2- Les résultats des travaux de la Conférence nationale

La conférence nationale du Gabon tenue du 23 mars au 19 avril 1990 à Libreville constitua un événement politique majeur en Afrique centrale et même dans tout le continent 1491 . Elle eut des résultats très importants dans la vie politique gabonaise : la fin du parti unique, l’instauration du multipartisme et la conquête des libertés démocratiques fondamentales pour le peuple gabonais.

Tous les résultats de la conférence furent présentés comme des propositions regroupées dans des documents que les conférenciers dénommèrent des « Actes de la conférences  1492 ». Les principales propositions furent les suivantes :

‘«  La formation d’un gouvernement de transition, l’organisation d’élections législatives multipartistes, la création de certains organes de l’Etat, notamment une cour constitutionnelle, un conseil national de la communication, un conseil national de la démocratie, une conférence nationale, le réaménagement de certaines hautes fonctions de l’Etat, un comité de suivi des Actes » 1493 . ’

Certains Actes comme les Actes VII et VIII proposaient même une « Charte des libertés » et un projet de constitution complet.

D’autres Actes tels les N° IX et XII portaient sur l’organisation du multipartisme et la destinée du patrimoine de l’ancien parti unique PDG. En revanche, les Actes II et III ayant trait aux programmes économiques, financiers et culturels ressemblaient davantage à une liste de desiderata qu’a un véritable plan d’action 1494 .

Du point de vue de l’Eglise, à la lecture de la presse chrétienne internationale, les travaux de la conférence nationale gabonaise étaient saitisfaisants. Car à travers cet exemple gabonais, après celui du Bénin, la démonstration était faite qu’en cas de nécessité un peuple africain pouvait décider, en quelques semaines, de s’asseoir pour parler, afin de débloquer une situation politique apparemment sans issue : « Rien n’est parfait en ce monde, mais le modèle a effectivement fonctionné sur le Mont-Bouët, comme il l’avait fait quelque mois plus tôt au Bénin  1495 », pouvait on lire dans le préambule du dossier proposé par la Semaine Africaine à propos de la conférence nationale du Gabon.

Les autorités religieuses locales s’estimèrent également satisfaites des conclusions de la Conférence. Tous les espoirs étaient permis car, comme l’affirma Mgr Basile Mvé « Le Peuple Gabonais continue de croire en son destin compte tenu de ses valeurs ancestrales et de ses ressources naturelles 1496 » Ils étaient également satisfaits du déroulement des travaux dans « un climat de tolérance et de respect mutuel » comme l’avait justement demandé le Président Bongo.

Personnellement, Mgr Basile Mvé put se réjouir du travail accompli car la tâche était immense. Il ne cacha pas sa vive inquiétude sur le bon déroulement des travaux à leur début et sa grande satisfaction à la fin, à cause de la détermination de tous les conférenciers. En homme d’Eglise et pasteur du peuple de Dieu, il déclara à propos de la direction de la conférence nationale qu’il n’avait fait que cela : « C’était pour moi la meilleure façon d’enlever tout écrin à la Nation…  1497 ».

Mgr Basile Mvé, au nom de toute l’Eglise, attribua la réussite du déroulement de la conférence nationale, non seulement, à tous les conférenciers à cause de « leur enthousiasme, leur patriotisme, leur patience et leur sens du compromis… ». Mais aussi au bureau de la conférence qui se caractérisait par « la bonne humeur, la cohésion et le dynamisme » 1498

Photo 36: Mgr Basile Mvé remettant les actes de la Conférence au Président Bongo
Photo 36: Mgr Basile Mvé remettant les actes de la Conférence au Président Bongo

Source : DOCOPM

Au regard du temps mis entre la publication des conclusions de la Commission spéciale du PDG, le discours du Président Bongo le 23 février 1990 annonçant la rencontre et le début effectif de la conférence nationale le 23 mars (soit un mois), ces assises gabonaises peuvent sembler improvisées et précipitées, sous la pression de l’enchaînement rapide des événements dans le pays. En effet, les associations politiques et les associations socio-professionnelles qui avaient été admises à y participer eurent à peine une semaine pour se constituer officiellement et se faire reconnaître. Cela est d’autant plus vrai que jusqu’au 9 mars 1990, la liberté d’association et de réunion n’était pas officiellement reconnue dans le pays 1499 .

Mais au regard du travail accompli par les conférenciers, on peut remarquer que le débat politique qui s’installa avait été préparé officieusement, dans les salons et les huis clos des instances politiques du régime, dans les cercles privés ou des mouvements clandestins. Les principaux ténors de cette conférence nationale avaient, de longue date, exploré les limites du négociable. Ce qui fait qu'ils commencèrent directement à négocier sur l’essentiel, c'est-à-dire le retour au multipartisme après avoir obtenu les garanties de leur sécurité physique. Ceci expliqua, en bonne partie, le fait que les « Actes de la Conférence nationale », fruit de trois semaines de délibérations, se présentèrent sous une forme remarquablement élaborée et quasiment prête pour l’application immédiate.

