● Les manifestations et les conséquences de son engagement : lutte pour la liberté

Nous savons déjà qu’après l’arrestations de la première vague des membres du MORENA à la fin de l’année 1981, l’abbé Ngwa était celui qui dirigeait la seconde vague qui critiquait le régime et le parti unique entre janvier et octobre 1982.

Pourtant, l’abbé n’a pas participé aux premières réunions qui ont fondé le MORENA en novembre 1981. Il avait seulement été contacté par les fondateurs sur la rédaction et la publication du « Livre blanc ». A propos de ce document, l’abbé n’était pas favorable à sa publication dans l’immédiat. A la mi novembre 1981 il avait dit ceci à ses amis : « Il valait mieux attendre que la fièvre qui s’était emparée de tout le monde tombât un peu, si l’on voulait avoir des chances d’être écouté. » 1304 Mais c’était sans compter sur la détermination de ses amis du MORENA qu’il avait peu convaincu. Ils revinrent quinze jours plus tard pour signifier à l’abbé leur décision de rendre public le « Livre blanc ». Ce dernier n’était toujours pas d’accord sur l’opportunité d’une telle publication à ce moment du « combat ». Mais c’était sans importance car avant même la publication officielle du Livre, les services de renseignements étaient, au courant des réunions, en possession d’un exemplaire du document et, procédaient aux premières arrestations 1305 .

C’est à la suite de ces premières arrestations des membres du MORENA que l’abbé, ne pouvant plus rester indifférent, participa activement aux activités du Mouvement : Distribution clandestine du Livre blanc, premiers tracts, « J’étais embarqué… ! » 1306 , affirme-t-il. Il ne pouvait rester indifférent devant la réaction violente des autorités du régime du parti unique à l’endroit des membres fondateurs du MORENA qui ne demandaient qu’à instaurer un véritable dialogue. Le dialogue étant le slogan fondateur du PDG 1307 .

Les explications officielles du régime, à propos des arrestations, galvanisaient davantage l’abbé. Les membres du MORENA furent présentés à la Nation comme « un groupe d’égarés et de bandits assoiffés du pouvoir. » 1308 L’abbé avait donc choisi le groupe des « bandits » et dès lors il courait le risque de se faire arrêter eu égard à la réputation qui était la sienne depuis 1964 : « un dangereux subversifs fiché auprès des services de renseignements ».

En s’engageant pour le MORENA et pour avoir donc pris la défense de la « majorité silencieuse », l’abbé fut dès janvier 1982, l’objet d’une surveillance accrue et un mandat d’arrêt planait sur lui. En effet, aux mois de mars et d’avril 1982, les services spéciaux l’avaient discrètement invité à cesser toute activité en faveur du MORENA. Il fallait qu’il se désolidarise de « la poignée d’aventuriers ». Mais la détermination, le courage et la foi de l’abbé étaient grands à cause de la méditation de l’Evangile, de ses origines ancestrales sur la base d’un voyage aux sources 1309 .

En dépit de nombreuses responsabilités, dans et hors de l’Eglise, l’action politique officieuse de l’abbé en faveur du MORENA, ne cessait de croître au point de provoquer la colère des autorités. Entre janvier et octobre 1982, l’abbé apparaît aux yeux du régime, comme un dangereux irréductible; un mauvais curé en somme, et non plus seulement comme un subversif. Du point de vu des autorités, l’abbé ne faisait pas des analyses réalistes et ne tenait pas le langage qu’on attendait de l’Eglise dans l’ensemble. Il savait qu’il serait arrêté un jour et condamné. Il était pris en filature plus qu’auparavant, il vivait comme un homme traqué. Au fil des jours et des mois l’étau se resserrait autour de lui. Le 4 octobre 1982 les services spéciaux décidèrent de l’arrêter après avoir arrêté ses autres amis le la veille.

L’abbé avait presque été arrêté dans l’exercice de ses fonctions, en qualité de directeur du collège Bessieux de Libreville. Le 4 octobre au matin, il s’était rendu à son poste de travail pour assurer la préparation du démarrage des cours dans l’établissement car l’année scolaire débutait au Gabon. Le soir, avant de rentrer, on lui annonça que les membres de la « Contre-Ingérence » l’attendaient chez lui. A ce moment, il avait le choix entre une tentative de fuite hors du Gabon ou bien se rendre. Mais, témoigne t-il, sa place était avec ceux qu’on avait appréhendés. Dans la nuit du 4 au 5 octobre 1982, il fut conduit, par les membres de sa famille, à la « Contre-Ingérence » 1310 où il subit plusieurs interrogatoires musclés pendant cinq jours.

Le 9 octobre, l’abbé et ses amis de la seconde vague d’arrestations furent présentés au parquet où les mandats d’arrêts les attendaient. Le même jour, ils étaient transférés à la prison centrale de Libreville où l’abbé Ngwa affirme avoir subi « haine et désappointement » de la part des gardiens de prison, acquis à la cause du régime, qui l’avaient accueilli en lui infligeant, en même temps que ses co-détenus, une bastonnade sans précédent. L’abbé et ses amis n’avaient eu la vie sauve qu’à cause de l’épuisement des bourreaux 1311 .

Cette bastonnade était entrecoupée d’injures révélatrices de ce que pensait le régime sur l’abbé : « regardez-moi ce curé ! » vociférait le surveillant général « Il n’a pas assez de dire la messe, il lui faut maintenant un poste ministériel.  1312 »

Le traitement infligé à l’abbé était du point de vue de ses co-détenus et des chrétiens, un scandale.  Comment était-il possible qu’on ait maltraité un prêtre, un homme de Dieu?

