● L Eglise et « l’urgence d’un sursaut patriotique » en 1995.

De 1990 à 1995, la politique avait marqué la vie des Gabonais. Tous les gouvernements qui se succédaient avaient pour principale mission le renforcement de la démocratie et des institutions. Toutes ces institutions concentraient leurs efforts sur la démocratisation formelle du pays. L’actualité politique était surtout remarquable entre 1993 et 1995. Ce large intérêt pour la vie politique occulta les autres domaines. Tant que l’espoir subsistait sur la prise en main par le gouvernement des problèmes économiques et sociaux, l’attente des solutions était acceptée. Mais en 1994 et 1995 face à la crispation de la vie politique à cause des « Accords de Paris », les Gabonais commencèrent à exprimer leurs sentiments de déception. La première manifestation était le référendum constitutionnel de juillet 1995.

L’Eglise du Gabon profita de cette situation pour se poser en porte - parole des sans voix. Aussi les évêques gabonais saisirent-ils « la période de carême 1995 pour lancer un cri d’alarme sur une situation sociale et économique toujours très préoccupante » 1634 . Ils adressèrent un message à tous les Gabonais, à tous les chrétiens et les hommes de bonnes volontés.

Ce message intitulé « L’urgence d’un sursaut patriotique  1635 » s’adressait avant tout aux hommes politiques surtout ceux qui exerçaient le pouvoir et avaient le droit de décision. Ce message portait sur le passé du pays depuis la Conférence nationale.

L’Eglise examina surtout la situation du pays en 1995 en dénonçant les difficultés de la société gabonaise qui portait sur « la santé et le développement et sur l’éducation ». Directement, les évêques interrogèrent les hommes politiques gabonais sur l’avenir réel qu’ils voulaient donner à ce pays.

Revenant sur le passé démocratique du Gabon depuis 1990, les évêques rappelèrent les espoirs suscités par la Conférence nationale dans les cœurs des Gabonais. Mais cinq ans après ces espoirs avaient été déçus car « le climat social était toujours tendu, un malaise diffus était perceptible partout, et l’explosion pouvait survenir à la moindre occasion.  1636 » Pour les évêques le responsable de ce malaise persistant était le pouvoir en place. En effet, pour les autorités religieuses, loin de nier la mauvaise conjoncture internationale qui s’aggrava avec la dévaluation du Franc CFA, en janvier 1994, ce malaise persistant trouvait ses racines dans le cœur des hommes politiques.

Le malaise se manifestait par « l’égoïsme, le gaspillage, la corruption, la mauvaise répartition des richesses, le favoritisme, la soif du pouvoir, bref, le manque de patriotisme. » Les évêques rappelèrent aux hommes politiques que le pays pouvait s’en sortir de ce malaise avec un peu plus de volonté politique et de détermination. Tant que les attitudes négatives étaient maintenues le Gabon n’avait pas la moindre chance de s’en sortir. 1637

A propos des axes prioritaires que le pouvoir et tous les hommes politiques devaient suivre, les évêques proposèrent d’améliorer la santé et l’éducation dont les insuffisances menaçaient gravement la paix et l’unité nationale et compromettaient le développement économique.

L’Eglise, en 1995 rappela au gouvernement que la santé était le problème numéro un des Gabonais : « les conditions de travail à l’hôpital, le coût des médicaments… » Elle décrit les malaises des Gabonais dans le domaine de la santé, les améliorations à effectuer. Plus radicale elle demanda au gouvernement de faire la lumière sur une épidémie qui, en 1995, menaçait la population, celle de Minkouka. L'Eglise fut plus inquiète à propos du Sida qui, selon elle, menaçait l'existence de la Nation toute entière. Sur cette maladie, l'Eglise, pour la première fois depuis la révélation de son existence au Gabon en 1986, interpella surtout les chrétiens pour qu'ils la combattent au nom de leur foi et pour la défense de la vie. 1638

D’après les évêques gabonais, en 1995, l'éducation demeurait un autre domaine très sensible pour le développement du Gabon. Il s'agissait de l'éducation en générale et non scolaire uniquement, c'est à dire la formation continue dont chaque Gabonais a besoin tout au long de sa vie. Pour l'Eglise la faillite de l'éducation générale favorisait la dégradation des relations entre gabonais qui se caractérisaient depuis 1990 par « la violence, l'intolérance, le sans gène, le refus de l'autre ».

