Constat final

Découvert par les Portugais en 1472, visités par les Hollandais au XVIIè siècle et par les Anglais au XVIIIè et XIXè Siècles, mise en valeur par les Français à partir de 1839, évangélisé par les missionnaires protestants américains à partir de 1842 et par les missionnaires catholiques de la congrégation du Saint Esprit à partir de 1844, colonisé par la France, indépendant en 1960, le Gabon a hérité non seulement des structures politiques, administratives, des structures religieuses de la France, mais aussi de données idéologiques: la séparation des pouvoirs, la vie électorale, le suffrage universel, l’anticléricalisme, la séparation des Eglises et de l’ Etat, la laïcité.

Ces héritages sont toujours présents dans la vie politique et ne semblent pas encore trouver de solutions ou du moins une forme d’adaptation au contexte local. Au début de la vie politique moderne, au Gabon, en 1945, on aurait pu penser que celle-ci serait domùinér par l’administration coloniale et l’Eglise. De fait l’Eglise donna d‘abord l’impression de s’intéresser à la vie politique. Mais l’anticléricalisme des forestiers l’en écarta très vite, évolution confirmée par l’accesssion au pouvoir de Léon Mba en 1961, puis confortée par le parti unique jusqu’en 1990. Malgré un rapprochement esquissé au début des années 1990, le couple politique et religion ne semble pas avoir réussi à s’articuler correctement.

Il est vrai que la main mise du colonat privé sur la vie politique dès 1945 n’a pas facilité le rapprochement entre l’Eglise et la politique. Il a contribué à « renvoyer l’Eglise à la sacristie ». La morale en politique, qu’aurait pu insuffler l’Eglise, fit dès lors gravement défaut. Dans ces conditions, on assiste, des les premières expériences électorales, à des dérapages liés au mépris de la dignité humaine, du bien commun.

Depuis 1945, le Gabon manque d’une matrice qui intègre politique et religion. L’héritage colonial continue à séparer les deux dimensions alors que le peuple n’établit pas une grande différence entre le spirituel et le temporel. Elle souffre d’un déficit qui remonte à ses origines et reste traumatisée par des précédents regrettables, comme l’intervention de Mgr Bessieux contrel’échange du Gabon ou l’intervention de Mgr Tardy à propos du ralliement de la colonie du Gabon à la France Libre.

On peut aussi penser que, si politique et religion n’arrivent pas à s’articuler au Gabon, c’est parce que jusqu’en 1945, l’administration coloniale et les missionnaires ont transporté les querelles métropolitaines liées à la République laïque. Après les indépendances religieuses et politiques en 1958 et 1960, l’effacement politique reste de mise.

Les changements de 1967 et 1968 ont semblé confirmer qu’il était toujours impossible de relier politique et religion. En revanche les mutations de 1990 ont donné l’illusion d’une compréhension mutuelle marquée par l’intervention constructive de l’Eglise. Pourtant en 2006 la politique est toujours considérée par les chrétiens comme « une chose sale » et la religion tenue à l’écart de la politique même si lors des dernières élections présidentielles les églises protestantes, du reveil et l’Islam ont joué un rôle direct en soutenant directement le « Président candidat » Omar Bongo. Des séances de prières, des cultes spéciaux ont été organisés pour demander la réelection du Président sortant. Certains chants religieux comme « Comment ne pas te louer… » ont été modifie pour donner « Comment ne pas te voter. ». Ces actes étaient surtout des initiatives hierarchiques.

Est-il-possible d’envisager un autre avenir? On peut en douter quand on voit que de nombreux jeunes, passés par les écoles missionnaires, catholiques et protestantes, chrétiens pratiquants, une fois qu’ils entrent dans la vie politique, accèdent aux hautes fonctions, tournent le dos aux principes chrétiens. De part cette attitude la religion parait être au service des politiciens pour conquérir ou asseoir leur pouvoir.

Cette observation pose inévitablement le problème de l’efficacité du discours religieux au Gabon, surtout celui de l’Eglise. On peut ici parler d’un échec, à traduire la parole de l’Eglise dans l’action. Il n’y a pas eu d’appropriation de celle-ci par les élites gabonaises. Pourtant, dans le même temps, l’Eglise catholique au Gabon demeure une institution dont on admet l’intervention en matière de morale et d’éducation du peuple.

Les échecs du développement du Gabon sont généralement attribués aux difficultés économiques, à la mauvaise gestion malgré les potentialités, à la précarité sociale et aux difficultés d’unité culturelle mais la religion n’est pas souvent mise en cause. Nous pensons qu’elle a aussi sa part de responsabilité. Le désordre ou les insuffisances politiques et démocratiques actuelles au Gabon sont aussi liés indirectement au renvoi systématique des religions dans la sphère privée, au nom respect du sacré et à cause d’un effritement des valeurs morales.

En arrivant au Gabon, les missionnaires ont entraîné la perte de légitimité  des structures traditionnelles gardiennes de la morale politique et sociale. Ils ont cherché à la remplacer par une morale chrétienne qui a du mal à s’imposer. Entre les deux références, les Gabonais ne savent à quel saint se vouer, écartelés entre un retour aux sources quasi impossible et l’adoption d’une morale chrétienne perçue comme étrangère.

Cette étude a présenté l’Eglise comme une force religieuse active depuis la période missionnaire. Elle décrit son rôle dans la vie politique et dans la société en général. Pourtant elle n’apparaît pas encore vraiment intégrée à la vie des Gabonais. Comment expliquer qu’un peuple majoritairement chrétien n’arrive pas à s’approprier les valeurs éthiques issues du christianisme? La réponse à une telle question devient urgente. A l’aube du XXIè siècle, l’Eglise catholique au Gabon doit désormais jouer un rôle en tant que première force religieuse, peut-être fédérer les autres croyances, notamment celle qu’elle reconnaît, pour construire avec elles une matrice dans laquelle religion et politique noureont des relations harmonieuses. L’héritage colonial français et sa stricte séparartion des domaines ne sont pas forcément transposables et adaptés à ce peuple qui a eu, lui aussi, une longue histoire politique et religieuse avant de rencontrer les Européens au XVème siècle.