Convoquée initialement par le Président Bongo pour entériner la naissance d’une nouvelle forme de parti unique ouvert, le RSDG qui ne vit jamais le jour, la Conférence nationale du Gabon aboutit sur le multipartisme immédiat régi par l’ordonnance N° 3/90/ PR du 22 mars 1990 et prorogée par l’Ordonnance N° 005/90/PR du 3 avril 1990 1500 .

La Conférence nationale Gabonaise aboutit aussi au « respect du mandat présidentiel » 1501 . Ce respect souleva, non seulement un problème juridique, mais il permit aussi de déceler les limites de ces assises sur l’application directe et immédiate des « Actes de la conférence ».

Contrairement à la Conférence nationale du Bénin, en février 1990, celle du Gabon n’était pas souveraine. De ce fait, la base légale de la Conférence était très mince. Premièrement, les deux ordonnance prises, le 22 mars et le 3 avril 1990, en pleine conférence pour la seconde, accordaient l’immunité aux représentants des associations admises et une autre prorogeait la durée de l’existence juridique de ces associations jusqu’au 31 décembre 1990 1502 .

Deuxièmement, l’article 2 de l'Ordonnance du 3 avril 1990 affirmait que « La conférence nationale a pour objet de proposer des orientations appropriées en vue de conduire la nation vers une démocratie véritable et multipartiste. Ces propositions seront adressées au Président de la République pour leur insertion dans les lois et règlements de la République  1503 » 

Par conséquent ces dispositions juridiques dénaturèrent quelque peu la Conférence nationale gabonaise car les « Actes », pourtant adoptés par les conférenciers, ne constituèrent en définitive que de simples propositions soumises au Président de la République qui ne pouvait être changé avant 1993. De ce fait, les résultats de la Conférence, présentés comme l’émanation du peuple, furent mis à la disposition du Président Bongo qui, seul, pouvait leurs donner une suite ou pas.

Pour marquer sa volonté d’appliquer ces « Actes », et comme l’avait proposé la Conférence, le Président Bongo se mit immédiatement au dessus des partis politiques, et se retira symboliquement du poste de secrétaire général fondateur du PDG.

Toutes ces dispositions juridiques et son action lui permirent ainsi d’exercer un certain contrôle sur les événements, notamment la nomination d’un nouveau premier ministre, le 30 avril 1990, chargé de former le gouvernement de transition démocratique. Il fut chargé avec le gouvernement de convoquer des élections législatives pour élire des députés chargés de voter une nouvelle constitution. Il fut aussi chargé indirectement par la conférence nationale de mettre en place les institutions démocratiques du pays.

L’Eglise catholique, par la voix de Mgr Basile Mvé, avait très rapidement perçu la responsabilité du Président Bongo dans l’application des « Actes de la conférence ».

Tout en reconnaissant que cette conférence fut convoquée par lui même pour être à l’écoute du peuple Gabonais, l’Eglise lors de la cérémonie de clôture insista auprès de ce dernier pour qu’il tînt véritablement compte des conclusions de cette conférence qui étaient les aspirations du peuple.

De ce fait, Mgr Basile Mvé, s’adressant directement au Président Bongo, affirma : Le peuple Gabonais « aspire à plus de justice, de liberté politique et de sécurité. Il attend du développement économique qu’il soit davantage au service de l’ensemble de la population dans les secteurs clés tels que la route, la santé, l’éducation, l’habitat, l’alimentation.  1504 »

Insistant sur le respect du multipartisme et redoutant la méfiance du Président Bongo, du moins du régime, Mgr Basile Mvé, au nom de l’Eglise, et en sa qualité de président des assises déclara au Président Bongo que le peuple Gabonais « ne choisit pas le multipartisme comme une fin en soi, mais comme le moyen adapté […] pour atteindre ces objectifs qui doivent être ceux de tout régime politique fût-il à parti unique.  1505 »

Au nom de tous les conférenciers, l’évêque d’Oyem à la lecture des « signes du temps » souhaita du courage et de la clairvoyance au Président Bongo pour qu’il applique les trois semaines de débats francs et libres de la Conférence nationale. En 1990, l’Eglise pensait que la conférence nationale allait faire repartir le Gabon sur de nouvelles bases. S’appuyant sur les qualités de sagesse, de lucidité attribuées à la personne du Président Bongo qui avait eu le mérité de convoquer ces assises, l’Eglise comme l’ensemble des conférenciers, s’en remit à la bonne grâce de ce dernier pour mettre en œuvre les Actes de la Conférence

En réalité, le Président Bongo n’avait jamais été écarté du jeu politique pendant la conférence nationale comme l’avait été Mathieu Kérékou au Bénin. En effet, c’est le Président Bongo qui, le 23 février 1990, annonça la tenue de la Conférence entre mars et avril et il ne laissa pas suffisamment de temps à des adversaires politiques inexpérimentés pour s’organiser et préparer des stratégies de remplacement. Par conséquent, pendant la Conférence nationale, l’opposition très morcelée se retrouva face au PDG qui était en outre soutenu par quelques mouvements et associations.

