3.3. La Baroquisation

Nous désignons par ce néologisme de baroquisation, le processus de modification d'une mélodie à l'époque baroque, du fait du compositeur, du collecteur (si la mélodie est empruntée) et de l'interprète. Baroquisée, la mélodie simple devient complexe, le rustique se fait champêtre.

3.3.1. Une première technique de baroquisation : l'agrémentation.

Les agréments 1 ,ne doivent pas être compris comme des broderies surajoutées habillant une mélodie ; ils pénètrent la mélodie et en modifient le caractère. Techniquement, ils apparaissent comme de « petites notes » développant la note écrite sur la partition et sont fort nombreux et variés. Nous dirons que, de notre point de vue, l’agrémentation est l’outil le plus important mis à disposition du compositeur et de l’interprète souhaitant baroquiser une mélodie, du moins quand il s’agit de transformer le rustique en champêtre.

Si l’on se réfère à la recension, réalisée par Paul Brunold 2 , des tables d’agréments proposées par les clavecinistes baroques, on n’en relève pas moins de douze. Il y en aurait même treize supplémentaires si l’on prend en compte les « tables reconstituées » par Brunold à partir des indications données par les compositeurs ayant le souci particulièrement accentué de commenter l’interprétation qu’ils souhaitent pour certaines de leurs œuvres. Cet intérêt particulier porté aux agréments, cette volonté de se les approprier, de se différencier par leur intermédiaire des autres auteurs, en marquant son originalité, montre à l’évidence l’importance qu’on leur accorde. Ils sont bien ces outils pour un clin d’œil, dont on attend qu’ils transforment le populaire/rustique présent dans la mélodie afin de donner à entendre le savant/champêtre. L’extrême précision demandée pour certaines réalisations d’agréments suppose une très grande compétence technique de l’interprète se devant d’éviter toute approximation. La difficulté d’exécution est du reste reconnue par les compositeurs ; ainsi Lebègue pense-t-il aux interprètes « qui auront peine à faire certains tremblements, où ils se rencontreront trop difficiles à toucher… » 1 .

Notes
1.

Nous choisissons de définir l'agrément comme un procédé d'enrichissement d'une note particulière par adjonction d'autres notes, en opposition à l'ornement correspondant à une variation à partir de la phrase musicale écrite (dans la musique française les doubles ou triples sont typiques des ornements). La distinction que nous opérons ici se rapproche de celle que J.C. Veilhan a ainsi formalisée : « Disons que les ornements sont des variations, des broderies destinées à varier, à orner l'ossature du texte musical, et que les agréments (ou notes de goût) plus sobres et plus concis, sont eux, des petites notes, des trilles, des flattements ajoutés par le compositeur ou (le plus souvent) par l'interprète » (VEILHAN, Jean-Claude, Les Règles de l'Interprétation Musicale à l'Epoque Baroque, Paris, Alphonse Leduc, 1977, p.33).

2.

Dans son ouvrage publié en 1964, (Traité des signes et agréments employés par les clavecinistes français du XVII e et XVIII e siècle, Georges Delrieu & Cie éditeurs, 1964.),Brunold distingue, d’une part, 12 « tables des auteurs » qui sont réalisées par Champion de Chambonnières, N. Le Bègue, J.-H. d’Anglebert, Gaspard Le Roux, Dieupart, François Couperin, Coupet, Rameau, F. Dandrieu, M. Corrette, Mondonville et N. P. Royer et d’autre part, 13 « tables reconstituées » à partir des indications de Louis Couperin, L. Marchand, L. N. Clérambault, C. E. Jacquet de La Guerre, N. Siret, A. Dorel, L-C. Daquin, De Mars le Cadet, Dufour, Du Phly, Armand-Louis Couperin, Balbastre, Barrière.

1.

LEBEGUE, Nicolas Antoine, Les pièces d’orgue, premier livre, Paris, 1676, Avant-propos.