● Les facteurs sociaux : « le vent de l’Est » et un climat social précaire

Les facteurs sociaux ont conduit vers une évolution démocratique au Gabon dès lors que le malaise social s’est concrétisé sous la forme des revendications politiques. En effet, plus les difficultés économiques allaient croissantes, plus le climat social se détériorait et la crise de confiance vis-à-vis du régime et du parti unique PDG s’installait.

Tant qu’aucun événement majeur ne fit sauter les verrous de la peur des Gabonais, pour revendiquer et s’exprimer, le malaise social demeura relatif pour les dignitaires du régime et du parti qui pensaient le juguler par le biais d’une reprise économique. Le régime de la rénovation espérait en effet un rétablissement de la situation économique, comme en 1979, pour donner un coup d’arrêt aux difficultés sociales.

L’événement qui servit de détonateur à l’agitation sociale, en 1989, comme lors de la crise économique en 1985, fut un facteur externe. Il s’agit des événements de l’Europe de l’Est baptisés « vent de l’Est ». Ces événements internationaux, surtout la chute du mur de Berlin le 9 novembre 1989 et la mort de Nicolae Ceausescu 1369 dont les images et les commentaires furent largement diffusés dans les médias nationaux 1370 , ont constitué un déclic dans la conscience populaire. Ces événements galvanisèrent les Gabonais et les engagèrent à agir. Ils osèrent ainsi revendiquer collectivement une amélioration des conditions de travail et de vie sous le parti unique.

Tous les secteurs ou presque furent touchés par les agitations sociales en tête desquels les enseignants, les étudiants et les travailleurs.

Entre 1987 et 1989, une série de grèves, parfois violentes, toucha surtout les principales villes. Les revendications prirent une nouvelle dimension en janvier 1990. Ces grèves rendaient la paix sociale très fragile et elles étaient la conséquence de la baisse des salaires et des licenciements qui touchaient la classe moyenne. Ces grèves étaient aussi favorisées par les mesures impopulaires du gouvernement qui voulait, à tout prix, juguler la crise. Il y eut par exemple la publication de « Loi Mayila 1371  » en 1989, alors ministre du travail, qui préconisait que les travailleurs fussent payés à la tache et non au mois.

Parmi toutes les manifestations sociales, l’événement décisif qui conduisit à des revendications politiques fut la répression sévère d’un mouvement de grève des étudiants de l’université Omar Bongo, UOB, le 17 janvier 1990 1372 . Le peuple réagit par la violence à la répression des étudiants, partout dans la capitale, forçant ainsi le gouvernement à intervenir 1373 .

Les événements qui se produisirent sur le campus de l’Université mirent le feu au poudre. En effet une grève des enseignants puis des étudiants de la Faculté de droit et sciences économiques, qui avait commencé le 10 décembre 1989 gagna tous les établissements de l’université au début du mois de janvier 1990.

Le 17 janvier 1990, la grève prit une tournure brutale avec l’intervention des forces de police sur le campus. Le bilan était significatif : des blessés graves et des dégâts matériels importants 1374 . Durant les trois jours qui suivirent la répression des étudiants des émeutes éclatèrent à Libreville avec un bilan très lourd : destruction de biens publics et privés. Au mois de février 1990, les mouvements de grèves, et les manifestations de rues suivies de pillages, s’amplifièrent, touchant, par ailleurs, tous les secteurs d’activités et tout le pays.

Lors de toutes ces agitations, surtout celles du mois de janvier et février 1990, les manifestants et les grévistes exigeaient entre autres : « un partage équitable du revenu national et une démocratisation du paysage politique » 1375 .

Face à cette situation le régime de la Rénovation, par la voix du Président de la République fit des promesses, par exemple la révision de la grille salariale, la suppression des emprunts et obligations. Devant la situation économique défavorable et surtout un mouvement social qui s’amplifiait, le régime de la Rénovation, par le biais du Président Bongo, fut obligé d’accélérer « la stratégie de flexibilité » entamée depuis 1986 par des discussions avec les membres de l’opposition. Ces discussions portaient sur la situation du pays et elles aboutirent en 1989, et surtout en 1990, à« une ouverture politique » du régime, notamment l’organisation de la Conférence Nationale sur la démocratie.

Notes
1369.

Président de la République en Roumanie. Mort survenue le 25 décembre 1989.

1370.

Il s’agit de la RTG chaîne 1 et 2, la Radio nationale ayant été baptisé « la voix de la rénovation »

1371.

Louis Gaston Mayila, membre du gouvernement en 1989.

1372.

Guy Christian Mounguengui, Les jeunes et la démocratisation du Gabon : les événements du 17 janvier 1990 et leur prolongement politique, Mémoire de DEA, Sciences politique, Paris I, 1995, 126 p.

1373.

DOCOPM, Dossier 347, Gabon : « Complots, troubles, libéralisation » dans le journal Le Monde, du 26 mai 1990.

1374.

Les événements de janvier 1990 sur le campus de l’Université nous sont connus grâce à un travail de terrain de deux semaines (en mars 1997) dans le cadre d’un TD (Travaux dirigés). Pour appliquer notre cours de méthodologie de la recherche dispensé par Koumba Manfoumbi Monique (années académique 1996-1997) nous avions été divisés en trois groupes pour faire la recherche sur les causes, le déroulement et les conséquences de ces événements. Le dépouillement et la mise en forme s’étaient faits également en groupe.

1375.

Koumba Manfoumbi Monique, Les événements de janvier 1990 à l’université Omar Bongo, TD de méthodologie de la recherche orale, 1997.