2.6.3.2. Les règles du métier

Si la musique émancipée se présente comme un effort de construction rationnelle, elle fera nécessairement appel à des outils intellectuels d'analyse, à un corpus de connaissances musicales et musicologiques, l'ensemble pouvant être assimilé aux règles du métier de compositeur mais aussi d'interprète. « Ces préceptes établis sont ce qu'on appelle des règles, et c'est par elles qu'on dira : cela est bon ou mauvais pour telle ou telle raison » 1 déclare Grandval qui précise que les « manquements » aux petites règles (de composition) sont de peu d'importance par rapport aux manquements concernant les grandes règles.

Ce courant musical, qui insiste sur les règles et le savoir, s'intéresse particulièrement à l'harmonie, alors qu'en revanche, la musique arcadienne considérera que la mélodie est l'épicentre de la musique.

Là encore se manifeste l'opposition entre Rameau et Rousseau, entre une musique complexe, travaillée, harmonique et une musique qui se dit simple et naturelle, et qui est essentiellement mélodique. Ainsi l'exprime Gagnebin 2 : « La querelle Rousseau-Rameau trouve ici sa source dans deux attitudes, dans deux phénomènes différents : sensibilité mélodique de Rousseau face à l'harmonie des accords chez Rameau. La mélodie illustre le cri de la nature, l'accent le nombre et le ton pathétique et passionné que l'agitation de l'âme donne à la voix humaine. Rousseau veut tirer son modèle de son propre cœur. Par son chant intérieur, l'écrivain trouve l'âme de la musique, il reconnaît la voix de la nature et découvre l'origine de la mélodie ».

Au goût, comme système gestionnaire de la musique arcadienne, qui consacre le primat de la subjectivité, s'oppose le système gestionnaire par les règles qui promeut le savoir et la compétence. D'où l'accusation portée contre Rousseau : ce serait faute de compétence, et non par prédominance du « cœur », que Rousseau promeut le goût en musique. Framery, rejoignant alors les positions de Rameau, nous le dit assez clairement : dans les ouvrages de Rousseau « on trouve beaucoup plus de goût que de savoir » 1 .

Notes
1.

GRANDVAL, Nicolas Ragot de, Essai sur le bon goût en musique, Paris, 1732. Fac simile : Genève, Minkoff, 1992, p.2.

2.

GAGNEBIN, Bernard, Introduction aux Ecrits sur la musique, la langue et le théâtre, Œuvres complètesde Jean Jacques Rousseau, Paris, Gallimard, coll. La Pléiade, 1995, tome V, p.XIII/XXIX.

1.

FRAMERY, GUINGUENE, DE MOMIGNY, Encyclopédie méthodique, Musique, Paris, 1741/1818, Préliminaires, p.VI.