● Le discours officiel de l’Eglise en 1990 pour la bonne marche de la démocratie

Deux déclarations marquèrent l’engagement officiel de l’Eglise dans les mutations démocratiques du Gabon à partir de 1990. Il s’agit du « Message de la délégation catholique à la conférence nationale », le 7 avril 1990, lu par l’abbé Jean Pierre Elelaghe, curé de la cathédrale Sainte Marie et le discours de clôture de la Conférence nationale, le19 avril 1990 prononcé par Mgr Basile Mvé, évêque d’Oyem, Président de la Conférence Episcopale du Gabon, en sa qualité de président des assises.

Ces déclarations, loin d’attaquer le régime en place depuis l967, ou de dénoncer les méfaits du monopartisme depuis 1968, encore moins l’attitude des membres de l’opposition, étaient des Paroles indicatives et bienveillantes, ni tapageuses, ni agressives, pour guider les mutations démocratiques.

L’Eglise du Gabon entendait jouer un rôle primordial dans les bouleversements politiques et sociaux. Elle se voyait comme un conciliateur entre le peuple et le pouvoir et entre ceux qui voulaient exercer le pouvoir. Elle multipliait des appels au respect et au dialogue dans un esprit évangélique.

Le premier message, celui de l’abbé Jean Pierre Elelaghe au nom de toute la communauté catholique gabonaise, s’appuyait sur dix points. Il abordait tour à tour les questions suivantes. En premier lieu, « L’Eglise et les projets politiques  1509 ». Sur ce point, la hiérarchie catholique gabonaise se félicita de ce que, dès l’entame des mutations démocratiques aucun groupement ou associations politiques ne s’étaient réclamés de l’idéologie communiste. Cela constitua, à ses yeux, une première victoire pour la jeune démocratie gabonaise. Ce message aborda également la question de « l’Eglise et la question sociale  1510 ». Le point le plus crucial concernait « la destinée politique ou institutionnelle du pays ».

La délégation catholique proposa que l’on place l’avenir du pays « sous l’œil de Dieu », non pas en instaurant un régime théocratique mais dans le but de bâtir le pays sur les valeurs spirituelles et morales, héritage des traditions et de la foi chrétienne. Du reste la hiérarchie catholique gabonaise, au delà des facteurs politiques, économiques et sociales conjoncturels et structurels, estima que la crise de 1990 étaient « d’abord morale et spirituelle, une crise des valeurs  1511 »

Le Gabon devait être placé « sous l’œil de Dieu » parce que « Dieu ne peut pas mourir ». L’exclusion de Dieu dans la vie politique gabonaise, dans la vie de la Nation, du pays dans son ensemble signifiait le chaos. La vie politique ne devait pas mettre la présence de Dieu de côté car, déclara l’abbé Jean Pierre Elelaghe : « Dieu revient  1512 ». En effet, le souffle démocratique qui secouait le Gabon, allait de pair avec le retour du sacré et de la spiritualité car l’homme gabonais est foncièrement croyant.

Au chapitre des propositions l’Eglise insistait sur l’éducation qu’il fallait transformer en véritable institution de la République pour former les consciences. L’Eglisevoulait repenserl’éducation : elle devait donner « non seulement les moyens de vivre mais aussi des raisons de vivre… » Cela passait par un soutien de l’œuvre scolaire et des ministres du culte par l’Etat. Elle voulait aussi une intégration de toutes les confessions religieuses responsables comme « forces vives de la nation et pouvant porter un regard critique sur les choix de la Nation, pour une société digne de l’homme » 1513 .

Sur le plan politique, et pour la bonne marche de la démocratie au Gabon, L’Eglise catholique demandait une véritable revalorisation du dialogue pour comprendre les mutations démocratiques qui secouaient le pays et une intégration de la « mystique » dans la vie politique.

En effet, « si le discours politique sonnait creux sous le parti unique c’est parce qu’il n’y avait aucune mystique mais plutôt un étalement de l’allégeance et du culte de la personnalité. 1514  »

Le discours de Mgr Basile Mvé corrobora le message de la délégation catholique. Ce discours était beaucoup plus direct. Après un diagnostic approfondi de la situation, il s’adressa aux jeunes, aux travailleurs, aux hommes politiques, aux membres éminents de l’administration et du patronat, aux étrangers, au Président de la République, aux chrétiens et aux gens de bonnes volontés.

