● Les interpellations de l’Eglise sur la situation sociale sous le parti unique PDG

Jusqu’au milieu des années 1980, sous le parti unique, l’Eglise du Gabon (en réalité la hiérarchie) est restée presque muette sur la situation sociale, économique et politique du pays. D’où l’idée souvent répandue que l’Eglise s’était tue face à la situation générale du Gabon, sous le parti unique. En réalité son silence n’était pa total.

A défaut d’intervenir directement dans la vie politique, l’Eglise s’exprimait à propos de la situation sociale et morale. Au début des années 1980, devant une situation générale de plus en plus difficile, l’Eglise était déjà sortie de sa réserve pour interpeller les autorités du régime de la Rénovation et du parti unique PDG afin d’améliorer les conditions de vie des citoyens.

Les interpellations de l’Eglise devinrent officielles et se répétèrent lors des cérémonies importantes comme le nouvel an et les fêtes religieuses. Pour notre étude, nous avons retenu deux interpellations entre 1983 et 1990. Elles sont l’œuvre de l’Archevêque de Libreville qui est en quelque sorte le chef de l’Eglise catholique au Gabon, en collaboration avec les autres évêques et les autres responsables religieux 1164 .

Ces interventions avaient pour but de « plaider pour l’homme gabonais en toutes circonstances. » Elles se voulaient prudentes pour ne pas semer la confusion dans un paysage politique particulier, celui du parti unique. Elles se faisaient en faveur de la situation sociale surtout après la visite du Pape Jean Paul II au Gabon en février 1982 et la détérioration des conditions sociales des Gabonais.

Ainsi en 1983, lors de la cérémonie de présentation de vœux au Président de la République, le 3 janvier, Mgr André Fernand Anguilé, au nom des grandes confessions religieuses, avait, pour la première fois 1165 sous le parti unique, dénoncé un certain nombre de maux qui minaient la société gabonaise :

‘« L’arrogant étalage de certaines richesses d’origine douteuse, la crise de l’autorité par démission ou agression, les abus de pouvoir au détriment des sans droits et sans voix, la disparité entre les classe possédantes, jouissant d’une sorte d’immunité, et les masses.  1166 ». ’

Ces maux provoquaient un malaise diffus dans toute la population.

Aux dires de l’Archevêque de Libreville, tous ces maux étaient les symptômes d’une crise morale et spirituelle qui minaient la société gabonaise. Pour s’en sortir, l’Eglise, par la voix de Mgr Anguilé, avait proposé dans l’urgence « le rétablissement de la culture sur le progrès matériel et le développement économique. » 1167

Apparemment cette interpellation des autorités religieuses, toutes confessions confondues, n’eut guère d’écho. Le climat social continua de se détériorer. En 1985, l’Archevêque de Libreville reprit l’initiative, une nouvelle fois, lors de la fête de Pâques pour affirmer cette fois qu’il y a « des nuages à l’Horizon » dans la société gabonaise. En réalité, c’était « un message de paix et de joie », dans lequel il interpellait davantage les chrétiens catholiques Gabonais que les autorités politiques du régime. Même s’il les tenait pour responsables de cette situation.

Le message pascal de l’Archevêque de Libreville peignait, dans un premier temps, une situation particulièrement douloureuse pour l’Eglise catholique au Gabon à cause d’un climat hostile par rapport à son action 1168 . Mgr Anguilé affirma que « L’Eglise est attaquée et menacée ouvertement dans ses représentants: […] tentatives de vol, vol incendie, tentative d’assassinats, agressions, assassinats. L’Eglise est attaquée dans sa moralité, dans sa doctrine. 1169  ».

Mgr Anguilé dénonça également le rôle de la presse qui amplifiait ce malaise et voyait en tout cela un discrédit de l’Eglise dans une société qui avait plus que besoin d’elle et à dans laquelle elle avait toujours servi sans conflit.

