2.6.2.2. Le goût et l'affect.

Système gestionnaire, le goût le serait d'abord parce qu'il assure un certain contrôle des sentiments et des émotions que la musique arcadienne met en scène et communique à l'auditeur. L'affect débridé, sans retenue, ne peut être de l'art ; le goût du compositeur, celui de l'interprète, ont comme fonction de discipliner l'affect afin qu'il puisse être ciselé et produire l'œuvre d'art.

« Le Génie crée, mais le goût choisit », « le Goût n'est point la sensibilité » précise Rousseau 1 . « C'est au goût à régner sur les talents de l'imagination » écrit cet auteur anonyme déjà cité 2 . Quand la musique s'éloigne du modèle arcadien, c'est encore le goût qui est en cause, pour ceux qui la défendent : « il semble qu'on s'éloigne à dessein du vrai, du beau, du simple, du naturel. La contagion gagne insensiblement ; la dépravation du goût devient générale » 3 .

L'Arcadien n'est pas le rustique, disions-nous plus haut. Comme système gestionnaire de l'Arcadien, il revient aussi au goût d'éviter que le champêtre ne soit seulement rustique. La musique arcadienne ne saurait être de la musique paysanne, elle ne saurait résulter d’un simple collectage ou d’une sorte de « copier/coller » ; elle se construit à partir de la baroquisation.

Le berger, par cette musique, n'est jamais un berger réel mais une figure d'Apollon par aristocrate interposé. Il est ce qu'il n'est pas, ce qui est le résultat d'une identification « en clin d'œil » qui maintient une distance et ne se confond pas avec la réalité de l'objet.

Notes
1.

ROUSSEAU, Jean Jacques, Dictionnaire de musique, Paris, 1768. Fac simile: Genève, Minkoff, 1998, art. « Goût ».

2.

« La naissance de Vénus. Cantatille à voix seule et symphonie… » par M. Légat de Furcy, Semaine littéraire, 1759, p.301, (auteur non désigné).

3.

BOLLIOUD de MERMET, De la corruption du goûst dans la musique française, Lyon, 1746. Fac simile : Genève, Minkoff, 1991, p.5.