Sur les 74 associations politiques représentées à la Conférence, 12 tentèrent de soutenir jusqu’au bout le projet du Président Bongo de créer le RSDG 1506 . C’est le Président Bongo aussi qui proposa et nomma Mgr Basile Mvé pour présider la Conférence. C’est un organisme de l’ancien parti unique PDG, le COMINAFC qui contribua activement à l’organisation matérielle de cette conférence 1507 .

Finalement, la Conférence nationale remit la pendule présidentielle à l’heure de l’Histoire et elle permit une réconciliation provisoire du Président Bongo avec le peuple qui semblait retrouver un espoir incarner par l’opposition.

Durant toute la durée des travaux, les rues se calmèrent et tout le monde, ou presque, était suspendu aux conclusions de la Conférence et à leur application intégrale.

Rien n’obligeait le Président Bongo, dépositaire de ces conclusions, à prendre un tournant imposé par d’autres. Mais l’opinion publique restait vigilante car un mois après la conférence nationale le peuple redescendit dans la rue à la suite de la « mort suspecte  1508 », dans la nuit du 22 au 23 mai 1990 de Joseph Rédjambé, ancien militant de la jeunesse chrétienne, ancien militant communiste, et secrétaire général du PGP. Nous reviendrons sur la mort de Rédjambé à propos des événements de mai aux élections législatives de 90.

Notes
1491.

La conférence nationale gabonaise fut la deuxième de ce type sur le continent après celle du Bénin et fut la première du genre en Afrique centrale.

1492.

DOCGAB, L’Union, N° spéciale du 28 avril 1990, lire « Les Actes de la conférence » 

1493.

DOCGAB, l’Union N° spécial sur la conférence nationale, Ibid.

1494.

DOCGAB, L’Union, N° spécial sur la Conférence nationale, Ibid. Voir aussi DOCOPM, La Semaine Africaine, N° 1845 du 17 au 23 mai 1990 « Conférence nationale du Gabon : La nation s’est assise pour parler »

1495.

DOCOPM, La Semaine Africaine, N° 1845 du 17 au 23 mai 1990

1496.

DOCATGAB, Discours de clôture de la conférence nationale par Mgr Basile Mvé Engone, 19 avril 1990, in Parole d’Eglise

1497.

DOCATGAB, Discours de clôture de la conférence nationale par Mgr Basile Mvé Engone, Ibid.

1498.

Témoignage oral de Mgr Basile Mvé. Entretien du 4 octobre 2002. Cf. aussi son discours de clôture de la conférence nationale le 19 avril 1990.

1499.

DOCGAB, Cf. communiqué du Bureau politique du PDG qui a rétablit les libertés fondamentales le 9 mars 1990, in l'Union du 10 mars 1990.

1500.

DOCGAB, JORG de 1990 voir les ordonnances citées: N° 3/90/ PR du 22 mars 1990 et l’Ordonnance N° 005/90/PR du 3 avril 1990. Cf. aussi L’Union, N° spéciale du 28 avril 1990, Acte IX, « Annexe De l’organisation du multipartisme, Procédure de légalisation. »

1501.

DOCGAB, L’Union, N° spéciale du 28 avril 1990. Cf. aussi François Gaulme, Gabon : Nouvel ethos politique et social, op.cit. p. 52.

1502.

Il ne faut pas oublier que dans la constitution en vigueur à l’époque, toute association à caractère politique était encore illégale.

1503.

DOCGAB, JORG de 1990 Décret N° 00146/PR du 3 avril 1990. CEAN, Cf. aussi Kombila A Iboanga Fidèle, "A propos de la pratique récente de la conférence nationale en Afrique noire à la lumière de la conférence nationale gabonaise : une nouvelle forme de déclaration de droit ?" In Revue juridique et politique, indépendance et coopération, octobre-décembre 1991, p.267-281.

1504.

DOCATGAB, Mgr Basile Mvé , Discours de clôture de la conférence, Ibid.

1505.

DOCATGAB, Mgr Basile Mvé, Id & Ibid.

1506.

DOCOPM, Sennen Andriamirado, « Bongo condamné au multipartisme », in Jeune Afrique N° 1529 du 23 avril 1990. Cela est d’autant plus vrai que la conférence fut initialement convoquée le 23 février 1990 pour entériner la création du RSDG

1507.

Les membres de cette structure furent remerciés solennellement par Mgr Basile Mvé à la fin des travaux « Sans leur concours efficace et courtois » le bureau présidé par l’évêque d’Oyem n’aurait pas pu conduire convenablement la conférence à son terme. On peut subodorer derrière l’action du COMIFAFC celle du Secrétaire général fondateur du PDG, c'est-à-dire le Président Bongo, qui fut également remercié par l’évêque pour avoir « déployé tous les moyens matériels, moraux et juridiques » en son pouvoir permettant l’aboutissement des travaux.

1508.

DOCOPM, Dossier 347, dépèche AFP, « Un couvre - feu est décrété pour faire face à la reprise de la l’agitation », in Le Monde du 25 mai 1990.