● L’engagement politique du Père Mba en 1982 : « Bongo aura affaire à moi »

Le début des années 1980 est particulier dans l’histoire politique et religieuse du Gabon. La succession d’événements tant politiques que religieuses entre novembre 1981 et février 1982, avec l’arrestation des membres du MORENA et la visite du Pape Jean Paul II, qui avait apporté un message d’encouragement au peuple gabonais, galvanisèrent le Père Paul Mba.

Pour ce dernier, l’arrestation des morénistes incarnait le durcissement du joug dictatorial du régime de la Rénovation et son parti unique le PDG. La gravité de ces arrestations et les conditions des procès furent des éléments détonateurs de son engagement politique.

Cet engagement se manifesta auprès des jeunes Gabonais à Paris. Réunis sous le sigle de l’UPG (Union du Peuple Gabonais), ils sollicitèrent le Père Paul Mba pour qu’il mène avec eux une réflexion portant essentiellement sur la dégradation de la situation politique du Gabon caractérisée justement par l’affaire du MORENA 1352 .

Lors des premières rencontres, ces jeunes proposèrent au Père Paul Mba d’être leur conseiller. Ce qu’il accepta. Durant toute l’année 1982, les contacts furent nombreux entre ces jeunes et le Père. Lors des différentes rencontres, et pour rendre un hommage de gratitude à ceux qui étaient en prison à Libreville, les jeunes d l’UPG décidèrent de donner à leur mouvement le non de Morena. Un congrès fut envisagé pour préciser et fixer tout cela. Ce congrès eut lieu du 30 octobre au 1er novembre 1982 à l’hôtel Orléans Palace de Paris. Au terme des travaux la direction du Mouvement, qui en réalité n’avait pas encore acquis une reconnaissance officielle, en tant qu’association politique, fut confiée au Père Paul Mba 1353 .

Même si le Père Paul Mba déclare que cette promotion à la tête du Morena à Paris n’était pas synonyme d’engagement politique. Il est difficile d’y voir autrement, d’autant plus qu’un mois avant la tenue de ce congrès, un autre événement, survenu à Libreville, encouragea le Père à s’engager politiquement pour le Morena. Cet événement supplémentaire était l’arrestation de l’abbé Noël Ngwa, qui affirme, de son côté, qu’il avait passé le flambeau au Père Paul Mba pour poursuivre la lutte à Paris 1354 . Après l’arrestation de l’abbé Ngwa, le 5 octobre 1982, le Père Paul Mba fit cette déclaration : « La situation au Gabon est très pénible… Jusque-là Bongo s’est toujours attaqué aux laïcs, personne n’a réagi ; alors s’il touche à un religieux gabonais ou étranger il aura affaire à moi  1355 »

Les nouvelles de l’arrestation de l’abbé Ngwa et de son traitement furent donc déterminantes pour l’engagement du Père Mba dans la « politique politicienne ». De ce fait, non seulement il accepta le poste de président du Morena à Paris, mais il attira aussi l’attention des autorités religieuses et politiques française sur le fait que « chaque société pour vivre et pour se développer, a besoin d’avoir en son sein une fonction critique. Tout le monde attend, dans la situation actuelle [du Gabon] que ce soit l’Eglise qui assume cette responsabilité. » En fait dans cette lettre du Père Paul Mba, il justifiait son engagement politique et celle de l’abbé Ngwa 1356 .

A Paris, où l’opposition au régime de la Rénovation se réorganisait, le Père Paul Mba, conjointement avec un autre abbé Gabonais Joseph Mintsa mi Mbeng, élabora un document intitulé « L’Eglise et l’Etat en conflit ouvert au Gabon ».

Aux dires des deux prêtres en exil, l’emprisonnement de leur collègue l’abbé Ngwa procédait de cette dissension. Ils avaient écrit : « Le régime Bongo , (sic !) cultive l’amalgame en feignant d’ignorer le très net cloisonnement entre l’Eglise et le pouvoir politique » 1357 .

Cette confusion, selon les deux clercs, était manifestement entretenue lorsqu’on évoquait les motifs politiques pour discréditer tel ou tel prêtre auprès de ces supérieures. Ils affirmèrent aussi que les pratiques politiques du régime de la Rénovation avaient implicitement pour but de mieux transcender les moindres velléités et protestations de l’Eglise et qui pouvaient porter un coup dur au régime et, au delà, remettre en cause l’assurance de réaliser ses « projets nihilistes ».

