La voie est ouverte pour une autre forme d'interprétation que la psychanalyse rend possible. On envisage alors le mythe comme un objet culturel qui résulte de l'exportation dans un récit de préoccupations psychologiques partagées par les hommes d'une même culture. Autrement dit, le mythe résulte d'une sorte d'ouvrage collectif bâti à partir de problématiques communes aux hommes d'une société. Cela explique sa puissance évocatrice et sa permanence dans l'histoire.
Dès 1897, Freud emploie l'expression de « mythes endo-psychiques » 1 . Il écrit en 1901 : « Une grande partie de la conception mythologique du monde qui s'étend jusqu'aux religions les plus modernes, n'est rien d'autre que la psychologie projetée dans le monde extérieur. La connaissance obscure, (pour ainsi dire endo-psychique) des facteurs psychiques et de ce qui se passe dans l'inconscient, se reflète […] dans la construction d'une réalité supra sensible » 2 . Quelques années plus tard, en 1913, il précise : « Nous ne croyons pas, ainsi que le font tant de mythologues, que les mythes aient été lus dans le ciel et en descendent ; nous jugeons plutôt, avec O. Rank, qu'ils ont été projetés au ciel après avoir surgi ailleurs dans des conditions purement humaines » 3 .
Par ailleurs, pour l'inventeur de la psychanalyse, la fonction des mythes est identique à celle qu'exercent les idées religieuses, et plus généralement tous les phénomènes relevant de la croyance. Le mythe résulte d'une illusion qui ne se soucie pas de la réalité historique mais opère une tentative de réalisation d'un désir. « Nous appelons illusion une croyance, quand, dans la motivation de celle-ci, la réalisation d'un désir est prévalente [souligné par nous], et nous ne tenons pas compte, ce faisant, des rapports de cette croyance à la réalité, tout comme l'illusion elle-même renonce à être confirmée par le réel » 4 .
Comme l'indique Didier Anzieu 1 , le mythe va pouvoir transformer le fantasme en discours ou en récit ; il rend alors communicable, objet de circulation entre les hommes, ce qui était seulement de la sphère du privé. Il permet ainsi « à l'individu de saisir obscurément en quoi les autres sont ses semblables et de pressentir que les fantasmes partagés sont la possibilité de toute vie collective ou communautaire ».
On retrouvera, chez Georges Devereux 2 , une idée voisine. Le mythe agit comme une « défense culturelle » disponible. Les fantasmes individuels peuvent être traumatiques, trop violents, trop « égo dystones » 3 pour être reconnus comme « subjectifs » par l'individu. Celui-ci pourra alors les entreposer dans une sorte de « chambre froide » 4 , les retirant ainsi de la circulation « privée ». Les fantasmes individuels sont devenus des objets culturels abstraits et généraux, que l'on peut donc alors reconnaître, puisque, devenus collectifs, ils ont perdu une part de leur dangerosité.
FREUD, Sigmund, « lettre du 12/12/1997 adressée à. Wilhelm Fliess », in La naissance de la psychanalyse, Paris, PUF, 1956, p.210/211.
FREUD, Sigmund, psychopathologie de la vie quotidienne, 1901, Paris, Payot, 1958.
FREUD, Sigmund, « Le thème des trois coffrets », 1913, in Essais de psychanalyse appliquée, Paris, Gallimard, 1956, p. 89.
FREUD, Sigmund, L'avenir d'une illusion, 1927, Paris, PUF, 1971, p.45.
ANZIEU, Didier, « Freud et la mythologie », Nouvelle revue de psychanalyse, vol.1, 1970, p.114/145.
DEVEREUX, Georges, « Normal et anormal », Essais d'ethnopsychiatrie générale, Paris, Gallimard, 1970.
Le terme est de Devereux
L’expression est de Devereux.