● Du climat social et politique particulier à l’élection présidentielle de 1993 

Si la fin des élections législatives, la mise en place de l’Assemblée nationale, l’adoption de la nouvelle constitution et de nouvelles institutions permirent au climat politique de se stabiliser. Pendant ce temps, sur le front social la tension se fit vive dès la fin de l’année 1990, jusqu’en 1992.

La tenue des élections présidentielles à la fin de l’année 1993 calma momentanément cette tension sociale qui devint très rapidement politique 1579 .La population gabonaise, après la conférence nationale, après sept mois de campagne, d’élections et de mise en place d’institutions politiques, de mars 1990 à mars 1991, avait hâte de voir le nouveau gouvernement d’Union nationale, remanié le 26 février 1991, s’occuper de ses problèmes.

En effet, l’embéllie économique depuis le mois d’août 1990, à cause de la situation dans le Golfe (l’invasion du Koweit) avait permis à l’Etat de faire quelques économies. De 16 $ (dollars) en juillet 1990, le baril du pétrole passa à 41$ (dollars) en novembre de la même année, suscita de vifs espoirs pour résoudre les problèmes sociaux. Cette flambée se produisit concomitamment avec l’augmentation de la production du Gabon et la mise en production de « Rabi » 1580 .

Mais la situation économique se détériora, pendant cette période, avec comme corollaire la précarité du climat social. Des entreprises continuaient de fermer leurs portes ou bien tournaient au ralenti avec des compressions en cascades. Par conséquent dès le début de l’année 1991, il y eut une série de grèves qui touchèrent surtout le secteur public, autrement dit les fonctionnaires.

Le vent démocratique et l’instauration du multipartisme favorisèrent la défense des droits et un esprit de revendication dans tous les secteurs d’activités. Les libertés fondamentales ayant été rétablies depuis la conférence nationale chaque corps de métier s’organisa pour former un syndicat. Les syndicats les plus actifs étaient le SEENA (Syndicat des enseignants de l’Education Nationale), le SYNAPS (Syndicat National des Agents et Personnels de Santé), le SYNAPOSTEL (Syndicat national des agents de poste et télécommunication) le SNEC (Syndicats national des enseignants et chercheurs).

Ces syndicats libres naquirent dans le sillon de la CGSL (Confédération gabonaise des Syndicats Libres), elle-même créée au lendemain de la conférence nationale pour faire face à la COSYGA (Confédération Syndicale Gabonaise), l’ancienne confédération du parti unique. Tous ces syndicats avaient « un degré d’institutionnalisation plus haut et une certaine légitimité de jure » 1581 Ces syndicats, au plus fort moment de leurs revendications étaient de véritables groupes capables de déstabiliser le régime. Leurs actions, parfois, étaient confondues avec celles des partis de l’opposition. 1582

Dès 1990, c’est le personnel médical, para-médical et les enseignant qui se manifesta le plus par une longue série de grèves au cours desquelles il demandait l’amélioration des conditions de vie et de travail. Ce sont les instituteurs et les professeurs qui furent les plus incisifs dans leurs revendications de 1991 à 1993.

Pendant deux ans le spectre de l’année blanche plana sur l’éducation nationale et l’enseignement supérieur. Le point culminant de ces grèves a été la mort d’une institutrice, Martine Oulabou, en mars 1992, lors d’une marche de protestation sévèrement dispersée par les policiers de l’USI (Unité Spéciale d’Intervention). Une unité qui avait justement été créée en 1991 pour faire face aux manifestations de rues.

Les revendications des syndicats se manifestaient sous forme de grèves caractérisées par des marches, des « seat-in », des manifestations de rues qui terminaient très souvent en émeutes. Par exemple le jour de la mort de l’institutrice. Il eut des manifestations violentes. Pour arrêter ces violences le gouvernement décrétait des couvre - feu appliqués par d’importants contrôles policiers et militaires.

