● La jeunesse face au parti unique : la théorie de « l’Entrisme »

Une partie de la jeunesse étudiante décida alors de pratiquer l’entrisme. Il s’agissait d’entrer dans le système afin de le miner de l’intérieur. Elle fut développée par les étudiants africains en France. Comme leurs collègues africains, les étudiants gabonais l’appliquèrent à l’arrivée au pouvoir le Président Bongo qui se présenta comme un homme prêt au dialogue et à la réconciliation. Il marqua, sur ce plan, une nette différence avec Léon Mba. 871

Après l’arrivée au pouvoir du Président Bongo en 1967, et malgré l’affirmation d’une opinion toujours critique et la consolidation de l’AGEG en France, l’unité de l’opposition étudiante commença à se fissurer. Les luttes fratricides entre les différentes tendances marxistes (staliniens, Krouchtchévistes, troskystes, maoïstes, albanais…) accélérèrent l’effritement de l’AGEG 872 .

Dès 1968, après la création du PDG, on enregistra les premiers grands ralliements au régime de la Rénovation. Ceux qui, sous le régime de Léon Mba, réclamaient une véritable politique démocratique dans le pays intégrèrent le nouveau régime et devinrent pour certains, les idéologues du parti.

Le temps des désillusions gagna assez rapidement la jeunesse étudiante et intellectuelle gabonaise. En effet, « les rigueurs de l’exil, les servitudes de la vie étudiantes, et le désir de se faire une place… 873  » dans l’appareil de l’Etat ou la vie politique gagna les consciences. Tout cela, en dépit des recommandations du 21è Congrès de l’AGEG, en 1968, qui exhortait fermement les membres à lutter contre « le carriérisme, l’opportunisme et le réformisme ».

Les étudiants qui ralliaient le régime sombraient parfois dans la trahison, reniant leurs idéaux chrétiens, associatifs et politiques. Ils devenaient haut fonctionnaire de l’Etat et participaient aux activités du parti. Grassement rétribués, ils s’embourgeoisaient 874 .

Cette attitude contribua activement à l’effritement de la morale chrétienne au profit de nouvelles théories comme « l’authenticité 875  ». Les idées marxistes reçues durant leur formation servaient aussi à la consolidation du parti unique qui devenait une structure essentielle de l’Etat et la base de l’unité de la Nation.

On importa au sein du PDG, la structuration et les terminologies des partis communistes de l’Est et Chinois. Le PDG, loin de se réclamer comme un parti lenino-marxiste, en devint pourtant pratiquement un.

Dans l’ensemble, selon les témoignages, chacun était devant un choix. Les étudiants gabonais se sentaient investis d’une mission. Ils devaient la remplir ou la trahir. Ceux qui acceptèrent de la remplir le firent avec les armes qu’ils possédaient : essentiellement le savoir et l’instruction reçus dans les universités occidentales. Ceux qui refusaient de « trahir » entrèrent dans un silence plus ou moins complice, en attendant des jours meilleurs 876 .

Le Parti unique au Gabon fut dès sa création une véritable machine de formation des consciences et sa mise en oeuvre a été une réussite. Même l'Eglise, qui se voulait formatrice des consciences, éducatrice de la morale et actrice de la vie sociale, ne put rien devant le déferlement du parti unique.

Notes
871.

Témoignage oral de l’abbé Noël Ngwa Nguema, entretien du 28 septembre 2002 à Libreville.

872.

Les étudiants gabonais en France dans les années 1960 et 1970 fréquentaient les groupes communistes. Cette idéologie était la base de leur culture politique tant elle se présentait en défenseur des peuples opprimés. Nous pouvons affirmer que durant ces années un étudiant sur deux flirtait avec le communisme sans pour autant s’engager véritablement.

873.

Guy Rossatanga, « l’insoutenable condition du clerc gabonais » in Politique Africaine, N° 26, 1993, Op. Cit. p.51.

874.

Guy Rossatanga, L’insoutenable condition… Id. & Ibid.

875.

Nous en parlons dans le chapitre suivant.

876.

Guy Rossatanga, Id. & Ibid.