● L’Eglise du Gabon : un engagement pour des raisons historiques

L’Eglise catholique est intervenue dans les mutations politiques et sociales au Gabon à partir de 1990 parce qu’elle considère qu’elle entretient avec ce pays une « longue histoire d’Amour » depuis 1844 1435 . Selon la Conférence épiscopale du Gabon (CEG), dans son rapport de 1991, le Christ a défini ses disciples, c'est-à-dire les chrétiens, comme ceux qui « sont dans le monde… sans être du monde  1436 ». L’exigence de cette vision a toujours fait vivre les chrétiens dans une dualité entre la construction de la cité terrestre et l’espérance de la cité céleste. Les chrétiens catholiques gabonais, selon les évêques en 1991, ne pouvaient pas échapper à cette vision surtout dans le tourment des événements liés aux mutations politiques et sociales.

Les évêques gabonais enseignèrent donc aux chrétiens, en 1990, que pour mieux aborder les mutations politiques et sociales, ils devaient, en tant que citoyens du monde, «réellement et intimement être solidaire du genre humain et de son histoire  1437 ».

En tant que futurs citoyens du ciel, les chrétiens devaient « rechercher ce qui est en haut… c’est en haut qu’est leur but et… non sur terre.  1438 »

Un regard approfondi de l’histoire de l’Eglise catholique au Gabon et de ses rapports avec la société gabonaise montre que celle-ci, en fait, a toujours vécu cette dualité par l’action de ses vicaires apostoliques, ses évêques, ses prêtres, ses diacres, ses religieux et religieuses, l’enseignement de ses éducateurs, l’action caritative des âmes consacrés, et l’engagement concret des laïcs. Mais à partir de 1990 un engagement plus net de l’Eglise catholique du Gabon dans les mutations était devenu nécessaire.

S’inspirant du Christ, l’Eglise catholique du Gabon décidait de s’engager mais en se détachant des « honneurs et du pouvoir ». Car, comme l’affirmaient les évêques gabonais, « le royaume de l’Eglise et des chrétiens du Gabon n’est pas de ce monde », il est en haut. Cela est d’autant plus vrai que de 1844 à 1990, l’Eglise du Gabon n’a jamais accédé au désir de diriger le pays, d’instaurer un régime théocratique et d’être hissée à la royauté profane. Elle n’a pas davantage été indifférente à la société gabonaise et à sa patrie terrestre d’accueil.

En 1990, elle continua à le faire pour soulager la misère politique et sociale des Gabonais et surtout pour conduire ses membres à la lumière de la foi. L’Eglise catholique du Gabon s’engageait afin de se faire le défenseur et le promoteur de la vraie religion qui, selon les évêques gabonais, se résume dans le commandement de « l’amour de Dieu et du prochain » 1439 .

Néanmoins la hiérarchie demandait de distinguer les devoirs spécifiques à l’égard de Dieu et ceux à l’égard du pouvoir politique. Les évêques rappelèrent aux chrétiens gabonais « Rendez à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à lui.  1440 ». Dans cette optique l’Eglise du Gabon ne prêcha ni révolte ni désobéissance civique. Elle demanda en revanche aux chefs du pouvoir public et politique de devenir serviteurs des autres, de leur « laver les pieds  1441 »

L’engagement de l’Eglise catholique dans les mutations politiques de la société gabonaise n’a donc pas posé un problème majeur dans ses relations avec les autorités politiques. En effet, depuis 1844, l’Eglise catholique du Gabon a toujours reconnu l’autorité du pouvoir temporel exercé, d’abord par les marins, l’administration coloniale puis par le gouvernement à partir de 1957.

L’Eglise est donc intervenue dans les mutations politiques et sociales de 1990 pour montrer à la société gabonaise « comment être en route vers le royaume éternel par le chemin abrupte des béatitudes ». Elle le fit, d’après les évêques, en traçant « un sillon bienfaisant dans la vie et les activités des gabonais » 1442

L’Eglise catholique intervint enfin dans les transformations démocratiques de la société gabonaise à partir de 1990 parce que, l’histoire de l’Eglise catholique au Gabon, et celle de la société gabonaise depuis 1844 s’est déroulée en vases communicants. L’histoire de l’Eglise du Gabon et celle de la société ont connu des alternances, avec des périodes de paix, de coopération franche, des périodes de suspicions et de méfiance. L’Eglise catholique a toujours insufflé à la société gabonaise «  un esprit nouveau » qui a également et toujours transformé les mentalités gabonaises et les institutions sociales.