Au firmament de la surveillance policière et militaire il y avait des villes mortes. Une situation à laquelle la population avait fini par s’habituer surtout dans les zones à risques des quartiers populaires de Libreville (Les Cocotiers, Derrière la prison, Derrière l’hôpital, Kinguélé, les Akébé…) 1583

Face à cette détérioration du climat social et à la montée des revendications syndicales, le gouvernement essayait de camer la situation en orchestrant des divisions internes au sein des syndicats pour multiplier le nombre d’interlocuteurs et ainsi retarder la satisfaction de certaines demandes. Ainsi plusieurs corps de métiers avaient des syndicats propres, à l’exemple des instituteurs, des professeurs du secondaire et des enseignants et chercheurs de l’enseignement supérieur avec la création parallèle du SAEG et du SEN-SUP.

Ces divisions étaient favorables au gouvernement qui soupçonnait l’opposition de soutenir certains syndicats. Cela est d’autant plus vrai que l’opposition, n’ayant pas obtenu l’alternance à l’issu des élections législatives de 1990, espérait vivement que ces revendications syndicales, qui apparaissaient avant tout comme une colère du peuple, déstabilisent le pouvoir 1584 . Mais le gouvernement, plus habile, avait le soutien de certains syndicats pour limiter la virulence des premiers.

Lors de la mise en place des syndicats, l’Eglise s’était réjouie estimant qu’il s’agissait là d’une expression, et de l’intégration de la démocratie dans le pays. Ces syndicats, d’après la hiérarchie catholique, permettaient à chaque Gabonais de s’exprimer pour défendre ses intérêts au lieu d’attendre que les partis et les hommes politiques le fassent à leur place 1585 . Mais l’Eglise déplora tout de même la multitude de syndicats, tout comme celle des partis politiques. Ce qui était avant tout un signe de division et de mésentente ou du « chacun pour soi ». L’Eglise demandait au gouvernement de faire attention aux revendications de ces syndicats qui posait avant tout des problèmes importants pour le bien être des gabonais. A l’endroit des syndicats l’Eglise conseillait dene pas virer à la violence ou de réclamer des choses inacceptables et irréalisable dans l’immédiat pour le gouvernement. 1586

Notes
1579.

Les élections constituent au Gabon un moment de vive tension politique. Cette tension politique entraîne le peuple à oublier momentanément les difficultés sociales et économiques. L’espoir que les élections vont tout changer provoque cet état d’esprit qui, en réalité, profite aux hommes politiques. Ces derniers, avant et pendant la campagne, en profitent pour se rapprocher du peuple et vice - versa. Par conséquent les tensions sociales sont beaucoup plus vives entre deux élections ou quand le débat politique n’est pas animé.

1580.

Métégué N’nah, Le Gabon de 1960 à 1990, Ibid. Rabi est un puit de pétrole disposant d’importante réserve. Lors de sa découverte au début des années 1980, cette réserve fut qualifiée de « pétrole de l’an 2000.

1581.

CEAN, Rossatanga Rignault Guy, « radioscopie du théâtre électoral » in Afrique politique 1997, revendications populaires et recompositions politiques, Paris 1997, pp : 271-293. Op.cit. p. 279.

1582.

Nous avons vu lors des marches syndicales des militants se réclamant de l’opposition arborer les tenues de leur parti et proclamer les slogans politiques. Du reste certains chefs de partis politiques n’hésitaient pas à appeler directement ou indirectement leurs militants à soutenir l’action des syndicats.

1583.

Témoignage personnel. De 1990 à 1999, nous habitions dans un quartier populaire de Libreville.

1584.

Témoignage personnel. Nous nous souvenons d’une déclaration télévisée du premier secrétaire du MORENA originel Jean Pierre Nzoghe Nguema en 1991 : « Nous voulons que la situation pourrisse »

1585.

Témoignage orale de l’abbé Jean Pierre Elelaghe Nze, curé de la cathédrale Sainte Marie. Cf. les homélies prononcées pendant les troubles sociaux en mars 1992

1586.

Témoignage oral de l’abbé Jean Pierre Elelaghe, Entretien du 24 juin 1999 à Sainte Marie. Il n’était plus curé de la cathédrale mais membre du Conseil économique et social puis Vice recteur de l’Université catholique de Yaoundé.