 Les autres raisons: l'évolution rapide de la situation politique.

Une autre raison du silence de l’Eglise au Gabon à la fin des années 1960, comme l'affirme Claude Prudhomme et Jean François Zorn, est liée au fait que la mutation politique était devenue irréversible et surprenait par sa rapidité 893 . Au lieu d'une évolution politique progressive et contrôlée, comme l'espéraient les missionnaires du Gabon, les choses étaient allées autrement et à une vitesse vertigineuse. Les missionnaires avaient le sentiment d’être impuissants.

Cette évolution politique rapide conytraignit les missionnaires du Gabon à accélérer la passation des pouvoirs et à agir dans l'urgence. Moins de deux après le changement de régime et quelques mois après l'instauration du parti unique en mars, l'Archidiocèse de Libreville fut confié à un autochtone. Mgr Jean Jérôme Adam céda sa place à Mgr André Fernand Anguilé et le troisième diocèse du Gabon, créé en 1969, fut confié à un autre Gabonais, l’ancien évêque auxiliaire de Libreville, Mgr François Ndong.

De 1967 et 1968, à cause des pressions de quelques membres du clergé gabonais et de quelques chrétiens Gabonais, mais aussi et surtout à cause du concile Vatican II et dela volonté de changement des missionnaires liéé à l’évolution de l’idée de la Mission, les missionnaires en poste au Gabon furent contraints de redéfinir leur place au sein de l'Eglise du Gabon qui commençait à peine à affirmer son caractère autochtones.

Il faut ajouter à cela qu'à la fin des années 1960, la jeune Eglise du Gabon aux habitudes missionnaires ne disposait pas véritablement en son sein d'une organisation, des structures solides, d'un cadre juridique, encore moins d'un enseignement qui lui permettait d'intervenir dans la vie politique 894 .

Le concile Vatican II venait à peine de s'achever et ses enseignements, à travers la constitution pastorale « L'Eglise dans le monde de ce temps » et bien d'autres documents conciliaires, n'étaient pas encore mal connus des missionnaires en poste au Gabon 895 . Ce manque de références pour intervenir dans la vie politique gabonaise annihila les ambitions de certains de voirl’Eglise devenir un « élément  896 » politique écouté et respecté comme elle l'était sur le plan social avec son œuvre éducative et sanitaire.

Rassuré e par une constitution rédigée sur le modèle français qui garantissait « la liberté religieuse » dans le casre de la laïcité, l'Eglise du Gabon se trouva débordée par les idées et les pratiques d'un nouveau régime et d'un parti unique triomphant. Zelle ne sut que faire face à un régime de la Rénovation qui voulait une légitimité et cmettait le parti unique au service de la personnalisation du pouvoir. La jeune Eglise du Gabon, avec les moyens d'actions légués par la Mission, mêmes t limités, aurait pourtant pu constituer un concurrent dangereux et un obstacle pour le nouveau régime et le parti unique.

En 1967 et 1968, l'Eglise a préféré de ne pas se muer en concurrent pour le régime de la rénovation 897 . Depuis 1963 et la nationalisation des écoles, et après les événements de 1964, l'Eglise du Gabon, du moins sa hiérarchie, ne voulut plus d'affrontements avec le pouvoir politique.

Il est vrai que es interférences entre les stratégies de prise de pouvoir, entre les solidarités familiales, régionales, ethniques; et les option idéologiques à géométrie variable de la Rénovation, rendaient opaque une réalité politique qui se solda pour l'Eglise missionnaire par une longue période de liberté très surveillée et lui interdit d'occuper la scène publique 898 . Inévitablement la jeune Eglise du Gabon fut confinée à la « sacristie » par rapport à la vie politique gabonaise qui elle-même entrait dans une phase de déclin.

Il y eut cependant comme un combat idéologique invisible entre le pouvoir politique et l'Eglise au Gabon. Le régime de la Rénovation s'engagea irrémédiablement à appliquer le principe de la séparation entre l'Etat et les Eglises tout en garantissant la liberté religieuse. Dans ce combat invisible le peuple, y compris les chrétiens, soutenait ouvertement le pouvoir politique, à travers une adhésion massive au parti unique.

Au début du parti unique, le peuple sembla prendre ses dsitances avec une Erglise qui avait rempli une importante oeuvre éducative à l’époque des missions. Mais celle-ci avait été été surtout religieuse, préparant mal aux mutations rapides survenues entre 1958 et 1968. Dans ces conditions, le peuple comprenait difficilement l'idéologie du nouveau régime ainsi que les tenants et les aboutissants du parti unique. Le discours prometteur du régime de la Rénovation qui préconisait la construction d'un véritable Etat-nation l’emporta et s’imposa contre le discours social de l'Eglise missionnaire du Gabon.

Notes
893.

Sous la direction de Jean Marie Mayeur, Ch. () et L. Piétri. Avauchez. M Venard, Histoire du christianisme, crises et renouveau de 1958 à nos jours, Tome XIII, Desclée, Paris 2000. Chapitre V, "Un christianisme négro africain" par Claude Prudhomme et Jean François Zorn.

894.

Témoignage oral de l'abbé Jean Mbeng, entretien du 28 septembre 2002, à Libreville

895.

DOCATGAB, CEG, Affermis tes frères dans la foi, Discours et homélies, document publié à l'occasion de la visite du Pape Jean Paul II au Gabon en 1982. « Situation de l'Eglise du Gabon ».

896.

Au sens de « Force vive de la Nation gabonaise ». Nous considérons que l'Eglise catholique au Gabon est un spectateur averti de la vie politique. L’Eglise est une force vive de la Nation. Elle ne fait pas de la politique directement mais elle jette un coup d'œil très averti.

897.

Nous pensons que le silence de l'Eglise en 1967 et 1968 est une action conjuguée liée aux raisons internes et externes à l'Eglise

898.

Nous nous inspirons de l'affirmation de Claude Prudhomme et Jean François Zorn, dans le chapitre V, Histoire du Christianisme. Desclée, Paris, 2000.