L’engagement politique du Père Mba à partir de novembre 1982 se caractérisa donc par deux orientations. Il diffusa très largement dans les médias la nouvelle de l’arrestation de l’abbé Ngwa à Libreville et il s’attacha à l’organisation de l’embryon de l’opposition gabonaise à Paris.

Elu président de l’opposition gabonaise à l’issu du Congrès d’octobre à novembre 1982, au sein de l’UPG, il le demeura définitivement quand cet mouvement prit effectivement le nom de Morena. Mais cette dénomination et le contenu de son esprit ne rencontrèrent pas l’assentiment des autorités françaises. Dans ces conditions, ils dénommèrent leur association « Solidarité gabonaise », pour obtenir une reconnaissance légale.

L’officialisation de l’engagement politique du Père Paul Mba eut deux conséquences sur sa carrière religieuse. Premièrement, l’affectation à Brazzaville fut annulée. Ensuite, la Congrégation du Saint Esprit, à laquelle appartient le Père, souligna l’incompatibilité de son statut religieux avec ses activités politiques. Faisant la sourde oreille sa congrégation menaça de l’exclure au début de l’année 1983.

Parallèlement, à la poursuite de ses études, il menait à Paris une intense activité politique au point de devenir entre 1983 et 1989 le principal opposant connu du régime de la Rénovation vivant à l’extérieur 1358 . Par le canal de « Solidarité gabonaise », il ne ratait aucune occasion, interviews et réunions publiques pour dénoncer « la perfidie du régime ». L’activité politique du Père Paul Mba avait fini par paraître insupportable aux autorités de Libreville.

Dès le mois de mai 1984, ils avaient demandé, par téléphone, au Père Haas, le supérieur spiritain qui hébergeait le Père Paul Mba rue Lhomond de le mettre dehors 1359 . A cause de la réputation des chefs d’Etats africain dans la presse, particulièrement celui du Gabon dont le nom était cité dans des affaires de violences et même d’assassinats 1360 le Père Haas prit la menace au sérieux et il se sépara du Père Paul Mba qui végétait alors dans la capitale française.

Sans domicile fixe, il passait une nuit par ci, une semaine par là, chez des amis européens, et vivait au jour le jour. Ces difficultés loin de le décourager le galvanisaient et le déterminaient davantage dans sa foi, dans la conviction et la justesse de son combat politique 1361 .

Exclu de sa communauté, n’ayant plus de moyens financiers pour vivre, le Père Paul Mba était obligé de travailler. Il avait trouvé un poste dans l’enseignement comme professeur de français et de latin. Cette activité professionnelle hors du cadre de sa congrégation lui permettait de subvenir à ses besoins et de poursuivre ses activités politiques jusqu’à ce qu’en avril 1989 le régime entre en contact avec lui pour des négociations sur l’avenir politique du pays, notamment du parti unique 1362 . Ces négociations inaugurent une nouvelle période qui est traitée dans un autre chapitre.

Notes
1352.

Essone Ndong, op.cit. p. 42.

1353.

Essone Ndong, op.cit. P.44.

1354.

Noël Ngwa, Choisir de dire la vérité,. p. 160.

1355.

Témoignage du Père Paul Mba, rapporté par Essone Ndong, op.cit. p. 45. Cf. aussi « Portrait du Père Mba, Président du Moréna des Bûcherons » dans le Journal Le Bûcheron, N° spécial de septembre 1990.

1356.

Documents privés, une copie, Lettre du Père Paul Mba Abessole a propos de l’arrestation de l’abbé Noël Ngwa, Paris, le 29 octobre 1982.

1357.

Document privé, L’Eglise et l’Etat en conflit ouvert au Gabon.  Extrait du document publié par le Père Paul Mba et l’Abbé Mintsa à Paris. Cité aussi par Essone Ndong, op.cit. p.46.

1358.

DOCGAB, DOCOPM,Les parcours sinueux d’un opposant dans l’âme » dans Jeune Afrique N° 1563

1359.

Témoignage du Père Paul Mba Abessole, cité par Essone Ndong, op.cit. p. 48.

1360.

L’ouvrage de Pierre Péan, Affaires africaines, venait pas de paraître.

1361.

Témoignage du Père Paul Mba cité parEssone Ndong, op.cit. pp. 48-50. La détermination du Père Paul Mba était telle qu’il ne se déplaça même pas au Gabon pour assister aux obsèques de son défunt Père, Louis Marie Abessole Mba, un ancien catéchiste.

1362.

Essone Ndong, Le Père Paul Mba Abessole , au nom de la liberté, CEPER, 1993