● La traversée du désert 1968-1990

En 1967, avec la fin du régime Léon Mba et en 1968, au moment de l’instauration du parti unique, l’Eglise du Gabon entama une longue traversée du désert dans la vie politique.

Confrontée à des difficultés internes liées à son affermissement après la naissance des Eglises diocésaines, l’Eglise catholique ne put faire face aux mutations politiques de la fin du régime Léon Mba car elle n’y était pas prête. Le Concile venait de s’achever, les nouveaux évêques autochtones venaient de prendre leur fonction. La priorité fut donnée à la consolidation interne des diocèses par le recrutement d’un personnel religieux destiné uniquement à la charge pastorale. Les priorités internes prenaiant le pas sur les considérations externes. Le premier souci des autorités religieuses était de combattre la crise des vocations, affermir les institutions ecclésiales, insufflaer une nouvelle morale chrétienne qui demandait un dépassement des biens matériels.

La tache fut d’autant plus délicate que l’Eglise ne disposait pas d’un personnel capable de lire et d’adapter les décisions conciliaires aux réalités locales. La mise en pratique tardive des applications de la constitution l’Eglise dans le monde de ce temps, rendit encore plus difficille les interventions de l’Eglise dans la vie politique au Gabon. De fait, pendant cette période régnaune certaine confusion car des prêtres s’engagèrent dans la vie politique tels, l’abbé Camille Nzibe, l’abbé Noël Ngwa et le Père Paul Mba.

Entre 1968 et 1973, l’Eglise donna d’abord l’impression de collaborer à l’action du nouveau régime de la Rénovation et du parti unique. Les autorités continuaient à réclamer plus de moyens pour l’enseignement catholique. Les prêtres étaient attirés par l’action politique directe dont les laïcs étaient absents. La situation trahissait le manque d’autorité des nouveaux évêques gabonais alors que la société matérielle, favorisée par le boom pétrolier, au début des années 1970, se détacahit la morale chrétienne. De ce fait, les chrétiens sans cadre de référence étaient attirés par le discours politique et social prometteur du régime de la Rénovation.

L’absence de l’Eglise sur la scène politique se poursuivit un peu plus de dix ans. Elle ne dit rien ou presque rien sur le plan politique entre 1968 et 1983. Peut-on cependant affirmer que ce silence était un mode de collaboration? Aucun élément ne permet de le dire avec certitude.

L’Eglise a plutôt été neutre. Elle continuait à bénéficier du soutien de l’Etat dans le domaine scolaire, tandis que celui-ci nouait des relations diplomatiques avec le Saint - Siège, concrétisées par la nomination des nonces apostoliques et des ambassadeurs. L’Eglise refusait néanmoins les idées et la morale matérialiste favorisée par le parti unique et le régime de la Rénovation.

La faiblesse de l’Eglise se manifestait dans son incapacité à se faire entendre dans un climat qui ne favorisait pas la prise de parole. Certes rien ne permet d’affirmer que son interventionaurait été comprise tant tout le peuple était dans l’euphorie du décollage économique et social. Au milieu de ce le silence, l’espoir d’une action publique fut ecependant entretenu par certains clercs qui choisirent de « dire la vérité » et de « lutter pour la liberté ». Contre l’avis de leurs supérieurs, ces clercs furent aux avants postes du combat politique au milieu des années 1980.

En 1982, l’engagement politique de l’abbé Noel Ngwa Nguema et du Père Paul Mba Abessole en faveur de l’opposition marque en effet un tournant. Pour la première fois au Gabon des clercs s’engageaient dans le combat politique. Ils s’engagèrent non pas au nom de l’Eglise mais avec des idées chrétiennes. Le programme politique du MORENA en 1981 reposait en grande partie sur ces idées. L’engagement des prêtres est le signe que l’Eglise ne s’était pas totalement tue.

Les membres du clergé qui s’engagèrent dans la lutte politique contre le régime de la Rénovation et le parti unique se caractérisent par une formation intellectuelle poussée. Ils sont le symbole même des contradictions de l’Eglise locale. Ils sont influencés par les réformes conciliaires, par des idées de justice, de vérité et de liberté et surtout par des idéologies comme la théologie de la libération. Leurs idéaux les conduisent, pour certains, à s’exiler et pour d’autres à faire de la prison. Face au silence de la hiérarchie, ils incarnent une Eglise engagée qui s’exprime.