● L’aurore de 1945 à 1960

Entre 1945 et 1959 1645 , l’Eglise catholique contribue activement à la naissance d’une vie politique moderne. Les autorités religieuses catholiques locales peuvent être désignés, sous le terme d'«émigrés de l'intérieur». Leur action permet de défendre l'idée selon laquelle, dans la colonie du Gabon confrontée à une série de crises et mutations politiques, à l'acuité de la question religieuse et à des problèmes sociaux, l'Eglise catholique a réussi à se consolider, à maintenir son influence morale et sociale jusqu’en 1960.

L’année charnière de cette période est 1956 à cause du vote de la Loi cadre Gaston Defferre qui accorde un début d’autonomie au territoire du Gabon. Avant 1956 (de 1945 à 1955), le personnel religieux exclusivement français et européen gardait un silence très prudent sur les transformations politiques en cours au Gabon. Il évitait de prendre position sur tous les projets d’émancipation des autochtones. Cette prudence est liée aux péripéties de l’Affaire Tardy pendant la guerre et à l’évolution très rapide de la situation politique à laquelle le clergé visiblement n’était pas préparé. Elle est aussi liée aux mutations internes de la Mission et à l’émergence du colonat privé (les forestiers) qui supplannte l’administration coloniale.

La tenue d’élections dès 1945 suscite un espoir mesuré dans l’Eglise. La cause principale de l’engagement électoral des missionnaires est avant tout sociale : l'épineuse « question scolaire », car la hiérarchie catholique du Gabon veut défendre ses établissements scolaires qui sont menacés par la poussée des écoles officielles. Les missionnaires considèrent cette concurrence comme une forme d’anticléricalisme destinée à les éloigner de la sphère sociale.

Dans les institutions politiques locales les représentants de l’Eglise sont élus dans les deux collèges. Ils pensaient qu'en injectant ou en soutenant un maximum d'élus dans les institutions politiques qui se mettaient en place, ils obtiendraient plus de subventions pour les enseignements privés, catholique et protestant. Mais les élus catholiques ne sont pas suffisamment nombreux et influents pour réaliser l’objectif des autorités religieuses. Des les premières élections locales de 1947, la puissance économique forestière fait déjà parler d’elle en remportant plusieurs sièges.

L'Eglise, impuissante, assiste, pendant cette période, à l'action de la nouvelle classe politique qui jette les bases d’une République laïque et se défie du pouvoir politique prêté aux catholiques. L’impuissance des autorités religieuses est liée à la détermination des colons privés (forestiers surtout) qui mettent tout en œuvre pour contrôler totalement la vie politique. Ils y parviennent car ils sont détenteurs du pouvoir économique qui constitue, après 1945, le déterminant principal de la vie politique.

Les missionnaires catholiques du Gabon sont condamnés à la prudence à la différence de leurs confrères protestants qui s’engagent ouvertement, mais mais sans grand succès. L’Archevêque de Libreville, par exemple, n’est pas signataire de la Déclaration commune des évêques d’Afrique noire française réunis à Dakar par Marcel Lefebvre en avril 1958. Cette déclaration, décisive dans la marche des missions et des territoires vers l’autonomie, inspire néanmoins les missionnaires du Gabon qui y adhèrent.

Le refus d’un engagement direct des missionnaires du Gabon dès 1945 peut s’expliquer par deux raisons principales. Premièrement, les hésitations et les réticences des missionnaires face à l’idée d’indépendance manifestées aussi par la congrégation du Saint-Esprit. Deuxièmement, ils ne veulent pas contrarier directement l’administration coloniale qui n’était pas foncièrement contre leur action surtout dans le domaine éducatif, sanitaire et le libre exercice de leurs activités d’évangélisation.

L’attitude de l’Eglise face à la vie politique au Gabon contitue une « Aurore » jusqu'à l’indépendance en 1960, dans la mesure où les ambitions politiques de l’Eglise aux premières élections sont réelles. Elle présente et soutient des candidats. Le symbole de cette entrée en politique est Jean Hilaire Aubame qui remporte les premières élections locales face à Emile Issembé, soupçonné par l’Eglise d’être un pion communiste.

La sympathie et l’implication d’Aubame dans la vie religieuse missionnaire sont indéniables. Il visite, soutient, les missionnaires, discute ouvertement avec le personnel religieux. Sa pratique religieuse et son tempérament sont un gage pour les missionnaires. Il constitue, pour la communauté chrétienne du Gabon, un réel espoir dans la conquête du pouvoir politique. De 1945 à 1960 toutes les victoires politiques ou électorales d’Aubame sont en partie celle de l’Eglise. En dehors de Jean Hilaire Aubame, l’Eglise s’appuie aussi sur certains élus qui sont catéchistes, instituteurs catholiques, ou simples fidèles.

L’influence de l’Eglise est perceptible dans la préparation et le déroulement du scrutin. Les candidats utilisent leur appartenance à l’Eglise catholique pour obtenir des voix dans un corps électoral encore très réduit. Les bonnes relations entres les autorités religieuses catholiques et ces élus permettent à l’Eglise d’obtenir des subventions, des dons auprès des institutions financières métropolitaines et fédérales afin d’assurer l’œuvre éducative.

Les intentions de la hiérarchie catholique ne sont pas la conquête du pouvoir politique. Il s’agit pour l’Eglise de se frayer un chemin et de limiter les conséquences politiques de l’anticléricalisme initiés par les grands vainqueurs des différentes élections : les forestiers. Mal préparée à la lutte politique, en butte à des difficultés internes, l’Eglise entame dès 1960 une période de retrait de la scène politique malgré l’adhésion aux idées d’indépendance. Elle connaît aussi des critiques internes. De même que les Gabonais souhaitent l'indépendance politique, de même les chrétiens aspirent à une certaine indépendance religieuse. Entre ces deux formes d'indépendance la frontière n'était pas bien grande, car ce sont les mêmes qui militent pour les deux indépendances et y voeint un seul combat pour la libération et l'émancipation de l'homme gabonais.

Notes
1645.

Desannées qui marque véritablement l'avènement de « l'anticléricalisme politique » au Gabon, et où est votée la première constitution de la République Gabonaise qui, affirme la laïcité de l'Etat, consacrant ainsi, comme en France depuis 1905, la séparation des Eglises et de l'Etat.