● Le dialogue inter religieux avec les musulmans

La première religion non chrétienne du Gabon entre 1969 et 1995 est l’Islam. Elle tient cette position de son implantation au Gabon dans les années 1920 grâce à la venue de ressortissants ouest africains et l’arrivée des haoussas musulmans dans le Nord du Gabon dans les années 1940.

L’analyse de l’histoire de cette religion au Gabon montre que les facteurs de pénétration de celle-ci au Gabon sont essentiellement économiques et sociaux.

Composés très largement d’expatriés ouest africains, petits commerçants, l’Islam a ensuite obteu la conversion des Gabonais pour des motifs que certains font reposer sur « le cœur et la raison » 1064 .

Contrairement à une idée souvent répandue dans la société gabonaise par quelques musulmans, l’Islam n’a pas progressé davantage que le christianisme depuis 1960, et sûrement moins que le catholicisme. Les chiffres, même s’ils ne sont pas très pas fiables, en témoignent 1065 . Malgré cette concurrence quantitative relative, les difficiles relations entre musulmans et catholiques au Gabon sont un héritage d’une longue tradition d’intérêts concurrents, et surtout d’une méfiance réciproque, héritée des pays voisins d’Afrique où cohabitent une forte composante chrétienne et musulmane, comme le Cameroun et le Nigeria, depuis la période coloniale.

Néanmoins le dialogue inter-religieux entre catholiques et musulmans au Gabon émerge au début du pontificat de Jean Paul II, même si lors de son passage à Libreville en 1982 les autorités islamiques de Libreville ont été absentes. Après le passage du Pape, les deux communautés se sont rapprochées. Du point de vue des autorités catholiques, l’ouverture véritable de ce dialogue fut considérée comme un moyen de réfléchir et d’agir en compagnie de cet autre grand monothéisme mondial, des voies pour demander et obtenir la justice sociale en faveur des faibles, et pour protéger les libertés 1066 .

Nous pensons aussi que ce rapprochement était stratégique de part et d’autre par le seul fait que le Président de la République, El Hadj Omar Bongo, ancien catholique, était devenu musulmans en 1973. Les relations entre les deux confessions scellent une sorte d’union autour du chef d’Etat, qui pouvait être sensible au discours des deux confessions, et accorder aussi quelques largesses, par exemple, pour la construction des édifices religieux.

Dans les années 1980, le Président Bongo a d’ailleurs encouragé : la construction de la mosquée Hassan II, à Libreville, grâce à la coopération avec le Maroc 1067  ; et la reconstruction de l’Eglise Saint Pierre 1068 . La particularité de ces édifices, très modernes, est leur emplacement, à côté de la présidence de la République.

Les relations entre l’Eglise et l’Islam au Gabon se sont limitées entre 1969 et 1995 à un dialogue entre les autorités, surtout lors des grandes célébrations musulmanes. Mais ces relations soufflent tantôt le chaud et tantôt le froid, surtout après 1986.

Les autorités catholiques se plaignent non seulement du traitement de faveur qui est accordé à l’Islam dans les médias publics, mais aussi et surtout des attaques sournoises lancées par les musulmans contre l’Eglise catholique au cours de ces émissions islamiques qui sont diffusées le vendredi et le dimanche en même temps que les émissions chrétiennes. Les autorités catholiques se plaignent aussi de certaines pratiques des musulmans du Gabon qui achetaient, en certains endroits, les consciences en faisant don de 500 F Cfa à ceux qui allaient écouter la prière à la mosquée le vendredi 1069 .

Les relations entre l’Eglise et l’Islam au Gabon ont surtout souffert des motifs de conversion de certains Gabonais. Pendant les années fastes au Gabon, quelques Gabonais, en effet, se sont convertis à l’Islam pour obtenir une promotion politique. D’autres, chrétiens et païens, issus des couches sociales démunies et des milieux ruraux du Sud Gabon, surtout les jeunes, se sont convertis, non seulement au nom de la foi mais aussi pour bénéficier de certaines largesses sociales liées à l’aumône.

A cause de ces « conversions de raison », liées à celle du Président de la République et à celle de certains hauts cadres, on peut parler de la montée d’un « Islam politique et social » ambigu au Gabon durant ces années.

