1- La collaboration passive en 1967 et 1968

La collaboration de l'Eglise fut justifiée par le contenu du projet du nouveau pouvoir. Les autorités religieuses, le clergé et les chrétiens pensaient que le Gabon allait sortir de ses difficultés politiques et franchir un nouveau pas.

 Les raisons de la collaboration

Tout d’abord pour les autorités religieuses les raisons de fonder un parti unique n'étaient pas uniquement politiques. Face à la volonté de regrouper tous les Gabonais et associer tout le monde au développement économique et social, l'Eglise ne pouvait que soutenir un projet qui renforçait la construction de la Nation gabonaise. L’Eglise fut convaincue par le discours du nouveau régime qui entendait apaiser les tensions politiques souvent vives depuis 1945.

Ensuite, l'Eglise avait assisté impuissante aux rivalités politiques entre Léon Mba du BDG et Jean Hilaire Aubame de l'UDSG. Des rivalités qui parfois sortaient du cadre des idées pour devenir physiques entre les militants. Dans ces conditions la création du parti unique devait tempérer ces querelles politiques qui empoisonnaient le paysage politique et social. La vie politique moderne au Gabon après l'indépendance avait pris le tournant de la violence en 1964. Les appels de l'Eglise, n'avaient presque pas été entendus ou mal interprétés

Enfin, l'Eglise pensait que le parti unique allait mettre un terme aux abus car le nouveau régime promettait qu'il allait s'attaquer aux maux qui minaient la vie politique gabonaise. Des maux (favoritisme, népotisme, l'intolérance, l'absence de dialogue entre les militants de différents partis...) qui éloignaient les chrétiens de la pratique religieuse

L’Eglise n'attendait pas une faveur particulière du nouveau pouvoir mais elle fit confiance, sur parole, au projet du parti unique qui pouvait conduire le Gabon vers un véritable développement économique et social. En décidant de collaborer à l'action du parti unique, l'Eglise entendait soutenir un projet social pour le changement de mentalité des Gabonais. L'idée du changement de mentalités intéressait beaucoup l'Eglise d'autant plus que depuis 1950 877 , elle se préoccupait des changements sociaux intervenus dans la population (exode rural, goût du luxe, goût de la facilité, recherche effrénée du bien-êtrematériel…)

Les changements éloignaient de plus en plus les Gabonais et les chrétiens de la « vraie vie », selon la volonté de Dieu. L'annonce par le nouveau régime qu’il allait travailler à un « changement de mentalités » attira la sympathie des autorités religieuses et des chrétiens.

L'Eglise ne signa pas de protocole d'accord avec le nouveau pouvoir. Elle se contentait d'un engagement individuel des chrétiens dans toutes les structures du parti Dans une moindre mesure le clergé pouvait collaborer comme fonctionnaire de l'Etat, surtout dans l'enseignement en pleine nationalisation. En échange, l'Eglise obtenait des gages auprès du nouveau pouvoir pour la pérennité de son action au Gabon.

Le nouveau Président, Albert Bernard Bongo, à défaut d'être un catholique pratiquant, eut cependant la reconnaissance de l'Eglise. Inconnu des autorités religieuses, du clergé et des chrétiens, le Président Bongo bénéficia d’un préjugé favorable. Il devait être jugé à l’œuvre et aux actes. La reconnaissance du pouvoir du Président Bongo reposait aussi sur le fait que ses collaborateurs étaient des jeunes, dans l'ensemble catholiques ou protestants. Certains hauts dignitaires du nouveau régime, comme Georges Damas Aléka, Président d l'Assemblée nationale, était appréciés par les autorités religieuses et le clergé gabonais. Le nouveau régime ne modifia pas la constitution, elle garantissait toujours les libertés religieuses et les bonnes relations entre l'Eglise et l'Etat dans tous les domaines et les œuvres de l'Eglise.

Une autre raison de la collaboration de l'Eglise a été l’opposition déterminée du régime au communisme et au marxisme - léniniste. Le nouveau régime en décidant de créer le parti unique mettait un terme aux spéculations. La peur des autorités religieuses gabonaise de voir le communisme ou l'idéologie marxiste s'installer au Gabon, comme au Congo fut provisoirement, écartée 878 . L'Eglise laissa donc les chrétiens adhérer librement au parti unique. Les causes et les raisons du parti unique au Gabon, tels que présentées par les dignitaires du nouveau pouvoir, étaient aussi un gage pour l'Eglise qui n'avait rien à craindre face à la montée des idées qui « détruisent l'homme ».

L'Eglise accepta que le nouveau pouvoir s’installe autour d'une idéologie qui semblait respecter l'homme. Le combat du parti unique, à travers ses idéaux de construction et de rénovation, devenait en quelque sorte celui de l'Eglise qui apporta sa pierre à la construction de « l'édifice Gabon » par une collaboration directe ou indirecte à l’exemple de quelques clercs comme les abbés Nzibe et Ngwa.

Notes
877.

Archives CSSP. Tous les Rapports des missionnaires à partir de cette date abordent sans relâche cet aspect des changements sociaux dans la population gabonaise.

878.

AAL, Rapport quinquennal de 1965. La crainte de voir les idées marxistes gagnées le Gabon était réelle. Dans les Rapports, les autorités religieuses font état « d'un pays stable qui échappe encore à la vague du communisme en Afrique. »