La critique ne vise pas seulement la musique. Par exemple, Dominique Paquet, lorsqu'il étudie le paradoxe de Diderot 4 , cite des textes de l'époque condamnant « des bouteilles soufflées, des sentences d'un pied et demi » et toutes les outrances dont les comédiens se rendent coupables.
En musique, on condamnera les « tons bizarres et extraordinaires » 1 , « la musique extravagante qui serait d'un goût dur ou bizarre » 2 , celle qui est « cahotante, furieuse, [qui] n'est ni harmonieuse, ni mélodieuse, ni agréable » 3 , « les traits bizarres et difficiles » 4 . On se plaindra « qu'à force de donner dans les difficultés, dans la bizarrerie, et dans l'extravagance, sous prétexte de nouveauté, nous n'avons plus qu'un pas à faire pour tomber dans la barbarie 5 ». Sont alors visés compositeurs et interprètes.
Bollioud de Mermet considérera que les bizarreries, (« un mélange bizarre et mal assorti ») proviennent du goût italien, perverti par les musiciens français qui « le répandent sans discernement » 6 . Plus catégorique, un auteur anonyme indiquera que ces défauts sont déjà chez les auteurs italiens qui « ont donné dans le bizarre et l'extravagant » 7 .
Ecoutons Le Cerf : « Mon Dieu, interrompit la comtesse [ayant à exécuter de la musique italienne], ne se seraient-ils point contentés des croches et des doubles-croches, à quoi nous nous en tenons, et fallait-il qu'ils imaginassent des triples-croches, et des quadruples-croches qui me tuent ? Vous ne sauriez croire combien il est effrayant de voir 32 notes en une seule mesure » 8 . Ainsi, l'aristocrate se plaint-elle de cette musique italienne dont les supposées extravagances exigent un interprétation d’un haut niveau technique.
Rousseau développera fréquemment cette même idée. Dans son article « Baroque » 1 , il écrira : « Une Musique Baroque est celle dont l'Harmonie est confuse, chargée de Modulations et de Dissonances, le Chant dur et peu naturel, l'Intonation difficile, et le Mouvement contraint ». Dans son article « Effet » 2 , il critique « les mauvais compositeurs et tous les commençants » : « Vous diriez, à voir leurs partitions si chargées, si hérissées, qu'ils vont vous surprendre par des Effets prodigieux, et si vous êtes surpris en écoutant tout cela, c'est d'entendre une petite musique maigre, chétive, confuse, sans Effet, et plus propre à étourdir les oreilles qu'à les remplir ». Selon notre auteur, le Génie est absent chez ces compositeurs.
PAQUET, Dominique, « Les figures du paradoxe », Encyclopédia Universalis, 1998.
GRANDVAL, op. cit. p.19.
L'AFFILLARD, Michel de, Principes très faciles pour bien apprendre la musique, Paris, 1705, p.6.
GRANDVAL, op. cit. p.20.
ANCELET, Observations sur la musique, les musiciens et les instruments, Amsterdam, 1757. Fac simile : Genève, Minkoff, 1984, p.21.
Le Mercure, Août 1738, p.1736, cité par BRENET, Michel, Les concerts en France sous l'ancien régime, Paris, Librairie Fischbacher, 1900, p.210.
BOLLIOUD de MERMET, op. cit. p.42/43.
« Lettre écrite de Paris le 29 juillet 1738, sur les Mémoires pour servir à l'histoire de la musique », Mercure de France, août 1738, p.1729.
LE CERF DE LA VIEVILLE DE FRENEUSE, Jean-Laurent, Comparaison de la musique italienne et de la musique française, Bruxelles, 1704, IV, p. 115. Le texte est cité par Pierre SABY, « Servitudes et grandeurs de la virtuosité dans l'œuvre dramatique de Jean-Philippe Rameau », Défense et illustration de la virtuosité ( Anne Penesco, ed.), Presses Universitaires de Lyon, 1997, p.81/112.
ROUSSEAU, Jean Jacques, Dictionnaire de musique, Paris, 1768. Fac simile : Genève, Minkoff, 1998, art. « Baroque ».
ROUSSEAU, op. cit. art. « Effet ».