● L’Eglise et les « intellectuels » : L’Eglise sur le banc des accusés.

Pendant la période du parti unique (1968-1990), et même après, la moitié de la population gabonaise appartenait à l’Eglise catholique mais beaucoup reconnaissaient cette appartenance du « bout des lèvres », selon une expression locale.

Pourtant le baptême, surtout des enfants, n’avait plus rien d’extraordinaire. Les cérémonies de sacrements (baptême, communion et confirmation) se multipliaient chaque fin d’année scolaire, chaque dimanche, lors des grandes fêtes, au point d’atteindre parfois des séances de 200 à 300 baptisés, communiants et confirmés, à Libreville. La popularité de ces cérémonies et la fréquentation dominicale posaient même le problème de l’exiguïté des églises dans les grands centres urbains 1158 .

Pour pallier cette difficulté des travaux d’agrandissement étaient nécessaires. A Libreville par exemple, entre 1970 et 1995, deux paroisses sur trois avaient été agrandies. Mais ce succès était ambigu, la pratique religieuse chrétienne était devenue une activité banale intégrée dans la vie pour les Gabonais issus des basses couches sociales. Pour les autres, l’Eglise catholique prenait valeur de symbole, comme dans le récit des généalogies. Ils se contentaient d’évoquer avec nostalgie les cérémonies au cours desquelles ils avaient reçu les sacrements d’initiation chrétienne et de rappeler le nom du prêtre ou de l’évêque par le ministère de qui ils avaient reçu le baptême ou la confirmation 1159 .

La plus grande hostilité venait des intellectuels (hauts cadres de l’appareil politico - administratif, professions libérales, enseignants, cadres supérieurs des entreprises et même certains cadres moyens), en un mot tous ceux qui avaient reçu une formation supérieure assez poussée. Chez ces derniers on dénotait une attitude souvent critique à l’encontre de l’Eglise et surtout de l’action missionnaire.

Certains revendiquaient leur authenticité culturelle. D’autres militaient pour la restauration et la réhabilitation des anciennes croyances religieuses et pratiques culturelles, en inventoriant les valeurs traditionnelles, et en identifiant celles qui n’étaient pas en contradiction avec l’Evangile 1160 .

Ces critiques d’intellectuels venaient même parfois de certains clercs qui avaient effectué des études en Europe. Citons par exemple l’abbé Noël Ngwa :

‘«  Comme d’autres pays africains le Gabon a été fortement colonisé, non seulement sur la plan politique, mais aussi sur le plan ecclésial. […] L’Eglise s’est transporté chez nous et ne semble pas avoir le besoin de s’adapter. […] Il exi ste un malaise dans la mesure où nous aimerions que ça change un peu plus. Mais nous sommes confrontés à deux pôles de résistance. Il y a d’abord le Vatican … Il y a l’épiscopat gabonais lui-même qui n’est pas inventif et puis une partie des chrétiens d’un certain âge qui se trouvent mal à l’aise avec les petits changements … Il y a un défi à relever. Mais il reste un certains nombre d’atavisme dans l’Eglise du Gabon qui fait que les choses bougent moins qu’ailleurs. […] Je pense qu’un important travail de r éflexion doit être fait… un travail théologique est nécessaire … Mais il y a aussi un travail de réflexion qui consiste à lutter contre une mentalité rationaliste. […] L’Eglise qui est au Gabon est encore très timide… C’est une Eglise très timorée, du moins au niveau de la hiérarchie, qui ne s’exprime pas suffisamment . […] Mais il faut comprendre que dans la situation politique du Gabon… il était très difficile à un groupe de s’exprimer parce que cela paraissait comme une initiative politique. Et si cette po litique n’était pas conforme à celle du pouvoir en place, les personnes concernées pouvaient être considérées comme les ennemies du peu ple. » 1161

Ces opinions de l’abbé Noël Ngwa étaient partagées par la plupart des intellectuels laïcs qui continuaient à s’intéresser à l’avenir de l’Eglise.

Devant ces mouvements de contestation et de revendication où l’Eglise servait souvent de bouc émissaire, les évêques et le clergé étaient parfois désemparés. Et la tentation était grande de délaisser la pastorale de ces milieux rétifs pour continuer à gérer la vie chrétienne traditionnelle dans le cadre sécurisant de la paroisse ou dans la chaleur des communautés villageoises. L’Eglise avait le sentiment d’ « avoir élevé des souris dans les sacs d’arachides », c'est-à-dire d’avoir éduqué des individus qui lui portent préjudice.

En réalité, les avis étaient partagés car les autorités religieuses constataient que certains intellectuels n’étaient pas totalement hostiles à action de l’Eglise catholique au Gabon, mais qu’ils en attendaient beaucoup d’elle surtout dans l’état de confusion morale qui caractérrisait la société gabonaise sous le parti unique 1162 .

Dans les années 1980, l’Eglise estima quele triomphe du régime de la Rénovation et du parti unique PDG, avait provoqué  « la perte des repères culturels, des clivages sociaux et des démissions morales ». Dans ces conditions l’Eglise du Gabon devait affrimer sa mission prophétique qui est d’interpeller et de montrer la route. Elle s’engagea ainsi pour plus d’apostolat. Aux dires même des autorités religieuses, dans les années 1980, c’était devenu un « impératif ».

Les nouveaux objectifs apostoliques au Gabon se traduisirent, après le passage du Souverain pontife, par un mot d’ordre: « l’Evangélisation en profondeur et la promotion intégrale de l’homme. » 1163

Notes
1158.

DOCGAB, Cf. article dans l’Union du 2 juin 1992, signé Mbegha Effa « trois cents baptisés à Saint Michel de Nkembo » le dimanche 31 mai 1992. Cf. aussi article dans l’Union du 19 novembre 1992, signé Mengue Menna, «Quel site pour l’église saint Michel de Nkembo en l’an 2000 ? L’exiguïté des églises : la prolifération des sectes et des nouvelles églises n’a pas émoussé l’audience du catholicisme au Gabon qui chaque jour gagne du terrain. »

1159.

Témoignage personnel. A plusieurs reprises dans les années 1990 nous avons discuté avec des Gabonais qui affirment leur appartenance à l’Eglise catholique par le fait qu’ils ont reçu les sacrements d’initiation chrétienne. Cette catégorie de Gabonais ne va à la messe que lors des grandes fêtes ou lors d’une cérémonie spéciale comme le baptême ou l’enterrement. Quantitativement nous estimons que cette catégorie est aussi importante que celle des chrétiens réguliers aux offices dominicaux ou quotidiens. Aucune étude de sociologie religieuse n’a été faite dans ce domaine.

1160.

DOCOPM, voir aussi DOCGAB,Inreview de Mgr Basile Mvé dans Bingo N° 334 de Novembre 1980 « Etre évêque en 1980 » et dans Don Bosco aujourd’hui, N° de novembre et décembre 1985, « Une Eglise pour construire et implanter »

1161.

L’abbé Noël Ngwa que cite Janot Poulain dans son article sur « L’Eglise qui est au Gabon » Id & Ibid. Ce témoignage est confirmé par celui qu’il nous a accordé oralement le 28 septembre 2002 à Libreville.

1162.

Témoignage oral de Mgr Dominique Bonnet, entretien du 6 avril 1999 Mouila

1163.

DOCATGAB, CEG, Lettres des évêques du Gabon aux chrétiens après le passage du Pape Jean Paul II à Libreville, Février 1982.