● L’inculturation de l’Evangile

Entre 1969 et 1995, l’Eglise catholique au Gabon se posa, comme ses consœurs d’Afrique, toutes les questions de l’inculturation. Après des années d’acculturation spontanée, concédée plus qu’acceptée, le Concile Vatican II a ouvert une nouvelle ère, celle de l’inculturation. Ce projet a été encouragé par la reconnaissance, dans l’Eglise, de la foi des ancêtres. A travers celle-ci les chrétiens crurent qu’ils tenaient la réponse pour le renouveau du christianisme au Gabon.

L’inculturation se traduit au Gabon dans le discours des autorités religieuses et dans l’ambition des chrétiens d’enraciner l’Evangile dans la diversité des cultures gabonaises avec des expressions rituelles, liturgiques et linguistiques éloignées du modèle latin occidental. Mais la pratique est souvent éloignée du disocurs.

Comme l’affirme l’abbé Jean Pierre Elelaghe Nze, « l’inculturation au Gabon est restée à ses premiers balbutiements » pendant cette période 1092 . Malgré le discours conciliaire, et les efforts de Rome qui encourageait l’inculturation, il est vari avec une extrême vigilance, l’adaptation du message chrétien, des rites, de la liturgie, de la catéchèse aux cultures ancestrales demeure limité et composite.

Le fossé est donc resté considérable entre les intentions et les réalisations, d’autant que la demande d’inculturatoin de la base porte souvent sur des aspects que l’Eglise n’a pas l’intention de mettre en question.. Influencés par les mutations économiques, sociales, politiques et surtout culturelles, les chrétiens catholiques Gabonais, entre 1969 et 1995 avaient de plus en plus de mal à accepter plusieurs obligations liées à la pratique religieuse.

Par exemple, Les chrétiens gabonais n’arrivaient pas à comprendre la conception du sacrement de mariage car dans toutes les ethnies gabonaises, le droit coutumier oblige les futurs époux à une longue période de vie commune.

Certains n’acceptaient pas la confession individuelle (sacrement de réconciliation), ou le célibat des prêtres, car dans la mentalité ancestrale, la confession publique ne soulevait aucune difficulté particulière et le mariage avec beaucoup d’enfants continuait d’être considéré comme une norme fondamentale de la vie sociale.

D’autres chrétiens ne savaient quelle attitude tenir envers les pratiques traditionnelles, même celles reconnues par l’Eglise. Malgré les efforts des autorités, on observe finalement un retour des Gabonais au fétichisme et aux sorciers, traditionnels, et modernes, venus d’autres pays du monde 1093 . Les pratiques, comme celles de consulter un voyant pour lire son avenir, pour se protéger ou tout simplement sacrifier pour une réussite sociale, devenaient usuelles.

Les causes de cet échec immédiat de l’inculturation au Gabon sont multiples. La première raison est sans doute l’insuffisance et la vieillesse du clergé local qui traversait une crise de vocations sans précédent.

En 1995, par exemple, la moyenne d’âge du clergé locale était de 57 ans. Que pouvait faire un clergé réduit, vieillissant, et peu formé sur la question ? La seconde raison était la nature des Gabonais quelque peu conservateurs. Ce n’était pas un hasard si le Gabon est le seul pays d’Afrique où les traditionalistes de Mgr Lefebvre et la congrégation du Christ Roi souverain prêtres ont reçu un bon accueil et trouvé les moyens de s’installer 1094 .

A ces deux raisons s’ajoute l’attitude très critique, mais désordonnée et peu constructive, de l’intelligentsia laïque, pourtant formée par les écoles et collèges catholiques. A l’endroit de l’Eglise catholique elle reclame la fin des méthodes missionnaires, l’authenticité culturelle et la réhabilitation des anciennes croyances religieuses, sans pour autant préciser la démarche à suivre pour réaliser l’inculturation.

Enfin, l’Eglise du Gabon est dépourvue de moyens dans cette entreprise. Elle ne dispose ni de grands séminaires, ni d’un Institut supérieur de sciences religieuses, ni même d’un petit centre de réflexion sur les problèmes de la culture et la foi. En réalité l’Eglise du Gabon ne dispose que des exemples d’autres pays or chaque pays a ses particularités.

Des tentatives furent tout de même engagées pour une espèce d’« ’aggiornamento » en ce qui concerne la liturgie et quelques constructions d’églises.

Dans certaines paroisses, surtout à l’intérieur du pays, on chantait déjà en langues gabonaises avec des instruments traditionnels et des processions d’entrée et d’offrandes dansées. Ces expressions folkloriques sont surtout visibles dans le diocèse d’Oyem qui bénéficie de l’unité linguistique et dans une certaines mesure d’un enracinement un peu plus solide de la foi chrétienne.

A Libreville, la paroisse de Saint Michel de Nkembo a été le théâtre de cette forme d’inculturation. A la longue, elle est même devenue un carrefour où se rencontrent des chrétiens de toutes les langues 1095 .

Dans le domaine de la liturgie des efforts ont été consentis pour la traduction de la Bible, et de certains textes, dans les langues gabonaises. L’exemple le plus intéressant est la traduction du Missel communautaire catholique, des trois années liturgiques, en langue Fang. Dans chaque diocèse des bribes de catéchisme ont été rédigés dans les langues locales mais sans grand rayonnement.

Dans la construction d’églises, on notequelques tentatives encourageantes. La plus réussie est l’église Saint Michel de Nkembo avec ses colonnes sculptées en bois rappelant les événements de la Bible. D’autres églises à l’intérieur du pays, comme celle de Medouneu sont totalement construites en matériaux locaux.

Mais le paradoxe vient du fait que les maîtres d’œuvres de ces constructions ont été des spiritains français. A l’église Saint Michel, par exemple, c’est le Père Morel, alors curé de la paroisse, qui avait fait engager les travaux avec un sculpteur du nom de Zéphyrin 1096 .

Dans tous les cas, la volonté demeurait vive d’incarner et d’inventer une théologie qui pouvait parler aux Gabonais. C’est dans cet ordre d’idées qu’en 1991, dans l’archidiocèse, une équipe dirigée par l’abbé Noël Ngwa (prêtre diocésain) et la Sœur Raymonde (religieuses européenne) fut mise en place pour diriger la formation permanente des catéchistes et réfléchir aussi sur les questions d’inculturation.

L’environnement, social, culturel, économique et politique, particulièrement défavorable, ne permit pas dans l’immédiat d’obtenir des résultats sensibles. En outre, un autre problème continuait de mettre à mal ce phénomène d’inculturation : c’est la montée incessante d’une espèce de religion nationale, le Bwiti.

Notes
1092.

DOCSSP,  le Gabon « Lève toi et marche ». Reportage avec l’abbé Jean Pierre Elelaghe, in Pentecôte sur le monde, revue spiritaine, N° de juin 1994

1093.

DOCSSP, L’abbé Jean Pierre Elelaghe in Pentecôte sur le monde, N° de juin 1994.

1094.

DOCOPM, L’abbé Noël Ngwa in Univers de mars-avril 1992.

1095.

Au Gabon, la paroisse Saint Michel de Nkembo constitue un parfait exemple d’inculturation de l’évangile.

1096.

Témoignage oral, Entretien avec les membres de la communauté Saint Benoît de la paroisse Saint Michel de Nkembo, le 15 novembre 2001.