● Les conséquences de l’affaire Morena au sein du régime et du PDG

Entre 1982 et 1989, le régime de la Rénovation, et son parti unique le PDG tentèrent de rebondir sur le plan politique. En effet, le Morena, à sa fondation s’était manifesté par la rédaction du « Livre blanc ». Ce livre avait attiré discrètement l’attention des dirigeants du régime et du PDG, à tel point que dès 1982, beaucoup reconnaissaiten tout bas les abus dénoncés par les morénistes dans le Livre blanc. Mais personne, au sein du régime n’accepta la création d’un nouveau parti politique.

Officiellement, on ne voulait pas d’un nouveau parti politique source de divisions tribales et de régression sociale. En réalité affirment les opposants les dirigeants avaient peur d’être contestés publiquement, d’être démasqués et d’avoir des comptes à rendre 1278 .

Le despotisme du régime de la Rénovation et du PDG se caractérisait en effert par deux aspects essentiels : une autocritique formelle habilement entretenue et la ferme ambition de maintenir le parti unique PDG par des slogans et des décisions sans effets. Ces slogans concernaient, par exemple « le changement de mentalités » et les déclarations portaient sur la fermeté : « …se faire violence à certains momentscompte tenu de la conjoncture économique mondiale, il est plus que nécessaire de diminuer le train de vie de l’administration. » 1279

Paradoxalement, alors qu’on déplorait l’absence de certaines libertés, telle que la liberté d’expression et de la presse, le quotidien national et gouvernemental L’Union, à travers son éditorial « Pour moi quoi Makaya », se faisait l’écho des critiques populaires en dénonçant les détournements des fonds publics, la cupidités des pontes, la magouille, l’incurie de l’administration, le manque de disponibilité des responsables politiques, l’inefficacité des slogans politiques, la permanence des mêmes hommes – les « sous-marins »- au sein du gouvernement. 1280

On peut y voir une soupape de sécurité mise en place par le régime et son parti unique. Cette forme de liberté d’expression, préconisée par les autorités, permettait aux Gabonais de se défouler en procurant un soulagement passager en même temps que l’illusion d’avoir bravé verbalement l’autorité. Dans le même état d’esprit, le régime permit la production d’une émission radio télévisée, « Les dossiers de la RTG  1281 » célèbre à partir de 1983. Une émission au cours de laquelle les journalistes interrogeaient le premier ministre, les ministres et les dignitaires du régime et du parti, sur tout ce qui semblait relever du secret dans la population 1282 .

A l’issue du procès du MORENA en novembre 1982, le PDG organisa en Mars 1983 un Congrès extraordinaire, qui apparaît historiquement, comme le Congrès de la surprise et de la réaffirmation. En effet d’après le Rapport final du Congrès, le PDG devenait constitutionnellement parti unique par la modification de l’article 4 de la constitution du pays. Ce qui laissait sous - entendre qu’il ne l’était pas jusque là !

Ce Congrès, d’après la déclaration de clôture du Grand camarade, secrétaire général fondateur du PDG, renforçait le rôle du parti dans la vie politique du pays : c’est le parti qui devait désormais désigner les candidats aux élections. Le parti dirigeait et contrôlait aussi l’action du gouvernement par l’intermédiaire du Secrétaire Général (le Président Omar Bongo).

Le parti était consulté pour la nomination aux hautes fonctions de l’Etat. La dernière décision de ce Congrès avait été l’entrée des militaires au comité centra 1283 l. Cette mesure vint installer définitivement le règne de la peur et contribuer à l’anéantissement de l’opposition sur le plan politique. « Ceux qui croient, comme en 1964, manipuler les forces de sécurité, ceux –la se trompent, parce que si on vient avec des fusils, nous répondrons avec des canons, et si on vient avec des canons, nous leurs répondrons avec autre chose. » affirmait le Secrétaire général fondateur du PDG, le Président Bongo 1284 .

D’autre part, à travers le discours de clôture du Président Omar Bongo, ce congrès réaffirmait, non seulement, « les bienfaits du parti unique », l’appel au travail et le caractère sacré de la jeunesse, mais aussi, « la redynamisation de l’action du parti » qui devait à son tour forger l’indispensable « Unité nationale ». Ce Congrès donnait au PDG – parti unique - toutes les prérogatives d’un parti providence se traduisant dans les faits par l’inertie du peuple amputé pratiquement de la souveraineté.

Les gouvernements formés à la suite de ce congrès de 1983, et même après les élections législatives de 1985, confirmèrent cette inertie du peuple et le renforcement du parti unique par le régime de la Rénovation. La composition des gouvernements ne respectait pas le discours d’austérité de la tête du régime et du parti et le nombre de ministre restait très élevé. « L’affaire MORENA », au lieu d’inciter le régime de la rénovation et son parti unique le PDG à une réflexion politique profonde, avait plutôt provoqué des aménagements politiques qui renforçaient leurs prérogatives. Pour matérialiser l’échec du Morena, au milieu des années 1980, le régime qualifia ce mouvement de « mort-né ». Une homonymie qui devint populaire, véhiculée par les militants du parti 1285 . Chez les opposants gabonais en France la colère montait de plus en plus. Si la situation était stabilisée pour le régime, elle s’enlisait pour le peuple, surtout entre 1986 et 1989, à cause d’une crise sociale conjuguée avec une crise économique que les autorités du régime avaient désigné par le terme « conjoncture  1286 ».

Notes
1278.

« Les Morena » article publié dans le journal le Bûcheron de novembre 1990. Sur la base des témoignages des fondateurs du parti en 1981. Cf. aussi, Noël Ngwa, choisir de dire la vérité, déjà cité.

1279.

Omar Bongo, Principaux discours et messages

1280.

Ces mots et expressions sont contenus dans le bulletin « Pour moi quoi… Makaya ». Voir tous les N° de l’Union entre 1981 et 1986.

1281.

Emission radio télévisée, très populaire, au cours de laquelle les journalistes interrogeaient un dignitaire du régime.

1282.

L’Abbé Noël Ngwa, Choisir de dire la vérité, ma lutte pour la liberté, op.cit. p.103.

1283.

Rapport général du 3è Congrès extraordinaire du PDG à Libreville, publié dans l’Union du 3 mars 1983.

1284.

Omar Bongo, Discours de clôture du 3è Congrès extraordinaire du PDG, dans l’Union du 3 mars 1983.

1285.

Témoignages oraux, enquêtes de terrain au Gabon

1286.

La crise économique qui secoue le Gabon à partir de 1986 est connue dans la mémoire populaire par ce terme. Cf. nos entretiens oraux collectifs et individuels.