Les rites et croyances locales gabonais ont connu, après 1969, une forme de reconnaissance de la part de l’Eglise. En 1980, Mgr Basile Mvé déclarait à ce sujet que « depuis le concile Vatican II, il y a eu des modifications dans l’expression de notre foi. On fait davantage appel à ce qui, hier, était condamné comme diabolique. 1086 »
Les autorités religieuses, jadis réfractaires aux croyances locales, appelaient à une meilleure considération de ces croyances. Un des exemples les plus précis est la revalorisation de « la foi des ancêtres ». L’Eglise a admis que celle-ci pouvait, dans une certaine mesure, aider les Gabonais à retrouver le sentiment religieux et une morale dans une période aussi difficile, sur le plan culturel et moral, que celle des années 1970 et 1980 1087 .
L’Eglise catholique au Gabon reconnut donc les bienfaits de la foi des ancêtres, en admettant que le Gabonais vit continuellement sous l’influence d’un monde invisible. Dans tous ses actes, Dieu est présent, même si on a recours à lui très rarement. Si le Gabonais n’adresse pas de prière directement à Dieu c’est parce qu’il a chargé les ancêtres de s’occuper de leurs descendants Le recours aux mânes des ancêtres, l’équivalent des anges et saints, est donc continuel.
Mgr Jean Jérôme Adam, ancien archevêque de Libreville, témoignait que pour le Gabonais Dieu est à l’origine de tout : « je suis sur la terre de Dieu ». Tout ce qui est sur terre lui appartient. Des plantes aux propriétés spéciales portent par exemple l’épithète de Dieu. Les esprits des morts dépendent de Dieu. C’est Dieu qui a donné à chaque être ses propriétés.
Les ancêtres et guérisseurs tiennent leurs connaissances de Dieu et les événements de la vie sont les temps de Dieu. Tout ce qui est conforme à la nature vient de Dieu et il est le juge de tout. La référence à Dieu se révèle surtout par des cris, des exclamations 1088 .
Pour l’Eglise tout cela devient une base solide pour l’enracinement de la foi chrétienne et a été une raison pour laquelle le christianisme s’est installé avec succès. Elle considère que, malgré les déviations, observées ça et là, la foi des ancêtres a quelque chose de respectable et peut aider à comprendre la communion des saints chez les catholiques. L’Eglise reconnaît aussi que, dans le passé, la foi des ancêtres véhiculait plusieurs vertus naturelles, vertus méconnues des jeunes à partir des années 1970.
L’Eglise en vint à regretter la disparition de ces vertus. Le respect des anciens, la solidarité et l’hospitalité qui caractérisaient cette foi des ancêtres, avaient disparu. Les jeunes étaient en manque de repères. Par exemple, les jeunes Gabonais ignoraient qu’il fut un temps où les filles devaient arriver vierges au mariage ; une femme infidèle et son séducteur risquaient leur vie ; on ne parlait ni d’avortement ni de faute contre nature (contre son gré) 1089 . Les difficultés à transmettre les croyances et les valeurs sont alors apparues liése à la condamnation antérieure du paganisme, dans le contexte de la Mission et de la colonisation.
La crise de vocation, durant ces années, fut même attribuée par certains à cette revalorisation de la culture gabonaise par l’Eglise. Dans la mesure où elle avait pris en considération les valeurs culturelles gabonaise et où il y eut chez les jeunes gabonais une recherche mesurée de leur propre identité culturelle, cette recherche pouvait être comparée, toute proportion gardée, à ce qu’on appelait au Zaïre (aujourd’hui République démocratique du Congo) l’authenticité 1090 .
La quête d’une nouvelle identité culturelle, préconisée d’abord par les jeunes et les cadres, mit en conflit l’héritage colonial et la foi des ancêtres. Pour exprimer leur originalité les Gabonais eurent tendance à vouloir vivre sur les deux registres, celui de la culture occidentale et celui de la culture traditionnelle, selon que l’un ou l’autre leur était favorable.
L’apparition de nombreuses sectes chrétiennes, ésotériques et occultes, illustre également ces changements culturels. Dns un premier temps certains chrétiens s’appuyaient sur la reconnaissance de leurs valeurs culturelles par l’Eglise pour prendre des libertés avec l’orthodoxie. Finalement ils commencèrent à ignorer les chemins des Eglises chrétiennes officielles importées par la colonisation, estimant que « tous les chemins mènent à Rome ».
Pour les évêques, les prêtres, religieux et religieuses le constat était très amer. Cela est d’autant plus vrai que le recours à la tradition était délicat. Les coutumes comportaient des éléments discutables mais elles constituaient aussi un fond solide sur lequel pouvait s’édifier une civilisation moderne et chrétienne au Gabon. Les autorités catholiques tentèrent de défendre une position médiane qui disculpait la Mission du Gabon du reproche d’avoir contribué, en partie, à la destruction de la foi des ancêtres, et proclamait sa volonté de la prendre en compte. « L’Eglise n’est pas venu pour détruire, mais pour reconnaître les vestiges de Dieu, maintenir tout ce qui est humain, tout ce qui est sacré 1091 ». Mais entre 1969 et 1995 l’Eglise n’a pas réussi à résoudre ces problèmes culturels.
DOCOPM, voir aussi DOCGAB, Mgr Basile Mvé, interview de Philipe Essomba, dans Bingo, N° 334, novembre 1980.
DOCATGAB, Mgr Jean Jérôme Adam ancien archevêque de Libreville, « la foi des peuples du Gabon : pierre d’attente au christ », document dactylographié, Franceville, 1975.
DOCOPM, Dossier 347, Mgr Adam, « la foi des ancêtres », 1965
Témoignages oraux, Entretiens avec le Père Gilles Sillard, février et mars 2000 à Chevilly Larue, avec le père Gérard Morel, le 28 novembre 2001, et avec le Père Emmanuel François, le 1er octobre 2002 à Libreville.
Une combinaison des valeurs occidentales et traditionnelles.
DOCATGAB, CEG, Rapport de 1979