d'Etat de 1964 avait permis aux autorités religieuses de sortir officiellement du mutisme dans lequel elles étaient depuis l'accession du pays à l'indépendance en 1960. En dehors de quelques interventions personnelles et éparses entre 1960 et 1963.

 Les réactions avant le coup d'Etat : Mgr François Ndong

Lorsque Léon Mba, en janvier 1964, prit la décision de dissoudre l'Assemblée nationale et de convoquer un nouveau scrutin sur la base d'un code électoral taillé sur mesure, l'Eglise n'avait pas réagi. Les commentaires restaient individuells et venaient des Gabonais membres du clergé, en tête desquels Mgr François Ndong, évêque auxiliaire de Libreville. Mgr François Ndong était suivi par deux autres clercs Gabonais: les Abbés Joseph Mintsa et Jean Marie Rapotchombo qui dénonçaient la rigueur excessive, proche de la dictature, du pouvoir de Léon Mba.

Ces prêtres reprochaient à Léon Mba, le fait qu'il ne recherchait pas le consensus, son goût effréné du pouvoir pour écraser les autres, son manque de loyalisme. De plus, d'après ces derniers, Léon Mba ne respectait pas les vertus humaines essentielles dans l'exercice de son pouvoir 802 .

La population chrétienne 803 du Gabon au début des années 1960 savait que Mgr François Ndong, appelé« Ndong Makarios » par les militants du BDG, critiquait Léon Mba. Déjà avant l'indépendance, les deux hommes étaient en déssacord. Ils avaient presque le même âge. Léon Mba était né en 1902 et François Ndong en 1906. Dans leur groupe ethnique (les Fang) ils étaient le symbole de l'indigène évolué: l'un sur le plan politique et l'autre sur le plan religieux. Sur un plan familial, Léon Mba avait épousé une femme du clan de Mgr François Ndong. Les deux hommes étaient donc beaux-frères.

Mgr Ndong reprochait ouvertement à Léon Mba sa pratique de la polygamie, le fait qu’il soutenait les indigènes réfractaires à l’action missionnaire. Mais aussi et surtout que Léon Mba était un adepte du Bwiti, une religion traditionnelle qui faisait beaucoup de recrues dans la région de l'Estuaire dans les années 1950 et 1960 804 . Les adeptes du Bwiti avaient même voulu célébrer « une messe pontificale » à la cathédrale Sainte Marie, le 20 avril 1954, et dans les milieux missionnaires on pensa que Léon Mba était derrière cet acte 805 .

Avant les événements de 1964 donc, Léon Mba, de son côté, savait qu'il n'avait pas la faveur de la majorité des catholiques, surtout du personnel religieux. A la fin de l'année 1963, témoigne le Père Morel, Léon Mba convoqua à une réunion tous les prêtres de Libreville à Sainte Marie. Réunion au cours de laquelle il regretta l'attitude des prêtres: « Je vous respecte, mais c'est moi qui me suis déplacé... 806  ». Il reprocha surtout aux prêtres d'être favorable ou partisans de Jean Hilaire Aubame alors que lui (Léon Mba) mettait tout en œuvre pour diriger le Gabon.

C'est donc dans ce contexte de condamnation officieuse de la politique de Léon Mba que l'Eglise assista au coup d'Etat de 1964.

Notes
802.

Témoignages oraux, entretiens avec le Père Gilles Sillard, février mars 2000 à Chevilly-Larue. Entretien avec l’abbé Noël Ngwa du 28 septembre 2002 à Libreville.

803.

Témoignages oraux, entretiens collectifs avec les chrétiens âgés qui étaient jeunes dans les années 1960. Libreville, novembre 2001.

804.

Témoignage du Père Gilles Sillard. Documents manuscrits et dactylographiés remis lors des entretiens à Chevilly Larue en Février et Mars 2000.

805.

Témoignage du Père Morel, entretien du 28 novembre 2001 à Libreville.

806.

Témoignage du Père Morel, Id & Ibid.