En 1995, les relations entre les deux communautés sont devenues préoccupantes. Les autorités catholiques continuent de dénoncer le soutien des autorités politique à l’Islam au Gabon. Elles se demandent si l’objectif inavoué du pouvoir politique n’était pas de faire de l’Islam une religion d’Etat. L’adhésion du Gabon à la Ligue Islamique Mondiale n’a pas été bien perçue par l’Eglise catholique qui a même demandé le retrait du Gabon pour préserver la paix civile et religieuse dans le pays. Elle estime que les raisons de l’adhésion étaient insoutenables et anticonstitutionnelles. La religion d’une partie des citoyens – quelle que puisse être par ailleurs leur position sociale – ne devait pas devenir une religion d’Etat. Sinon il ne fallait plus se réclamer de la démocratie et de la laïcité. Les chrétiens étant fortement majoritaires au Gabon, la collaboration entre les confessions religieuses et l’Etat devait tenir compte de cette réalité 1070 .

Les relations entre l’Eglise et l’Islam au Gabon sont ainsi devenues des relations entre l’Eglise et l’Etat dirigé par un musulman soupçonné d’encourager sa religion. Dans cette optique, les autorités catholiques ont mis sérieusement en garde le pouvoir politique.

Les musulmans, minoritaires au Gabon et en majorité étrangers, avaient jusqu’en 1995 pratiqué et propagé leur religion sans rencontrer d’hostilité de la part des chrétiens gabonais, pour qui la tolérance et la liberté de conscience n’étaient pas de simples mots, surtout depuis la mise en pratique des réformes de Vatican II au Gabon. Les évêques du Gabon n’ont pas manqué d’évoquer les rsiques nés d’un prosélytisme relgieux inconsidéré:

‘« Il ne faut pas importer chez nous le fanatisme religieux qui fait couler le sang et qui fait ravage sous d’autres cieux. Nous savons la précarité de notre unité nationale avec nos nombreuses ethnies, il ne faut pas fragiliser davantage avec des complications religieuses qui empoisonneront tôt ou tard la vie des citoyens.  1071 » ’
Notes
1064.

Ibrahim Bignoumbe-Bi-Moussavou, L’Islam au Gabon, Multipress, juillet 1995

1065.

En 1987, le Gabon comptait 65,5% de catholiques pour un total de 96,2% de chrétiens dont 18,8% de protestants et 12,1% de chrétiens indépendants. Il n’y avait que 1% de musulmans et 2,8% pour le reste c'est-à-dire les religions traditionnelles. Cf., Clevenot, L’état des religions dans le monde, le Cerf, la Découverte, Paris 1987

1066.

Témoignage oral, Entretien du 19 avril 1998 à Mouila avec Mgr Dominique Bonnet, évêque de Mouila

1067.

Situé en face de la présidence de la République, voici ce qui est écrit sur la plaque installé à l’entrée de cet édifice : « Par la grâce de Dieu, cette mosquée a été construite pour symboliser la fraternité éternelle entre le Maroc et le Gabon. Cette mosquée a été inaugurée ce vendredi 11 février 1983 par son excellence le président de la République gabonaise, en présence de son altesse Moulay Hassan Ben Mahdi, représentant sa majesté Hassan II, roi du Maroc »

1068.

En 1974, les travaux d’extension de la Présidence de la République, pour le transformer en un palais de marbre appelé « Palais Rénovation », avaient conduit à la destruction de la belle église Saint Pierre de Libreville construite au XIXè siècle.

En compensation, le Président de la République avait accepté de reconstruire l’église Notre Dame des victoires avec le même plan que l’ancienne église de Saint Pierre. Non loin de la présidence sur les terrains de l’Eglise, un joli édifice à l’architecture moderne fut bâti et inauguré en 1986 sous le non de l’église Saint Pierre.

1069.

DOCOPM, Rapport des évêques lors de la visite « ad limina », 7 décembre 1987. Cf. aussi Documentation catholique, N° 1954 du 17 janvier 1988

1070.

DOCATGAB, CEG, Message des évêques aux chrétiens catholiques et à tous les hommes de bonne volonté, « L’urgence d’un sursaut patriotique » in Paroles d’Eglise, Février 1995.

1071.

DOCATGAB, CEG, Message des évêques, « l’Urgence d’un sursaut patriotique », Février 1995.