Cette question repose essentiellement sur le fait qu’au Gabon, comme souvent encore en Afrique, le prêtre jouit d’une réputation « magiqo-religieuse ». Le traiter de la sorte en prison était un véritable désaveu et cela jetait le doute sur cette réputation. Le traitement infligé à l’abbé a eu pour conséquence l’absence de ses collègues prêtres à son premiers procès. Certains avaient peut être peur de le soutenir ouvertement pour ne pas subir le même sort. Mais d’autres reprochaient à l’abbé d’avoir dépassé la limite et de nourrir une ambition politique. Il fallut attendre le deuxième procès à cause des plaidoiries des avocats qui exploitaient les encycliques des papes, pour que certains de ses collègues réalisent, le fondement de la démarche de l’abbé Ngwa 1313 .

L’abbé fut condamné à quatre ans d’emprisonnement ferme « pour atteinte à la sûreté de l’Etat » mais il ne sortit de prison qu’ en 1988. Pendant son incarcération, Mgr Donato Squicciarini, ambassadeur du Vatican au Gabon, vint le voir, le 10 mai 1984, pour lui proposer d’écrire une lettre de repentir au Président Bongo, en échange de sa libération. L’abbé Ngwa refusa de poser un tel acte et finalement la suite de leur entretien porta alors sur le rôle de l’Eglise et celui du prêtre dans la société. Le nonce apostolique, Mgr Donato, rappela à l’abbé Ngwa que « le rôle de l’Eglise n’est pas de dénoncer mais de former la conscience de l’homme. »

Mais l’abbé avait répondu en précisant que les deux missions n’étaient pas incompatibles. Mgr Donato avait insisté en déclarant à l’abbé que « Dans tous les cas, il appartient aux évêques de prendre leur responsabilités. Il ne faut pas que les prêtres prennent la place des évêques ni que les laïcs occupent celle des prêtres. » Il ajouta «  Que chacun travail à sa place. Laissez les hommes politiques faire tranquillement faire travail. Vous donnez l’impression de vouloir prendre leur place. » 1314

A travers cette visite et cette affirmation de Mgr Donato à l’abbé Ngwa en prison, on peut discerner le point de vue de l’Eglise et des autorités religieuses locales sur l’engagement politique de l’abbé Ngwa. Il ne devait pas dénoncer publiquement le régime et s’engager en politique. De ce fait, l’Eglise ne dénonça pas officiellement sa condamnation, elle ne réclama pas sa libération. Au contraire, elle voulait que l’abbé s’excusât auprès des autorités politiques. On peut cependant penser que les autorités religieuses locales et le Nonce intervinrent auprès du Président de la République pour demander l’amélioration des conditions de détention de l’abbé Ngwa.

L’Eglise du Gabon ne voulait pas se mêler directement des affaires politiques. Malgré la désapprobation quasi officielle de sa hiérarchie, l’abbé Ngwa affirme qu’il a accepté l’emprisonnement parce qu’il pensait vraiment qu’ être prêtre, c’est être proche de tous ceux souffrent dans leur cœur, dans leur corps ou dans leur âme.

« Je pensais que le Seigneur m’a envoyé auprès d’eux, je pensais que c’était ma manière d’évangéliser que d’être avec tous ceux qui avaient quelque à dire, quelque chose à faire, pour qu mon pays se porte mieux, parce qu’il avait vraiment les moyens de se porter mieux. » 1315

L’abbé Ngwa, à sa sortie de prison en 1988, avait obéit à sa hiérarchie (son évêque). Il accepta son affectation, à Nzeng Ayong, dans la périphérie de Libreville où il avait la mission de fonder une paroisse, celle du Cœur Immaculée. Deux ans après sa libération, l’abbé acceptait aussi de se désengager politiquement. Son engagement politique prit fin en 1990 à l’issue des élections législatives de septembre. Mais le combat politique indirect de l’Eglise dans la société gabonaise continua à travers un autre prêtre, le Père Paul Mba Abessole à qui l’abbé Ngwa avait passé le flambeau quelques jours avant son arrestation en octobre 1982.

Notes
1304.

Noël Ngwa, témoignage oral, entretien du 24 septembre 2002 à Libreville.

1305.

Noël Ngwa, Id & Ibid. Cf. Choisir de dire la vérité, ibidem

1306.

Noël Ngwa, témoignage oral Id & Ibid.

1307.

Noël Ngwa, Choisir de dire la vérité, ibidem

1308.

DOCGAB, Journal l’Union du 11 décembre 1981.

1309.

Noël Ngwa, Choisir de dire la vérité, op.cit. p. 75

1310.

Renseignements généraux gabonais

1311.

Noël Ngwa, Choisir de dire la vérité, op.cit. p.76

1312.

Noël Ngwa, témoignage oral, entretien du 23 septembre 2002, à Libreville

1313.

Noël Ngwa, Choisir de dire la vérité, Cf. aussi témoignages oraux, entretien du 24 septembre 2002.

1314.

Propos du Nonce apostolique Mgr Donato Squicciarini, rapportés par l’abbé Noël Ngwa dans son témoignage, Choisir de dire la vérité

1315.

Noël Ngwa, témoignage oral, entretien du 24 septembre 2002 à Libreville.