Les Gabonais entre 1990 et 1995 étaient portés à se faire justice, à brûler les édifices publics et privés. Dans ces conditions, estima l’Eglise, le Gabon n'était pas à l'abri des folies meurtrières et hécatombes qui se produisaient dans d'autres pays d’Afrique 1639 , à l’exemple du génocide rwandais. Face à la dégradation des mœurs l’Eglise proposa une « éducation à la démocratie » basée sur les respect des autres, de leurs biens, de la justice, sur la réconciliation et le pardon. L’Eglise proposa que cette éducation à la démocratie se fasse à tous les niveaux dans les familles, à l’école, par toutes les confessions religieuses mais aussi et surtout par les médias et les partis politiques eux-mêmes.

Dans l’ensemble, en 1995, l’Eglise était inquiète de l’avenir de la démocratie au Gabon. Elle appela à « un sursaut d’orgueil basé sur l’amour de la patrie. 1640 » L’inquiétude des autorités religieuse reposait sur le constat suivant.

De 1990 à 1995 le Gabon avait donné l’impression de manquer un précieux rendez - vous avec lui-même et avec sa propre histoire. Il avait fait l’expérience des résultats insuffisants de la Conférence nationale et, quatre ans après, de la laborieuse mise en œuvre des Accords de Paris. L’Eglise mit donc en garde les hommes politiques pour que la répétition de ces rendez-vous manqués avec l’histoire ne laisse pas un goût amer au peuple gabonais. Elle dénonça les mauvaises habitudes politiques qui s’installaient dans le comportement de certains fonctionnaires de l’administration qui procédaient à une forme de « chasse aux sorcières ». En effet, au lieu de chercher activement des solutions pour combattre le chômage et les effets pervers de la dévaluation du Franc CFA, certains responsables d’administrations et directeurs de sociétés s’orientaient plutôt vers une sournoise chasse aux personnes sur la base de l’appartenance politique, ethnique ou régionale. Un comportement qui aggravait la crise sociale et les mentalités dans laquelle était déjà plongé le Gabon. 1641

Dans la conclusion de ce message sur « l’urgence d’un sursaut patriotique », l’Eglise s’adressa aux chrétiens pour les exhorter à un engagement dans la vie politique. L’engagement politique étant réservé aux laïcs, les évêques ne voulaient pas que les chrétiens cèdent au découragement suscité par l’attitude des hommes politiques. Les évêques saisirent l’occasion du carême 1995 pour rappeler aux chrétiens une des conclusions de la IIIème Assemblée plénière de l’ACERAC 1642 qui s’était tenue à Libreville en 1992 : « La politique ne doit pas être regardée comme une activité sale et salissante, mais comme une activité à évangéliser et à moraliser.  1643 » Les évêques invitèrent les chrétiens à s’associer à leurs compatriotes de bonne volonté pour faire du Gabon un pays de paix, d’unité, de liberté, de prospérité.

En 1995, les évêques gabonais optèrent enfin pour une vulgarisation et une application effective de la doctrine sociale de l’Eglise au Gabon. Devant la montée excessive de la vie politique dans l’actualité au détriment de la vie sociale, culturelle, économique voir religieuse, l’Eglise se transforma en défenseurs des opprimés.

Accusée, à tort ou à raison, de 1990 à 1994, d’être très proche de la vie politique par le soutien de certains hommes, notamment du Président Bongo et du Père Paul Mba Abessole, l’Eglise prit ses distances face à ces accusations. Après la décision du gouvernement d’expulser tous les étrangers en situation irrégulière, elle demanda au gouvernement de prolonger les échéances dans un délai raisonnable. Cet appel fut entendu par le gouvernement à cause des pressions exercées par de nombreux chrétiens à qui les évêques demandaient de se comporter d’une manière irréprochable en bannissant toute exaction et toute violence à l’égard des étrangers 1644 .

Notes
1634.

DOCATGAB, CEG, « L’urgence d’un sursaut patriotique » 19 février 1995. In Paroles d’Eglise N° 4 de février 1995

1635.

DOCATGAB, CEG, « L’urgence d’un sursaut patriotique », Id. & Ibid.

1636.

DOCATGAB, CEG, « L »urgence d’un sursaut patriotique », Ibidem.

1637.

DOCATGAB, CEG, « L’urgence d’un sursaut patriotique », Ibid.

1638.

DOCATGAB, CEG, Ibidem.

1639.

DOCATGAB, CEG, Ibidem.

1640.

DOCATGAB, CEG, Ibidem.

1641.

DOCATGAB, CEG, Ibidem.

1642.

Assemblé des Conférences Episcopales de la Région d’Afrique Centrale

1643.

Extrait du Rapport de la III ème Assemblée plénière de l’ACERAC (pages 170) cité par les évêques gabonais in « l’urgence d’un sursaut patriotique »

1644.

DOCATGAB, CEG, « Déclaration des évêques du Gabon sur la situation présente des étrangers sans titre de séjour » le 27 janvier 1995. In Paroles d’Eglise N° 4.