La contribution de l’Eglise catholique à la culture gabonaise moderne est indéniable à travers le travail des missions puis des paroisses et beaucoup d’observateurs reconnaissent le « rôle civilisateur » de l’Eglise catholique au Gabon, d’une manière générale celui des Missions chrétiennes hors d’Europe. 1443

En retour, l’Eglise catholique, depuis son installation a bénéficié la protection des lois et surtout de la liberté d’exercer son œuvre grâce à la liberté religieuse. C’est non sans raison que le préambule de la constitution gabonaise jusqu’en 1991 débutait en ces termes : « Le peuple gabonais conscient de sa responsabilité devant Dieu…  1444 ». La paix entre les peuples habitants le Gabon depuis la période précoloniale a facilité l’expansion de l’Eglise catholique dans le pays.

Depuis 1844, la Mission puis l’Eglise catholique du Gabon n’ont en réalité pas cessé dintervenir dans la société. Le concile a apporté une contribution décisive pour légitimer cette action à travers ses documents, surtout la constitution pastorale « L’Eglise dans le monde de ce temps », Gaudium et Spes qui constitue pour le clergé gabonais une véritable « bible » des relations entre l’Eglise et la société. D’après le clergé gabonais, « le code du droit canonique » de 1983 a également apporté une grande contribution pour comprendre le cadre institutionnel qui servit d’appui à l’Eglise pour s’engager dans les mutations démocratiques de 1990 au Gabon. 1445

Entre 1964 et 1989, on affirmait volontiers que l’Eglise catholique s’était tue face aux évolutions sociales et surtout politiques au Gabon. « Non, L’Eglise ne s’était pas tue » affirmèrent les évêques gabonais en 1991. En effet, rappelaient-ils, en 1960, l’Eglise du Gabon avait salué avec joie l’accession du pays à l’indépendance.

L’Eglise établit dès les premières années de l’indépendance, des rapports harmonieux, avec les autorités politiques, faits d’estime réciproque et sans empiètement. A partir de 1970 et surtout dans les années 1980, il y eut quelques frictions qui firent réagir l’Eglise dans ses rapports avec la société gabonaise et surtout avec les autorités politiques, à cause d’une certaine « dérive autoritaire et anti-démocratique »

L’évolution des rapports entre l’Eglise catholique et la société gabonaise suscita quelques réserves de la part de la hiérarchie mais « la critique ne fut pas systématique, ni tapageuse » car le système de parti unique de 1968 à 1990 ne favorisait pas la prise de parole. Pour les évêques gabonais, la voix de l’Eglise continua à retentir « … ça et là, à peu près dans le désert, comme Jean baptiste dans la Bible. » 1446 . Aussi, en 1990, l’Eglise du Gabon, consciente de son histoire, de ses relations avec la société gabonaise et des enseignements de Vatican II décida-t-elle de s’engager ouvertement.

Notes
1435.

DOCATGAB, Rapport de la CEG de février 1991, in Paroles d’Eglise, juin 1991.

1436.

Evangile de Saint Jean Chap. 11 et 17, versets 14 et 16. Cité dans le Rapport de la CEG, février 1991.

1437.

DOCATGAB, « L’Eglise dans le monde de ce temps » Gaudium et Spes Lire G.S. op.cit. Dans l’avant propos. Cf. aussi Rapport de la CEG, février 1991.

1438.

Epître aux Colossiens Chap. 3, 1-2. Cité dans le Rapport de la CEG, février 1991.

1439.

DOCATGAB, Rapport de la CEG, in Paroles d’Eglise, N°1, juin 1991. Le rapport fait référence aux Evangiles de saint Luc et Saint Marc : Luc 19, 41-44 et Marc 18 28 et 34.

1440.

Evangile de Saint Mathieu, Mt. 22 15 et 22 cité par le Rapport de la CEG, ibid.

1441.

Evangile de Saint Luc, Chap. 22, 24-25.

1442.

DOCATGAB, Rapport de la CEG, « L’Eglise dans les mutations actuelles de la société gabonaise », in Paroles d’Eglise, juin 1991.

1443.

Claude Prudhomme et Jean François Zorn (dir.), Missions chrétiennes et formations des identités nationales hors d’Europe XIXe et XXe siècles, CREDIC, N°12, 1995.

1444.

DOCGAB, Présidence de la République, Constitution de la République gabonaise, Multipress-Gabon, Libreville, mai 1975. Cf. aussi constitution de 1959 et 1961.

1445.

DOCATGAB, Rapport de la CEG, « L’Eglise dans les mutations actuelles de la société gabonaise », in Paroles d’Eglise, juin 1991.

1446.

DOCATGAB, Rapport de la CEG, Id. & Ibid.