● Le procès du Moréna et ses conséquences : réveil de l’opposition en France

Le procès des membres du MORENA eut lieu presque une année après la découverte de l’affaire. Il débuta le 17 novembre 1982 et avait pour but le jugement de 37 inculpés.

Chacune des deux deux vagues d’arrestations fit l’objet d’un pocès particulier, et le premier fut le plus retentissant. Les membres du premier groupe, arrêtés entre novembre et décembre 1981, lc’est-à-direles fondateurs du mouvement, furent jugés par la « Cour de sûreté de l’Etat » créée par la loi 22/63 du 31 mai 1963. La Cour était présidée par Victor Dieudonné Moukeytou et les avocats des inculpés étaient des Gabonais : Pierre Louis Agondjo Okawé, Jean Pierre Ondo Nze et Marlyse Issembé 1266 . Les militants arrêtés entre septembre et octobre 1982, ceux qui avaient pris la relève du Moréna officieusement et continuaient à diffuser des tracts, avaient pour leader l’abbé Noël Ngwa, furent plutôt jugés par une « Cour correctionnelle ». Mais les motifs d’accusations étaient restés les mêmes 1267 .

Ce changement de cour de justice a été opéré par le régime après que la « Cour de sûreté de l’Etat », qui avait jugé le premier groupe, ait fait l’objet d’une appréciation défavorable, tant au plan national qu’international. Selon la justice gabonaise, la rasion était différente : aucun lien matériel direct n’avait formellement été établi entre les actes reprochés aux inculpés du premier groupe. Le dossier des inculpés du second groupe était donc étranger au domaine de compétence de la « Cour de sûreté de l’Etat », même si les reproches étaient quasiment similaires. 1268

Le décret n°013884/PR portant mise en accusation des membres du Moréna devant la Cour de sûreté de l’Etat stipulait que les inculpés sont mis en accusation pour trois motifs principaux : pour avoir, premièrement, « entrepris des actes ou des manœuvres de nature à compromettre la sécurité de l’Etat » ; il faut entendre par là, pour avoir organisé une marche pacifique à partir de la Gare routière. Deuxièmement, pour avoir outragé le chef de l’Etat « notamment en confectionnant des tracts portant atteinte à son honneur ou à sa considération… » .

Troisièmement, pour avoir « participé à une propagande écrite ou orale tendant à la révolte contre l’Etat…, à provoquer la désunion des citoyens…, délit connexe aux atteintes à la sûreté de l’Etat… prévu et réprimé aussi par l’article 88 du code pénal » 1269 .

Le premier procès du Moréna, de novembre 1982 confirma les intentions politiques des fondateurs du mouvement car les interventions à la barre des cinq premiers accusés convergeaient. Selon Simon Oyono Abaa’a, Jules Mbah Bekale, Thomas Didyme Nze, Jean Baptiste Obiang Etoughe, Jean Marie Aubame, devant la « Cour de sûreté », leur intention était de « susciter un dialogue avec le chef de l’Etat afin de l’amener à une grande libéralisation du régime en instaurant le multipartisme, du moins en reconnaissant le Moréna ». Plus affirmatif, Simon Oyono Abaa’a déclara « Nous voulions créer un parti qui ferait contrepoids au pouvoir » 1270 . La suite du procès a confirmé la dimension politique du procès malgré les dénégations de certains inculpés qui déclaraient ne pas être concernés par l’affaire.

Le verdict du procès fut sans appel pour les accusés. Le régime tenait à détruire toutes les tentatives d’opposition en prononçant des peines allant de huit à vingt ans de travaux forcés, des peines de un à trois ans d’emprisonnement ferme plus des amendes, des peines de dix-huit mois de prison avec sursis. Elles avaient pour but de servir d’exemple à tous ceux qui auraient la velléité de réclamer le multipartisme 1271 . Toutes les peines furent exécutées sans état d’âme 1272 . Il en fut de même pour le second procès qui se déroula dans le silence devant la « cour correctionnelle » 1273 .

Qu’avait-on reproché au second groupe des morénistes ?

La caractéristique commune des inculpés de la seconde vague d’arrestations était d’être particulièrement hostiles aux dirigeants du régime de la Rénovation, du PDG et de tendre à leur élimination de la scène politique. Lors du second procès, l’accent fut également mis sur le rôle néfaste prêté, aux responsables du régime et du PDG originaire de la province du Haut-Ogooué, par les morénistes du second groupe.

La cour reprochait également aux inculpés du second groupe d’avoir placé un grand espoir dans l’action du MORENA. Les principaux inculpés condamnés par le second procès du Moréna étaient : l’abbé Noël Ngwa Nguema, Valère Ateba, André Eyeghe Obiang, Félicien Essono Ntoutoume et Jules Mba Nzoghe qui bénéficia d’un non lieu 1274 .

