2.6.4. La synthèse de Rameau

En 1717, bien avant que n'éclate son conflit avec Rousseau, Rameau écrit une lettre éclairant sa position idéologique face au conflit entre deux conceptions de la musique 1 . Il est en position défensive, cherchant à convaincre de la valeur de son travail. Il répond alors à des réticences dont sa musique serait l'objet : « Permettez-moi de les combattre et de justifier en même temps la prétention où je suis en ma faveur… ».

Rameau refuse d'être assimilé à un savant musicien, pur technicien dépourvu de tout sentiment :

‘« Qui dit un savant musicien entend généralement par là un homme à qui rien n'échappe dans les différentes combinaisons des notes : mais on le croit tellement absorbé dans ces combinaisons, qu'il y sacrifie tout, le bon sens, l'esprit et le sentiment. Or ce n'est là qu'un musicien d'école où il n'est question que de notes et rien de plus : de sorte qu'on a raison de lui préférer un musicien qui se pique moins de science que de goût ».’

Vient alors, sous la plume de Rameau, un argument original, pour défendre la science sans attaquer le goût :

‘« Cependant celui-ci, dont le goût n'est formé que par des comparaisons à la portée de ses sensations, ne peut tout au plus exceller que dans certains genres, je veux dire dans des genres relatifs à son tempérament [souligné par nous]. Est-il naturellement tendre ? Il exprime la tendresse. Son caractère est-il vif, enjoué, badin, etc. ? Sa musique pour lors y répond. Mais sortez-le de ces caractères qui lui sont naturels, vous ne le reconnaîtrez plus [souligné par nous]. D'ailleurs, comme il tire tout de son imagination, sans aucun secours de l'art par rapport à ses expressions, il s'use à la fin. Il serait donc à souhaiter qu'il se trouva…un musicien…qui, par sa science [souligné par nous], sût faire le choix des couleurs et des nuances… ».’

C'est donc la personne, son caractère, les affects dont elle est l’objet, qui vont faire le musicien. Mais il s'agira d'un musicien limité qui ne saurait faire advenir que ce qu'il est, que ce qu'il sent comme étant en lui. Il lui faut aussi être un scientifique, s'il veut prétendre exprimer autre chose que sa problématique personnelle, avoir accès à ce qui lui est extérieur, donc reculer les limites de sa création. En quelque sorte, un musicien peu compétent mais sensible et sachant s'exprimer selon le goût, produira des œuvres qui lui ressemblent puisqu'elles résultent seulement d'une « externalisation » d’éléments subjectifs. Le travail de la raison enrichira ses possibilités, lui donnant accès à ce qu'il n'est pas, nourrissant donc sa liberté inventive.

Notes
1.

RAMEAU, Jean-Philippe, Lettre de Jean-Philippe Rameau à Antoine Houdar de La Motte, 1727.