Un an après son ordination sacerdotale, le Père Paul Mba avait été affecté à la paroisse Notre dame des Victoires de Makokou où il arriva le 25 septembre 1969. Sitôt son arrivée dans la paroisse, il imprima dans cette communauté une orientation toute particulière dont le maître mot était la liberté. « Le Père Paul aimait insister sur la valeur de la liberté », témoignent certains jeunes et les adultes de cette paroisse à cette époque 1316 : « Dieu appelle les hommes et les femmes libres. Pour répondre à cet appel, il faut qu’on soit libre » 1317 . Il alla jusqu’à traduire cette philosophie dans le fonctionnement de la paroisse. C’est ainsi que les paroissiens de Makokou furent émerveillés d’apprendre que la désignation des différents responsables de la communauté relevait de leur choix. Partout ailleurs, dans les autres paroisses du Gabon cette volonté était encore au stade de la théorie ou des balbutiements.
Cette innovation avait été bien accueillie par les paroissiens qui adoptèrent tout de suite le jeune prêtre, car les décisions de Paul Mba remplaçaient les anciens principes de cooptation 1318 . Cette approche de la religion trouva donc un écho favorable et l’enseignement approfondi de la valeur de la liberté prit les allures d’une véritable campagne qui prouva sa justesse lors des élections présidentielles de février 1973, soit quatre ans après l’arrivée du jeune prêtre dans la ville. Pendant la campagne électorale présidentielle, le Père Paul Mba avait tenu à ses paroissiens des propos qui furent lourds de conséquences car ils furent mal appréciés par les autorités du régime de la Rénovation et du PDG.
En février 1973, la campagne battait son plein dans tout le pays, les idéologues du parti et les « thuriféraires » du secrétaire général fondateur du parti sillonnaient le pays pour expliquer le sens de la candidature unique du Président Bongo. Cette campagne d’explication fit naître un sentiment d’indignation chez le jeune prêtre 1319 . Exaspéré, le Père Mba tint le discours suivant à ses paroissiens:
‘« Election signifie faire un choix parmi plusieurs éléments. Pensez-vous qu’on puisse élire alors qu’il n’ y a qu’un seul candidat ? » 1320 ’Habités par le sentiment de liberté, instruit par le Père Paul Mba, les paroissiens répondirent « Non ». Le jeune prêtre conclut son propos en ces termes : « cela signifie que l’on vous ment. Le pouvoir prend le peuple pour des idiots. » 1321 La détermination et le ton de ce discours avaient ému les paroissiens qui se chargèrent de le répandre dans la ville, dans le département la région et même dans le pays.
Tout le monde fut pratiquement informé des propos presque du Père Paul Mba à Makokou et dans l'Ogooué Ivindo, d’autant plus que le pouvoir avait amplifié l’évènement en voulant faire taire le jeune prêtre. Le régime assura involontairement un large écho de ce propos, non seulement, par la tentative d’arrestation du Père Paul Mba, le 17 février mais aussi par le discours du Président Bongo à Makokou le 20 février 1973, dans lequel il fit allusion à cette affaire 1322 .
Les propos du Père Paul Mba avaient fait réfléchir certains Gabonais, surtout à Makokou, qui s’interrogeaient. Il y eut des vélléités de boycott: « On va élire entre Bongo et qui ? », « ces élections n’ont pas de sens… ». Les habitants de Makokou invitaient même le pouvoir à trouver d’autres mots pour parler des élections et tous affirmaient ou presque « … le Père nous l’a dit. » 1323 . En le déclarant ainsi les habitants de Makokou placèrent le Père Paul Mba au centre d’un scandale politique.
Pour les dignitaires du régime et les défenseurs du parti unique, le prêtre voulait empêcher la tenue des élections présidentielles. Le régime prit donc rapidement la décision de l’arrêter pour le faire taire et ramener le calme à Makokou à quelques jours du scrutin prévu le 25 février 1973. Mais la tentative d’arrestation du jeune prêtre donna lieu à une manifestation qui agita la population locale et rendit célèbre le Père Paul Mba, qui réussit à s’échapper des mailles tendues par les gendarmes chargés de son arrestation.
Cette manifestation est restée inscrite dans les mémoires des chrétiens et autres habitants de Makokou 1324 . Elle a donné lieu a ce que Essone Ndong Antoine a appelé « la guerre des cailloux », 1325 plus connu sous le non de « l’affaire de Makokou ». Mais les habitants de Makokou préfèrent parler des « événements du 17 février » à la paroisse Notre Dame des Victoires.
Nkoure Mba Léon, témoignage oral, entretien du 28 juin 2000 à Nancy. (Jeune paroissien de Makokou en 1973). Cf. aussi, témoignages oraux des paroissiens de Notre Dames des Victoires, entretien du 5 décembre 2001 à Makokou
Essone Ndong Antoine, Le Père Paul Mba Abessole , au non de la Liberté, Ceper, 1992, op.cit. p. 13. (Témoignage sur le parcours politique du prêtre)
Amvanne Léon, Témoignage oral, entretien du 5 décembre 2001 à Makokou)
Essone Ndong Antoine, Le Père Paul Mba Abessole, 1992, op.cit. p. 23.
Essone Ndong Antoine, Le Père Paul Mba... op.cit. p. 23. Cf. aussi les témoignages des entretiens collectifs à Makokou et Libreville. Enquête de terrain de novembre et décembre 2001.
Essone Ndong, Id & Ibid.
Nous reviendrons sur ce discours du Président Bongo en parlant des conséquences des événements de Makokou en 1973
Amvane Philippe, témoignage oral, entretien du 5 décembre 2001 à Makokou
Témoignages oraux, entretiens individuels et collectifs lors de enquête de terrain à Makokou en décembre 2001
dans son ouvrage Le Père Paul Mba Abessole au nom de la liberté, Essone Ndong Antoine désigne les manifestations de février 1973 à Makokou comme étant la « guerre des cailloux ». Il s’agissait d’un affrontement entre les forces de l’ordre et les chrétiens qui utilisaient les cailloux pour les empêcher de s’emparer du prélat.