1.3 Les sens du mythe

Le mythe de l'Arcadie donne lieu à des analyses ou des interprétations évidemment fort différentes.

La première est morale ; on la trouve par exemple sous la plume de pédagogues écrivant, de nos jours, pour leurs élèves des collèges de l'enseignement secondaire : « Comment expliquer un tel engouement ? Diverses raisons peuvent être avancées : rêve aristocratique de pureté et de simplicité au milieu d'un monde troublé par les passions et les guerres… » 1 . On peut ainsi développer l'idée d'une recherche d'innocence, en réaction contre le mode de vie de la Cour.

En revanche, si l'on s'appuie sur les thèses de Leppert 2 , on peut, presque à l’opposé, se représenter le mythe comme une mise en scène par et pour des aristocrates en costumes de théâtre folâtrant et marivaudant dans un univers pseudo pastoral formé de faux bergers « à la Lully ». L'élément central de cette mise en scène se trouve dans les territoires improbables des pièces de théâtre et des opéras.

Prôner cette vie innocente, naturelle, loin des sophistications du jeu courtisan, ne serait pas alors une attaque dirigée contre la vie des aristocrates sous Louis XV. On ne devrait pas y lire une revendication réactionnelle de pureté. Il s'agirait seulement d'un appareillage culturel dont l'objectif serait de s'appuyer sur le personnage conventionnel du berger, pour l'affranchir en quelque sorte. Le mythe doit alors s'entendre comme permettant à des aristocrates libertins, de passer d'une séduction à l'autre, en utilisant costumes, vielles et musettes, pour engager le dialogue amoureux, sous couvert de bergeries. Nous y reviendrons plus longuement.

Alors se déploierait, en musique, le style galant, notamment dans les duos où deux instruments dialoguent, se chassent et se pourchassent, en canon ou en fugue, se rejoignant dans l'unisson, se répondant à la tierce…

Refusant d'en rester à ce type d'analyse, Françoise Duvignaud propose une lecture en relief du mythe :

‘« Sur un mode ludique qui ne saurait se démentir et qui est la caution même de leur existence, bergers et bergères jouent dans la transparence un rôle sans doute moins superficiel qu'il n'y paraît. L'illusion qu'ils donnent du bonheur léger n'est là que pour mieux faire apprécier la fragilité intemporelle d'un moment heureux qui s'appelle la vie » 1 .’

Elle distinguera ailleurs l'idylle (le spectacle) qui est mensongère (artificielle) et les protagonistes qui « jouent le jeu avec sincérité » 2 .

Notes
1.

BOMATI, Yves et THIBAUT Danièle, Présentation du Malade imaginaire de Molière, Paris, Hattier, 1995, p.24/25.

2.

LEPPERT, Richard D., Arcadia at Versailles, Amsterdam and Lisse, Swets et Zeitlinger, 1978.

1.

DUVIGNAUD, op. cit. p.159.

2.

Ibid, p.144.