2.6.3.3. La virtuosité.

On attendra de l'interprète qu'il sache rendre au mieux la complexité de cette musique dite savante. On s'éloigne ainsi de l'amateur plus ou moins éclairé, l'interprète devenant un professionnel de haut niveau, ayant le virtuose comme modèle. Nous en avons parlé plus haut.

Mais la composition musicale supposant des connaissances et un travail technique considérables, donc une professionnalité affirmée, le compositeur aurait lui aussi comme modèle un virtuose de la composition. Le nom de Rameau revient alors sous la plume, comme le signifie Campra à propos d'Hippolyte et Aricie : « Il y a dans cet opéra assez de musique pour en faire dix ; cet homme nous éclipsera tous ».

La qualité essentielle de la musique émancipée sera son brillant. Les Italiens (nous allons y revenir) auraient su « lui donner les premiers ce caractère brillant », nous rappelle Rousseau 2 .

Relisons les textes que nous avons nommés critiques contre l'excès, contre les bizarreries, les boursouflures, le trop de notes. Certes, ils se fondent sur une prédominance du goût et de la sensibilité sur la raison, mais on remarque qu'ils sont moins une attaque de celle-ci qu'une attaque de la complexité (de la composition) ou de la virtuosité (de l'interprétation) quand elles deviennent gratuites. Autrement dit, des critiques apparaissent quand on veut signifier qu'un compositeur ou un interprète se laisse emporter par le plaisir de faire de plus en plus complexe, de briller, de montrer son extrême compétence, en dehors de toute justification musicale. Les polémiques contre l'excès sont des polémiques contre ce qui est devenu déraisonnable, qui a échappé à la raison pour rechercher le seul spectaculaire.

Notes
2.

ROUSSEAU, Jean Jacques, Lettre sur l'opéra italien et français, 1745, Œuvres complètes, Tome V, Paris, Gallimard, Coll. La Pléiade, 1995, p.254.