Après ces procès, le calme semblait revenir lorsque, au début de l’année 1985 le pays fut une nouvelle fois secoué par l’annonce d’une tentative de coup d’Etat organisé, selon le régime, par le Capitaine Mandza Ngokuta. La sanction fut immédiate et le Capitaine fut exécuté au mois d’août 1985. Pour calmer l’opinion, le régime fit libérer quelques inculpés de l’affaire Morena qui visiblement ne pouvait plus nuire au régime et au PDG. En effet les années de captivité avaient été très éprouvantes pour les condamnés.

Selon les témoignages des inculpés des deux procès, les souffrances endurées furent grandes L’abbé Noël Ngwa parle même d’un « traitement plus ignominieux que celui des assassins et autres grands bandits ». Ce traitement eut pour conséquence, dans l’ensemble, le silence des inculpés à leur libération. La torture des membres du Moréna en captivité avait provoqué la mort de trois d’entre eux. Après leur libération, certains devinrents fous et les ménages de plusieurs furent brisés et les familles désunies 1275 .

Les peines et les échos de la détention des inculpés avaient créé un climat de méfiance et de peur dans la population au point que l’évocation du nom « MORENA » symbolisait pour les Gabonais, jusqu’en 1989, prison et brimades 1276 . Tout engagement politique pour réclamer le multipartisme dans le pays devenait impossible. Avec ces procès le régime de la Rénovation réussit à juguler momentanément toute idée d’un parti d’opposition dans le pays. Si l’opposition était bâillonnée dans le pays, les événements provoquèrent le réveil simultané des opposants Gabonais hors du pays, notamment en France, dès 1982. Les nouvelles inquiétantes venus du pays mobilisèrent les Gabonais expatriés qui décidèrent de former une opposition embryonnaire. Elle devait devenir à la fin des années 1980, l’interlocuteur du régime de la Rénovation.

Pendant que s’effectuait le réveil de l’opposition gabonaise en France, le régime de la Rénovation ne resta pas sans réaction. Il eut recours à « la violence politique » vis-à-vis des opposants, même hors du pays. Une violence qui avait pour but l’intimidation de ceux qui étaient tentés de s’engager dans l’opposition. En effet selon les témoignages des Gabonais ayant vécu en France à cette époque, entre 1982 et 1989, les opposants gabonais essuyèrent quatre « attentats ». Le 12 décembre 1984, deux agressions simultanées furent perpétrées au domicile de Jean Hilaire Aubame, à Paris  et aux domiciles de Joseph Minko à Montreuil à la Rue du Marais. Le 19 mars 1985, ce fut autour du domicile d’Adolphe Evouna d’être attaqué. Et le 12 septembre 1985, la violence atteignit le siège de « Solidarité gabonaise » à la Rue Richer dans le 9è arrondissement de Paris, car c’est sous le sigle de cette association que se regroupaient alors les opposants Gabonais en France 1277 .

Notes
1266.

Metegue N’nah, Id & Ibid. Cf. aussi l’Union du 18 novembre 1982.

1267.

Noël Ngwa Nguema, Choisir de dire la vérité, op.cit. p. 45.

1268.

La première raison est vraisemblable. La cour de sûreté de l’Etat a été dessaisie du dossier parce qu’elle n’avait pas été appréciée par les organismes de défense des Droits de l’Homme. C’est cette même  cour de sûreté de l’Etat qui avait jugé les inculpées du coup d’Etat de 1964. Pour contourner les critiques les autorités du régime de la Rénovation ont créé une Cour correctionnelle destinée à juger les inculpés du second groupe.

1269.

DOCGAB, Journal l’Union. Tous les N° du 18 novembre au 28 novembre 1982. Tous ces N° relatent les péripéties du procès des inculpés de la première vague. Cf. aussi les témoignages de Jules Mbah Bekale et de l’abbé Noël Ngwa déjà cités.

1270.

DOCGAB, L’Union du 19 novembre. Cf. aussi le témoignage de Jules Mbah Bekale, déjà cité

1271.

DOCGAB, L’Union du 27 et 28 novembre 1982.

1272.

Témoignage de Jules Mbah Bekale, déjà cité.

1273.

Témoignage de L’abbé Noël Ngwa, lui-même inculpé de ce second procès du Morena, déjà cité.

1274.

Noël Ngwa Nguema, Choisir de dire la vérité, op.cit. p. 56

1275.

L’abbé Noël Ngwa, choisir de dire la vérité, ma lutte pour la liberté, op.cit. p. 41.

1276.

Témoignages oraux, enquêtes de terrain au Gabon entre 2000 et 2003.

1277.

Essone Ndong Antoine, Le père Paul Mba Abessole , au non de la liberté, op.cit. p. 41.