3.3.1.2. : « Ornés de leurs agréments par l’auteur ».

Le très grand intérêt dont les agréments sont l'objet de la part des compositeurs apparaît aussi dans une indication parfois rencontrée en avant propos des partitions éditées sous forme de recueils. L'auteur, qui emprunte à d'autres un certain nombre d'airs, éprouve le besoin de préciser que c'est lui qui a pris soin de les agrémenter, comme si c'était là sa marque personnelle. Ainsi, Nicolas Chédeville insère-t-il dans le titre d'une œuvre qu'il intitule Les Variations amusantes, l'indication suivante : « pièces de différents auteurs ornées d'agréments… » 1 . De même, quelques années auparavant, Jacques Hotteterre dans la deuxième partie de sa Méthode pour la Musette 2 ,qu’il consacre à « un recueil d'airs et quelques préludes », prend-il soin de préciser qu’ils ont été « recueillis et ornés de leurs agréments par l'auteur ».

Ce type de précision entraîne trois remarques.

1) L’auteur emprunte la plupart de ses mélodies soit à un répertoire de type populaire et paysan soit à d'autres auteurs connus (Campra, Lulli, Marais dans le cas d’Hotteterre…) qui ont pu, eux-mêmes, procéder de façon identique. Le compositeur n'est pas l'auteur des airs ou de tous les airs qu'il propose à l'interprète.

2) Ensuite, la formulation utilisée (ornés de leurs agréments par l'auteur) indique que l'important ou le caractère original est donné par les agréments ; ce sont eux qui désignent la marque du musicien, qui constituent son apport personnel et indiquent le style recherché. L'analyse des partitions le montre bien ; Hotteterre n'utilise pas moins de sept signes spécifiques renvoyant à sept agréments différents. La fréquence d'apparition de ceux-ci est très élevée. Dans les airs lents, il y a à peu près un agrément par temps pour les mesures à deux temps, deux ou trois agréments par mesure pour les mesures à trois temps. Pour les airs rapides il y a à peu près un ou deux agréments par mesure pour les mesures à deux temps comme pour les mesures à trois temps.

L'exemple ci-dessous, la Musette de Callirhoé 1 est représentatif. Il s'agit d'un air à la mode, titre d'une tragédie lyrique de Destouches,utilisé et réutilisé par de nombreux auteurs dont Hotteterre. Dans la version qu'en propose celui-ci, on trouvera cités six agréments différents : le tremblement (treize fois), le pincé (six fois), le flattement (trois fois), le coulé de tierce (une fois), la coulade (une fois), le port de voix (une fois) soit un total de vingt cinq agréments intégrés à une mélodie à 2 temps composée de 16 mesures seulement.

Bien que provenant d'un autre registre culturel, celui des danses, cette bourrée, intitulée Prends garde à ce que tu fras Nicolas 2 n’est pas moins significative. On y trouve utilisés trois agréments différents : le tremblement (six fois), le port de voix (quatre fois), le pincé (trois fois), soit un total de treize occurrences pour une danse à 2 temps comportant 12 mesures.

3) Notons aussi que si, dans cet ouvrage d'Hotteterre, les danses sont le plus souvent désignées par leurs noms génériques (bourrées, branles, menuets…), les airs lents ou tendres empruntent à la rhétorique pastorale et galante, dans un « à la manière de » qui fleure bon l'aristocrate aux champs, une version baroque de Robin et Marion. Ainsi pourra-t-on lire les titres suivants : Viens ma bergère…, Viens seulette…, Savez vous bien beauté cruelle…, A l'ombre d'un chêne…, Baise moi pendant…, Nous aimons les plaisirs champêtres,…, Et pourquoi donc dessus l'herbette…

Nous dirons, comme l'œuvre de Jacques Hotteterre le montre bien, que le nombre, la richesse, la précision des agréments forment un outil essentiel pour la baroquisation, permettant de transformer totalement un air rustique en une mélodie baroque tendre et plaintive (ports de voix, tremblements, flattements…) ou en un air enjoué et brillant, mettant en valeur l'interprète (fusées, batteries, martèlements, tours de gosier…).

Notes
1.

CHEDEVILLE, Nicolas, Les Variations Amusantes, pièces de différents auteurs ornées d'agréments et mises en deux parties et par accord pour les muzettes, vielles, pardessus de viole, flûtes traversières et hautbois, Paris, n.d.

2.

HOTTETERRE, Jacques, Méthode pour la Musette, Paris, 1738.

1.

Ibid, p.18.

2.

op. cit. p.3.