Enfin, Mgr Anguilé mit en garde les chrétiens contre la situation politique, sociale, économique et culturelle du pays qui n’encourageait pas l’épanouissement de la foi malgré le dévouement de l’Eglise. Ne voulant pas se limiter à cet aspect douloureux, il appela les fidèles à la fermeté et au courage et il les mit en garde contre la montée des nouvelles religions et des sectes que la situation sociale et certains cadres du régime encourageaient à s’installer.

Cet avertissement aux fidèles était surtout dûs à la confusion régnant dans l’esprit de nombreux Gabonais qui voulaient embrasser toutes les religions et toutes les sectes sans se soucier d’une vraie morale 1170 .

Dans l’ensemble, les interpellations de l’Eglise, par rapport à une situation sociale préoccupante faisaient toujours la part des choses. Elles s’adressaient aux dirigeants politiques, aux décideurs économiques et aux populations qui en fin de compte étaient les plus concernées et les victimes de cette situation. L’Eglise n’accusait pas directement le régime de la Rénovation et le PDG d’être à l’origine de cette situation sociale mais elle l’appelait à plus de rigueur.

L’Eglise n’entendait pas se transformer en force d’opposition, encore moins en syndicat défenseur de la cause sociale des Gabonais. C’est la raison pour laquelle l’Eglise continuait à être particulièrement attentive à préserver ses relations avec l’Etat, surtout dans le domaine de l’éducation. Mais ce rapprochement de l’Eglise avec l’Etat était parfois mal compris par certains Gabonais qui la considéraient comme une institution à la solde du régime. Il convient donc d’examiner de plus près la nature de ces liens.

Notes
1164.

Le Gabon dispose d’un archidiocèse et de trois diocèses. L’Archevêque de Libreville qui réside dans la capitale est souvent considéré par le grand public comme le chef de l’Eglise catholique au Gabon. Cette vision est fondée, non seulement sur l’ancienneté du diocèse, mais aussi sur son immensité et sa population. Le siège cathédral de l’archidiocèse est à Libreville, capitale du pays qui regroupe près de la moitié de la population totale. Dans les grandes cérémonies républicaines, l’Archevêque de Libreville représente toute l’Eglise et il est le principal interlocuteur de celle-ci devant les autorités, notamment le chef de l’Etat à qui il présente chaque nouvel an les vœux de l’Eglise catholique. Au regard du fonctionnement de l’Eglise catholique au Gabon à travers la conférence épiscopale, le discours de l’Archevêque est un discours concerté. Il est vraiment prononcé pour tous les diocèses et même pour toutes les grandes confessions religieuses (catholiques, protestants et musulmans) lors des vœux du nouvel an au chef de l’Etat.

1165.

Nous considérons que cette interpellation de l’Archevêque de Libreville en 1983 est la première dans la mesure où nous n’avons trouvé aucun document écrit et n’avons eu aucun témoignage oral sur une interpellation antérieure entre 1968 et 1983. Les sources orales et écrites se contentent d’affirmer que l’Eglise ne s’était pas tue, qu’elle parlait toujours. Faute de preuve, nous considérons que les interventions de l’Eglise entre 1969 et 1983 étaient officieuses, individuelles, sans action concertée.

1166.

AAL, Discours de Mgr Anguilé, au chef de l’Etat Omar Bongo , au non des grandes confessions religieuses, lors de la cérémonie de présentation des vœux, Libreville le 3 janvier 1983. Cf. aussi DOCGAB, « cérémonie de présentation de vœux au Président de la république » dans l’Union du 4 janvier 1983.

1167.

AAL, Discours de Mgr Anguilé le 3 janvier 1983. Id & Ibid.

1168.

Il s’agit des critiques des intellectuels dont nous avons fait état à propos de « L’Eglise sur le banc des accusés »

1169.

AAL, Homélies de Mgr Anguilé lors des messes de Pâques (veillée pascale et messe du jour). Extrait de l’Homélie de la messe du jour. 7 et 8 avril 1985.

1170.

AAL, Homélies de Mgr Anguilé lors de la fête de Pâques 1985, Ibid. Cf. aussi « message de Mgr Anguilé » dans l’Union du 10 avril 1985.