Dans l’ensemble, les principaux mots de l’Eglise catholique pour la bonne marche de la démocratie au Gabon étaient : « transformation, dialogue véritable, union sacrée respect profond, Gabon nouveau  1515 ». Ces expressions sont récurrentes dans les déclarations, messages de l’Eglise catholique depuis 1990.

L’Eglise pensait que la période de transition démocratique au Gabon allait s’ouvrir dans le calme mais les choses se déroulèrent autrement. Car la population, qui avait observé une « trêve sociale » pendant les travaux de la conférence, se préoccupait du problème de la formation du gouvernement.

Quelques jours après la fin des travaux, le 27 avril 1990, le Président de la République nomma un nouveau premier ministre Casimir Oye Mba, alors gouverneur de la BEAC (Banque des Etats de l’Afrique Centrale). Cette nouvelle, en elle-même, fut bien accueillie dans le pays car Casimir Oye Mba avait la réputation d’un technocrate doué et non celle d’un homme politique. Cette nomination relève aussi d’un mimétisme africain comme l’avait été celle de Nicéphore Soglo au Bénin et Alhassan Ouattara en Côte d’Ivoire, tous anciens fonctionnaires dans les institutions monétaires internationales. En effet, en 1990, devant les pressions de la rue certains chefsd’Etat africain pensaient résoudre le problème en nommant de hautsfonctionnaires internationaux au poste de premier ministre. Le Président Bongo ne fit pas.

Après la nomination de Casimir Oye Mba, le pays resta dans un calme relatif. Mais la déception puis la colère ne tardèrent pas à monter.

La déception vint de la composition du gouvernement publié le 29 avril par Casimir Oye Mba qui n’était pas imprégné véritablement de l’esprit de la conférence nationale à laquelle il n’avait pas participé. La population attendait une équipe neuve et équilibrée mais le PDG avait vingt membres sur vingt-huit. Pire l’équipe comportait onze anciens ministres sur 28, qui occupaient des postes clés. La composition de ce gouvernement ne reflétant pas l’esprit des « Actes de la conférence ». Certains membres de l’opposition, dont le Père Paul Mba ou Pierre Louis Agondjo, refusèrent d’y entrer s’attirant ainsi les foudres des caciques du PDG 1516 .

Ces refus, somme toute, constituèrent une première au Gabon confirmant par ailleurs l’intégration des mœurs démocratiques dans le pays. Des tractations furent engagées avec le Président de la République, mais l’opposition fut flouée et les choses traînèrent en longueur en dépit de la promesse de remaniement faite par le Président de la République.

De la déception on passa très rapidement à la colère. Moins d’un mois après la fin de la conférence nationale et composition du gouvernement le pays connu un nouveau cycle de violence relatif à la mort d’un opposant. Historiquement l’agitation populaire de 1990 est connue sous le nom des « événements de mai 1990 »

Notes
1509.

DOCATGAB, CEG, Message de la délégation catholique à la Conférence Nationale lu par l’abbé Jean Pierre Elelaghe le 7 avril 1990 in Paroles d’Eglise N°1, juin 1991.

1510.

DOCATGAB, CEG, Message de la délégation catholique… Id. & Ibid.

1511.

DOCATGAB, CEG, Message de la délégation catholique à la conférence nationale, in Paroles d’Eglise.

1512.

DOCATGAB, CEG, Ibidem.

1513.

DOCATGAB, CEG, Ibidem.

1514.

DOCATGAB, CEG, Ibidem.

1515.

DOCATGAB, CEG, Discours de clôture de la conférence nationale par Mgr Basile Mvé, le 19 avril 1990, in Paroles d’Eglise N°1, juin 1991.

1516.

DOCOPM, Francis Kpatindé « Les parcours sinueux d’un opposant dans l’âme » in Jeune Afrique N°1563 du 12 au 18 décembre»