2.5.3.2. Les arguments de nature sociologique ou psychologique.

Des hypothèses sociologiques et psychologiques sont invoquées à l'époque baroque pour expliquer bizarreries et excès.

-L'effet de mode est une hypothèse sociologique fréquemment retenue. C'est la « fureur de la mode » qui entraîne un « faux goût » selon Bollioud de Mermet 1 .

-Cette musique plait aux jeunes qui, comme de nos jours, ne se satisfont pas de la musique de leurs pères : « on crie au miracle, la jeunesse bouillante applaudit » 2 .

-Mais un argument inverse est plus fréquemment employé : les personnes de qualité sont blasées, seuls extravagances et excès sont encore susceptibles de les intéresser (de les exciter pourrait-on dire). Comme le dit joliment Bollioud de Mermet : « Il en est de la musique comme des viandes ; à force de s'accoutumer à ces assaisonnements, tout devient fade et insipide parce que le goût est dépravé » 3 . Ancelet évoque « les gens qui ne peuvent être que désabusés par l'expérience et par une très longue habitude » 4 . Blainville partage cette opinion : « Il lui faut [à l'auditeur] des traits de la saillie [souligné par nous]; ce qui dans l'aurore de la Musique paraissait très vif et très piquant n'a plus qu'un air monotone, au prix de ce que l'on croit devoir exiger aujourd'hui » 5 . C'est dans ce même esprit que ce terme de saillie est utilisé dans l’opéra de Rameau La Folie de Platée : « Essayons du nouveau, donnons dans la saillie ».

A entendre certains propos, on peut penser que bizarrerie et excès marquent ce qu'en langage contemporain on nommerait la recherche de bénéfices narcissiques. Le compositeur, en écrivant complexe, l'interprète en étalant sa virtuosité, ne pensent qu'à être prestigieux. « Le musicien exécutant substitue son goût à celui de l'auteur, emploie à son gré et impunément toutes les variations que son caprice lui suggère » 1 .

C'est ainsi qu'Ancelet met en cause la « personnalité narcissique » de Forcroix : « Bien des gens ne peuvent approuver la façon trop savante dont il accompagne : il n'exécute jamais la Basse telle qu'elle est écrite ; il prétend la rendre beaucoup meilleure par la grande quantité de traits brillants que lui fournit sa tête ; il lutte, pour ainsi dire, avec celui qui joue le dessus ; toute espèce de musique ne lui semble être qu'un canevas, qu'il prétend embellir en le travaillant, et souvent le Compositeur de l'ouvrage est aussi mécontent que le Violon qui l'exécute. Cet amour propre mal entendu en a imposé à bien des gens » 2 .

Notes
1.

BOLLIOUD de MERMET, op. cit. p.20.

2.

« La naissance de Vénus. Cantatille à voix seule et symphonie… » par M. Légat de Furcy, Semaine littéraire, 1759, p.302, (auteur non désigné).

3.

BOLLIOUD de MERMET, op. cit. p.18.

4.

ANCELET, Observations sur la musique, les musiciens et les instruments, Amsterdam, 1757. Fac simile: Genève, Minkoff, 1984, p.21.

5.

BLAINVILLE, Charles Henri de, L'esprit de l'art musical ou réflexions sur la musique et ses différentes parties, Genève, 1754. Fac simile : Genève, Minkoff, 1974, p.92.

1.

BOLLIOUD de MERMET, op. cit. p.23.

2.

ANCELET, op. cit. p.24.