 Les relents d'une Eglise missionnaires: la population et le personnel religieux.

La population chrétienne du Gabon, habituée à la vie des missions, était peu instruite et ne possédait aucun cadre de référence pour comprendre et s’engager, au nom de sa foi, dans la vie politique. En 1960, on comptait, 186.607 catholiques et 289.483 dix ans plus tard en 1970 888 pour un total de, moins de 500.000 âmes. Cette population chrétienne restait aussi marquée par les péripéties de la colonisation, la décolonisation, l’indépendance et les mutations internes de l'Eglise.

Tableau 25: Le personnel religieux dans l'Archidiocèse de Libreville 1965-1968
  Prêtres Frères Soeurs Total
  Etrangers gabonais Etrangers Gabonais Etrangères gabonaises Etrangers Gabonais
1965 39 21 28 13 46 32 113 66
1968 41 22 31 12 50 34 122 68

Source: AAL, DOCOPM, Annuaire de l'Eglise catholique.

Tableau 26: Le personnel religieux dans le diocèse de Mouila 1965-1970
  Prêtres Frères Soeurs Total
  Etrangers gabonais Etrangers Gabonais Etrangères gabonaises Etrangers Gabonais
1965 31 8 10 4 30 11 71 23
1970 37 9 14 4 43 11 94 24

Source: DOCOPM, Annuaire de l'Eglise catholique.

Le personnel religieux était majoritairement expatrié et missionnaire. En 1965, on comptait 184 missionnaires et expatriés. En 1968, ce nombre était en augmentation puisque l'archidiocèse de Libreville, qui comptait 113 membres en 1965 en avait désormais 122. Dans le diocèse de Mouila, en cinq ans, de 1965 à 1970, le personnel religieux d'origine étrangère était passé de 71 à 94 membres, une augmentation plus important que celle de l'Archidiocèse.

La conséquence directe de cette prépondérance du personnel religieux d'origine étrangère et missionnaire pouvait se lire dans les prises de décision. Tant que les missionnaires expatriés étaient plus nombreux que les Gabonais toutes les décisions étaient influencées. Ils ne voulaient pas s’immiscer dans les affaires internes du Gabon. Les missionnaires européens, majoritaires entre 1967 et 1968, préféraient donc la prudence dans les déclarations et les actions. Le résultat de cette prudence fut le silence.

La deuxième conséquence était liée aux habitudes internes de cette Eglise depuis l’époque coloniale. Etant majoritaires, les missionnaires européens continuaient d'imposer leur vision du rôle de l'Eglise dans la société. Ils gardaient en mémoire les querelles de l'époque coloniale en métropole entre l'Eglise et l'Etat. Le principe de la séparation des Eglises et de l’Etat, très respecté par le personnel religieux d'origine étrangère, était remis en cause par le personnel religieux gabonais qui voulait une plus grande implication.

En somme le personnel religieux missionnaire était confronté à un double problème à la fin des années 1960. D'une part, il devait faire face aux mutations internes liées à la fin de la Mission et d'autre part, il fallait comprendre les mutations externes en rapport avec l'évolution de la vie politique.

En ce qui concerne le premier point, si des efforts furent consentis pour un passage en douceur de la Mission aux Eglises, le chemin parcouru était maigre. L'Eglise du Gabon était confrontée à un problème de vocations : un manque de prêtres et chrétiens Gabonais capable d'assumer des responsabilités et de s’engager avec des idées chrétiennes 889 . Face à cette carence, le personnel religieux missionnaire continua à assumer les responsabilités, en espérant que le transfert se fasse le plutôt possible, dès que t le personnel religieux gabonais serait suffisamment nombreux et préparé à assumer cette charge.

Ce retard fit que dans plusieurs domaines comme la pastorale des jeunes et des adultes, le fonctionnement continua d'être missionnaire. Malgré l'érection des missions en paroisses, au début des années 1960, dans lesquelles les laïcs devaient être actifs, les prêtres missionnaires continuaient à être des hommes à tout penser et à tout faire. Les différentes commissions diocésaines créées pour réfléchir sur les problèmes des chrétiens dans la société n’étaient pas très opérationnelles.

Dès lors, le personnel religieux missionnaire, dans son ensemble, face aux mutations politiques de 1967 et 1968, opta pour le silence. Majoritairement français, ce personnel religieux ne dit rien lors de l’avènement du régime de la Rénovation en 1967, et lors de l'instauration du parti unique en 1968.

Le personnel religieux de nationalité française avait réagi comme s'il était en France, appliquant au gabon le principe de la séparation des Eglises et de l'Etat qui figurait dans la constitution gabonaise où le préambule affirme la laïcité de la République. Les missionnaires européens du Gabon estimèrent qu'il s'agissait d'une affaire politique interne qui devait être gérée par les Gabonais afin de prouver leur maturité. A quoi servait-t -il de dire que le Gabon était indépendant si les Français intervenaient encore directement dans toutes les mutations ?

Accusés à tort ou à raison depuis l’époque coloniale de trop s’immiscer, et cela directement, dans les questions politiques, les missionnaires, préférèrent se taire, d’autant plus que les chrétiens gabonais eux-mêmes étaient favorables à ces mutations. Les interventions désastreuses, en 1964, de l’abbé Bellard et de l’Archevêque de Libreville Mgr Adam n’étaient pas de nature à encourager de nouvelles interventions 890 .

En outre, le silence du personnel religieux d’origine français au Gabon était lié à l'attitude générale de la France face à l'instauration du parti unique au Gabon. La France n'avait rien dit officiellement. Elle cautionna officieusement des changements qui garantissaient la stabilité pour un meilleur développement économique du pays. Dans ces conditions il était difficile à ces religieux, mais aussi citoyens français, de désavouer l'attitude de leur pays. C'est à ce titre que certains intellectuels Gabonais ont soupçonné et accusé l'Eglise, par son silence, de servir les intérêts de la France au Gabon et de contribuer au maintien d'une domination néocoloniale.

Notes
888.

DOCOPM,Annuaire de l'Eglise catholique, 1979. P.543.

889.

Archives CSSP, et AAL, Rapport quinquennal de 1965, situation générale. Témoignage oral du Père Gérard Morel, Entretien du 28 novembre 2001 à Libreville.

890.

Nous revenons sur cette idée dans les lignes qui suivent en abordant la question des conséquences des interventions de l’Eglise dans la vie politique et sociale depuis 1964.